And Soon the Darkness – Robert Fuest
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And Soon the Darkness. 1970.Origines : Royaume-Uni
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Jane et Cathy sont deux infirmières anglaises venues battre la campagne française pour se changer les idées. Et pour cela, rien de mieux que de parcourir les routes au guidon de sa bicyclette. A la faveur d’une pause farniente dans un petit bois, les deux jeunes femmes se disputent. Cathy reproche à Jane de vouloir tout minuter alors qu’elle n’aspire qu’à prendre du bon temps. Vexée, Jane abandonne son amie et reprend la route. S’étant arrêtée plus loin à la terrasse d’un café-épicerie, elle s’étonne de n’avoir toujours pas été rejointe par Cathy. Gagnée par l’inquiétude, elle rebrousse chemin et trouve en Paul, un touriste comme elle, quelqu’un à qui confier ses craintes. Serviable, il se propose de l’aider, d’autant qu’il parle couramment le français. Seulement celui-ci se montre parfois étrange, comme si il lui cachait quelque chose. Plus très rassurée, Cathy préfère continuer seul. Toujours sans nouvelles de Cathy, elle décide de se rendre au poste de gendarmerie devant lequel elle était passée. Sensible à son récit, le gendarme en faction prend à son tour la route dans l’espoir de retrouver la jeune femme disparue.
Libérés de leurs occupations sur la série Chapeau melon et bottes de cuir dont la sixième saison marquait la fin de l’aventure (sans être déshonorante, The New Avengers, pour laquelle ils reprendront du service à la fin des années 70, n’en retrouvera jamais ce petit grain de folie qui en faisait tout le sel, époque oblige), Brian Clemens et Albert Fennell, respectivement scénariste et producteur de ladite série, s’associent pour monter un long métrage. Et pour conférer un petit air de vacances à l’entreprise, l’histoire se déroule en France, ce pays voisin autant moqué qu’apprécié. Ils emmènent dans leurs bagages Laurie Johnson, le compositeur attitré de la série, et pour occuper le poste de réalisateur, Robert Fuest, qui avait dirigé pas moins de 7 épisodes de la sixième saison. Pour rédiger le scénario, Brian Clemens et Terry Nation s’emparent d’un fait divers, l’affaire Janet Marshall. Institutrice, cette anglaise de 29 ans profitait de ses vacances d’été pour parcourir la France à bicyclette lorsqu’elle croisa la route de Robert Avril qui l’assassina le 28 août 1955 à proximité de la Chaussée-Tirancourt. L’affaire fit grand bruit, d’autant qu’elle faisait suite à l’affaire Dominici et ses trois membres d’une famille anglaise retrouvés assassinés près de leur véhicule. Deux affaires criminelles qui tendent à faire du territoire français un endroit de tous les dangers pour l’anglais en goguette. A plus forte raison lorsqu’il s’agit de deux jeunes femmes que le manque de maîtrise de la langue de Molière rend encore plus vulnérables. En parcourant les paysages champêtre du Loiret et du Loir-et-Cher, Jane et Cathy s’immergent dans la France rurale où sous le calme apparent peuvent se cacher les pires turpitudes. Du rêve au cauchemar, la frontière est ténue. Et que leur monde vacille à la suite d’une sieste improvisée ne remet jamais en cause la réalité de ce à quoi on assiste.
Le titre du film sonne comme l’ultimatum au-delà duquel tout espoir semblerait perdu bien que la temporalité ne soit jamais réellement prise en considération. Robert Fuest fait fi de tous marquages temporels clairs se bornant à une simple donnée géographique énoncée par Jane. Elle a coché le village de Saint Louverre (une localité fictive comme Landron, que les deux jeunes femmes sont amenées à traverser) comme but ultime de la journée. Les caractères des deux jeunes femmes sont clairement esquissés dès leur première scène à la terrasse d’un café. Des deux copines, Jane apparaît comme l’oganisatrice. Elle souhaite parcourir le plus de chemin possible les premiers jours pour mieux profiter des vacances ensuite alors que Cathy veut laisser libre cours à ses envies dès maintenant. A l’extrême sérieux de la première, qui confine à une certaine rigidité, répond la décontraction et le lâcher prise de la seconde. Cathy veut de l’animation, des garçons, de la vie. Qu’elle soit celle qui disparaisse tendrait à conférer un fond de morale à cette histoire. Elle serait ainsi punie pour sa désinvolture. Or le film cultive le mystère autour du sort de Cathy. Les signes avant-coureurs à sa disparition tiennent à une culotte volée, une bicyclette sacagée et à ce plan d’elle filmé de derrière un branchage. Clairement, la jeune femme est observée mais on ignore par qui. Ce n’est pas quelqu’un qu’elle a séduit ou avec qui elle a fricoté. Si ce n’est les oeillades insistantes à l’attention de Paul, ce drôle de type croisé à la terrasse le matin même, puis plus tard à côté d’un cimetière, Cathy reste sagement dans les limites de la bienséance. Elle se montre disponible mais pas non plus prête à tout pour pimenter ses vacances. Ses seuls torts, être une femme dans une tenue que les grenouilles de bénitiers qualifieraient d’outrageante, et s’être isolée. Toutefois, Robert Fuest se garde bien d’expliciter les conditions de sa disparition. Il tient son récit d’une main de fer, se refusant aux effets chocs. La probable mauvaise rencontre de Cathy se joue hors champ et les raisons de sa disparition prennent un tour plus dramatique au fil des rencontres de Jane, partie à sa recherche. De la propriétaire du bar-épicerie A la mal tournée qui joue les oiseaux de mauvais augure en passant par cette institutrice anglaise qui relate le meurtre de cette autostoppeuse hollandaise survenu au même endroit 2 ans auparavant, tout concourt à mettre Jane dans tous ses états. A cela s’ajoute le comportement pour le moins ambigü de Paul, lequel semble lui cacher des choses. Robert Fuest installe un climat angoissant par petites touches, isolant peu à peu Jane qui ne se sent en sécurité nulle part. Même la gendarmerie où elle finit par trouver refuge, sise dans une bâtisse anonyme, ne lui offre pas le répit espéré. Lors du dernier acte, toute personne croisée devient un danger potentiel pour une jeune femme au bord de la crise de nerf, au point de lui faire perdre tout discernement.
