Cannibalis : au pays de l’exorcisme – Umberto Lenzi
Il Paese del sesso selvaggio. 1972.Origine : Italie
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Le reporter John Bradley (Ivan Rassimov version blond) est en voyage sur un fleuve thaïlandais lorsqu’il se fait capturer par une tribu sauvage qui fait de lui un esclave. Dans son malheur, il a un peu de chance, puisqu’il aurait aussi bien pu tomber sur la tribu voisine, qui elle est cannibale. Et puis il n’est pas si mal loti : une vieille femme parle anglais et la jeune et jolie Maraya (Me Me Lai) lui fait de l’œil. L’intégration n’est pas très loin…
Considéré comme le tout premier film de cannibales italien, Cannibalis n’en est pas pour autant révolutionnaire. Nous sommes encore assez loin des outrances de Deodato, qui attendront encore quelques années, et Umberto Lenzi se contente de faire fusionner deux succès du moment, à savoir d’une part la vague des films mondo décrivant avec un sensationnalisme pseudo-documentaire les rites considérés comme choc de diverses peuplades reculées (ou non), et d’autre part le très bon Un Homme nommé Cheval de Elliot Silverstein, qui plonge son héros occidental dans une tribu indienne pour le faire passer du rang d’esclave à celui de membre éminent. Une fusion bien vue de la part du toujours opportuniste Lenzi, qui se propose donc avec Cannibalis d’immerger son blondinet de héros dans une tribu sauvage (la teinture de Rassimov s’expliquant par la volonté de souligner les différences entre son personnage et les indigènes) pour lui faire découvrir une culture que la morale judéo-chrétienne réprouverait. Bien sûr, contrairement à Silverstein avec ses indiens, Lenzi n’a pas poussé très loin ses recherches sur les tribus des forêts thaïlandaises… D’ailleurs, sans être spécialiste de la question, il m’étonnerait beaucoup qu’il y ait eu des indigènes peinturlurés en pagne vivant dans la Thaïlande des années 70. Le film ne se déroule là-bas que pour une bonne raison pratique, celle du tournage probablement plus aisé à cet endroit qu’ailleurs (notons tout de même la conscience professionnelle de Lenzi, qui contrairement à ce que feront certains de ses collègues n’a pas essayé de faire passer les sous-bois méditerranéens pour une forêt tropicale).
Et effectivement, Cannibalis parvient à être exotique au niveau de ses décors naturels, ce qui est déjà un atout non négligeable dans un film tel que celui-ci, qui avec ses relents d’étude culturelle hésite encore à en faire trop niveau effets chocs. Car si il est bien considéré comme le premier specimen italien à mettre en avant des cannibales, il n’est pourtant pas (loin s’en faut) celui qui va le plus loin en terme de répulsion. La tribu du film n’est déjà pas cannibale, ce qui limite donc les effets gores au minimum, massacres d’animaux mis à part. En une scène d’apparition (le viol d’une jeune fille et le repas qui s’ensuit), les voisins cannibales font plus fort que la tribu de John Bradley, dont le comble de la méchanceté sur une heure et demi est de couper la langue à deux félons, où à la rigueur d’envoyer une veuve faire son deuil sur les cendres du bûcher de son mari pour qu’elle s’y offre aux autres membres du village. Le holà est mis également sur les diverses humiliations, qui ne touchent jamais vraiment à l’intimité du personnage pour lequel le spectateur est censé éprouver de la compassion. Tout ce qui fait le sel des films de cannibales est mis sur le compte des rites indigènes auxquels assistent John Bradley, d’abord comme spectateur (pendant sa période d’esclavage) puis comme acteur (après son union avec Maraya).
Le scénario de Cannibalis s’articule en fait autour de l’observation passive de ces rituels, ce qui aboutit à un film déséquilibré, trop tributaire du style de rite observé à un instant précis. Au contraire de ce que fera son camarade Deodato pour Cannibal Holocaust grâce à un scénario bien pensé et à une mise en scène appropriée, Lenzi ne parvient pas à mêler sur la durée l’aspect documentaire et l’aspect choquant, jugeant probablement que les deux sont contradictoires. Ainsi limite-t-il la méchanceté du spectacle pour conserver un minimum de crédibilité. Un choix qui s’avère peu porteur, puisque de toute façon les pratiques de cette tribu trop fictive (certains de ses membres sont amusants à leur manière, comme le sorcier aux gros yeux) telles que décrites par le scénario et la raison même du film d’exploitation qu’est Cannibalis empêche d’emblée de le considérer comme un digne émule d’Un Homme nommé Cheval. Il n’y a aucune portée culturelle dans les observations faites par John Bradley, aucun dégoût impulsif et aucune assimilation des pratiques de la tribu. Tout ce qui pourrait en être relève de l’anecdote, et le blondinet ne demande même pas d’explications à la vieille anglophone dont la présence est tout de même fort incongrue… Même lorsqu’il se retrouve accepté, il demeure un personnage passif, coupé des autres et vivant dans son monde à part (et vaguement hippie) avec sa copine Maraya, laquelle apprend vite l’anglais pendant que lui apprend le langage autochtone. Ils courent tout nus dans les champs de fleurs, ils se sautent l’un sur l’autre dès qu’ils en ont l’occasion et ils s’isolent de leur propre société. Laquelle n’en prend pas ombrage : tout comme John n’a que faire des rites tribaux, le chef et les autres villageois ne se laissent pas dérouter par les actes médicaux de l’occidental. Qu’il sauve un enfant atteint de diphtérie, et tout le monde s’en fout, ce n’est pas ça qui empêche le sorcier de continuer ses propres rites. Au moins évite-t-on les relents colonialistes souvent imputés aux films de cannibales. Bref, au niveau pseudo culturel, Cannibalis ne vaut pas tripette. Tout au plus pouvons nous y voir une niaiserie amoureuse dans laquelle John parvient à charmer une indigène malgré la forte concurrence au sein du village (la vieille rengaine de “l’amour plus fort que tout”, en somme). Il est donc dommage que Lenzi ait limité le côté craspec pour cette piètre “étude” rébarbative ne faisant jamais illusion. On ne sauvera donc du lot que quelques rites amusants ou sexy, voire les deux (à ne pas rater : Me Me Lai aveuglée et nue, palpée par ses prétendants… le meilleur peloteur -Rassimov, donc- remporte le gros lot !). Cannibalis a beau être un précurseur, son plus grand mérite reste encore d’avoir essuyé les plâtres d’un sous-genre en devenir.