Bunny Lake a disparu – Otto Preminger
Bunny Lake is missing. 1965Origine : Royaume-Uni
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Ann Lake, jeune américaine, vient juste d’emménager à Londres avec sa fille, Felicia Lake surnommée Bunny. Son frère Stephen, déjà résident, est très content de retrouver sa sœur et c’est avec plaisir qu’il l’aide à s’installer. Voilà qu’un événement singulier arrive. Alors qu’elle vient chercher sa fille à l’école, Ann ne trouve pas trace de Bunny. Qui plus est personne ne l’a vue ou ne semble se souvenir d’elle. Elle appelle Stephen, et afin de résoudre ce mystérieux problème ils se mettent à chercher dans tous les recoins de l’école… en vain. La police est alors contactée, et le Lieutenant Newhouse en charge de l’enquête se met rapidement à douter de l’existence même de Felicia alias Bunny. Creusant son sillon, il découvre bientôt qu’un lien singulier unit Ann et son frère, et surtout qu’Ann avait elle-même étant petite une amie imaginaire dénommée Bunny.
Difficile d’aborder Bunny Lake a disparu sans parler de ses deux personnages principaux -Carol Linlay (L’Aventure du Poseidon) et Keir Dullea (Black Christmas, 2001, l’odyssée de l’espace)- à la psyché tourmentée et sans par la même occasion dévoiler certains mystères qui font pourtant une bonne partie de l’intérêt du film. Quoiqu’il en soit et si le film n’est pas parfait il sera difficile de remettre en cause les acteurs et la direction d’acteur elle-même. Certaines situation sembleront de prime abord quelque peu tirées par les cheveux, je pense notamment à l’une des première scènes du film dans laquelle la maman de l’énigmatique Bunny vient la chercher à l’école et se heurte à des enfants de sa classe puis au corps enseignant tandis que personne ne semble la connaître, ne l’avoir même jamais aperçue. Difficile pour ma part d’y croire, mais c’est en revanche assez finement fait pour qu’avec un soupçon de complaisance on veuille bien marcher. A cet égard l’interprétation de Carol Linley d’abord crédule puis désorientée et enfin quelque peu paniquée arrive à faire passer la chose avec justesse et subtilité. Enfin notons tout de même que la situation nous est expliquée par l’apparence très classique de la jeune fille et par leur arrivée récente dans le conté. Ann cherchera sa fille mais ne la trouvera évidemment pas, tant et si bien et bien qu’épaulée par son frère, le seul qui puisse témoigner de son existence, cette existence même sera très vite remise en cause ; et Otto Preminger de partir alors dans un thriller aux allures métaphysiques et psychotiques lui permettant de fouiller en profondeur les caractères en même temps que de livrer une étude sur l’enfance et ses possibles traumas, ainsi qu’une relation à priori ambigüe entre le frère et sa sœur avec l’apparition d’un troisième personnage, l’inspecteur Newhouse, campé avec une sobriété exemplaire et qu’on ne lui aurait pas soupçonné par l’incontournable et grand Laurence Olivier (Marathon Man).
Il deviendra même au fur et à mesure que l’histoire se déroulera le personnage central du film, celui qui par son recul, se situant constamment dans la placidité volontaire, fera ressortir les différents caractères mis en scène, et même le catalyseur. Tel un laborantin ou un mathématicien, il partira du fait qu’il ne sait rien et se contentera de pratiquer mélanges et expériences, questions basiques puis profondes puis de prendre des notes, constatant froidement le résultat de son investigation patiente et toute en progression. Ses apparitions et leurs raisons seront sans cesse variées, capables par moments même d’excentricité verbale semblant surgir de nulle part, mais l’homme cherche juste à comprendre en posant ses jalons. On lui soupçonnera sans trop en être jamais certain d’être un être brillant et capable de profondeur tandis que Laurence Olivier campera son rôle avec une telle retenue, confinant à la rigidité qu’il contribue il faut bien le dire à la réussite d’un film dans lequel tout n’est que mystère et quêtes d’existences de façon littérale (Bunny) ou imagée (Alan et Stephen). Désolé de rentrer dans la dithyrambe pure mais l’acteur est ici absolument stupéfiant et parvient à jouer le jeu d’un postulat un peu invraisemblable comme dit avant pour parvenir finalement à mettre en exergue chacune des psychoses du frère et de la sœur tout en révélant leur relation maladive à la limite même de la déviance.