Le calvaire de Jane repose sur une bonne dose de manipulation de la part de Robert Fuest. Face au faible nombre de protagonistes, les fausses pistes se concentrent essentiellement sur un personnage, quitte à le faire agir en dépit du bon sens. Cela concourt à rendre la position de Jane de plus en plus inconfortable. Étrangère égarée dans les grands espaces de la France rurale du début des années 70, elle fait parfois figure d’élément déplacé. Cela tient à son attitude un peu gauche, comme si elle était gênée d’être là, confrontée parfois à des histoires qui ne la regardent pas et au milieu desquelles elle se retrouve bien malgré elle (les disputes du couple, propriétaire du bar-épicerie A la mal tournée). Dans cette campagne un peu morne où certains portent encore en eux les stigmates de conflits passés, d’autres se réjouissent du malheur d’autrui, comme ce restaurateur qui se remémore avec des étoiles dans les yeux tous ces badauds qui avaient déferlé dans la région – et dans son établissement – à la suite du meurtre de l’autostoppeuse. Les raisons de se réjouir paraissent rares dans la région et parfois, il suffit du passage de deux jeunes femmes en tenues estivales pour égayer la journée. Toutefois, And Soon the Darkness a l’intelligence de ne pas jouer sur les ressorts faciles de la confrontation de classes. Dans cet environnement nouveau pour elles, ces jeunes citadines la jouent profil bas, abordant ces contrées désolées sans suffisance aucune. Les auteurs se mettent au diapason et abordent la campagne française et les gens qui la peuplent comme ils le faisaient de la campagne anglaise. A la différence que l’étrangeté iconoclaste visible dans Chapeau melon et bottes de cuir laisse place à l’opacité des non-dits et d’une menace diffuse, source d’incompréhension. La barrière de la langue ajoute à cette incompréhension. Si Jane a la chance de croiser quelques anglophones sur sa route, elle éprouve néanmoins les pires difficultés à se faire entendre. Paul et le gendarme ont beau témoigner de la compassion pour ce qu’elle endure, ils n’agissent pas pour autant sous le coup d’une émotion folle. Ils tendent même à minimiser les craintes de Jane, sous-entendant qu’elle dramatise un peu trop. Une atitude paternaliste qui la renvoie à son statut de femme, petit être fragile qui s’alarme d’un rien. Mais qui peut aussi constituer une cible de choix pour les prédateurs, surtout ceux qui avancent masqués. Le film n’est pas tant la confrontation des citadins contre les ruraux que celle entre deux époques. Ces deux jeunes femmes décomplexées apportent avec elles un peu de cet esprit post-soixante-huitard dans des contrées encore figées dans les carcans d’un modèle vieillot mais toujours bien en place. Venues pour tourner le dos à un quotidien particulièrement éprouvant (elles sont infirmières) et se changer les idées, Cathy et Jane se prennent en pleine figure la dure réalité. En cette décennie naissante, elles demeurent encore et toujours les victimes de la folie des hommes.
Resté très longtemps inédit, And Soon the Darkness trouve sa place dans un mouvement cinématographique plus large où sadisme, violence et brutalité se tapissent derrière des oripeaux bucoliques. Premier de cordée, Robert Fuest suggère plus qu’il ne montre et ne préfigure ces plongées dans l’horreur d’une jeune femme voisinant avec la mort qu’à la faveur de son dernier acte. Là, dans ces vestiges civilisationnels d’épaves en pleine nature, il illustre la prédominance d’une prédation. Et si Jane pourra encore compter sur le concours d’un “chevalier servant”, ses suivantes se retrouveront bien vite seules à la merci de leurs tortionnaires (La Dernière maison sur la gauche, Massacre à la tronçonneuse).