Quoiqu’il en soit si l’on pourra reprocher des choses à Preminger dont en premier lieu et selon l’humeur de se montrer un peu trop rigoriste dans sa mise en scène, les seconds rôles, Anna Massey par exemple en maîtresse d’école, sont tous parfaits. A parler de rigueur on pourra aussi évoquer une certaine rigidité, tout ceci semble parfois tellement ciselé qu’il peut en devenir théâtral par moment. Ce n’est pas forcément un aspect négatif au discrédit de Bunny Lake mais on se surprend à se demander ce qu’aurait tiré d’une telle histoire un cinéaste comme le Roman Polanski de la grande époque, celle allant de Rosemary’s Baby jusqu’au Locataire. Il aurait semblé, en savant jongleur de la réalité et de l’apparence et en grand metteur en scène de la paranoïa que ce film soit pour lui. Je ne vais pas m’appesantir sur une simple supposition mais c’est une question qui peut venir à l’esprit dirons-nous. Quoiqu’il en soit Bunny Lake a disparu reste filmé par Preminger en 1965, à une époque où le cinéaste se voyait quelque peu critiqué (à cause en partie justement du côté hiératique et plombé de ces spectacles –Tempête à Washington, Exodus-) et à l’instar du brillant générique de Saul Bass dans lequel des dessins d’enfants déchirés font apparaître les noms des acteurs, la mise en scène de Premiger est ici très inspirée, d’une précision de cadre qui renforce l’étouffement peu à peu grandissant, doté d’une superbe photographie en noir et blanc et toute en contrastes très obscurs, contribuant à faire apparaître ces mêmes contrastes chez ses personnages, entre innocence et exclusivisme tourmenté. Ce dernier trait se révèlera être d’ailleurs la clé de l’énigme, mais je n’en dis pas plus. A l’instar de la photographie de Denys N. Coop (Lolita) la partition de Paul Glass est en totale adéquation avec les changements de caractères en cours, ses tourments latents et bientôt sa révélation finale nocturne autour d’une balançoire achevant de mettre au grand jour ce que l’on sentait tapi dans l’ombre subconsciente d’un des protagoniste notamment.
On pourra dire ce qu’on veut mais cela fonctionne. Peut-être suis-je doté d’une faible mémoire mais ce film m’avait fortement marqué étant plus jeune et à le revoir il me paraît toujours aussi intéressant quand bien même imparfait. A la quatrième vision, je sais maintenant que je n’oublierai plus comment le film se termine, ce que j’ai chaque fois oublié, et ce qui notez bien m’arrangeait puisque me permettait d’avoir envie de le revoir. Bunny Lake est définitivement un très bon film. Soit, il ne faudra pas le comparer avec des œuvres antérieures de son réalisateur comme Laura ou Un si doux visage (qui restent deux chef-d’œuvres incontournables), mais plutôt regarder le film en le remettant dans le contexte de l’évolution d’un metteur en scène passionnant remettant en cause sa mise en scène, faisant le choix de l’épurer, d’en faire un objet de dissection, bref un parti pris tout à fait honorable en même temps qu’une démarche honnête. Finalement on reste assez proche de l’inversion de tendance effectué par d’autres cinéastes et dont les œuvres tardives furent longtemps contestées, à savoir par exemple Michael Powell et son Voyeur dont la sécheresse désorienta jusqu’à tuer sa carrière ou encore le plus humaniste William Wyler et son très brut, sadique et surprenant Obsédé avec Terence Stamp, tourné du reste la même année que cet excellent Bunny Lake.
A noter qu’à l’heure où j’écris ces lignes un remake est en projet. Il sera semble t-il réalisé par Joe Carnahan (Narc, Smockin’ Aces). Pour ce qui est des acteurs, Rheese Whiterspoon d’abord partante a à ce jour finalement décliné sa contribution au projet. Après tout, nous verrons bien et laissons lui sa chance même si vous l’avez compris, j’ai tout de même une assez grande estime pour l’original pour montrer quelques réticences.