CinémaComédiePolar

Amos & Andrew – E. Max Frye

Amos and Andrew. 1993.

Origine : États-Unis
Genre : Les deux font l’impair
Réalisation : E. Max Frye
Avec : Nicolas Cage, Samuel L. Jackson, Dabney Coleman, Brad Dourif, Ken Lerner, Margaret Colin, Bob Balaban.

Tout frais récipiendaire du prestigieux prix Pullitzer, le professeur émérite d’histoire de l’art et d’anthropologie Andrew Sterling réalise un rêve en devenant l’heureux propriétaire d’une belle demeure située sur une île, véritable havre de paix et de verdure à quelques encablures de la bruyante et bondée ville de New York. Impatient, il part prendre possession des lieux sans son épouse. Une riche idée puisque à la suite d’un imbroglio, il se retrouve la cible de la police locale qui manque de le tuer à plusieurs reprises. Pire, après avoir réalisé leur erreur, le chef de la police Cecil Tolliver échaffaude un plan afin d’éviter que cette bavure ne s’ébruite. Il profite de la présence dans une cellule de Amos Odell, un insignifiant délinquant, pour fomenter un plan machiavélique. En échange de sa libération, il le charge de se rendre chez Andrew Sterling et feindre un cambriolage. Mais lorsqu’il s’aperçoit que le flic se joue de lui, lui mettant tout sur le dos, Amos se rebiffe, trouvant en Andrew un allié de circonstance.

Locataire régulier des bacs à soldes, Amos & Andrew n’a pourtant rien à voir avec la ribambelle d’inédits vidéos qui parsèment la filmographie de Nicolas Cage depuis maintenant une bonne quinzaine d’années. Si à l’époque il n’est pas encore un acteur sur lequel l’industrie peut compter (il recevra l’Oscar du meilleur comédien en 1996 avec Leaving Las Vegas et il tournera dans son premier blockbuster en 1996 avec Rock), il apparaît déjà comme une figure à part à Hollywood. En une dizaine d’années, il a su faire oublier sa prestigieuse ascendance (Francis Ford Coppola est son oncle) et s’imposer comme un acteur inclassable aux choix pas toujours compréhensibles mains dont certains films ont durablement marqué les esprits (Birdy, Arizona Junior, Sailor et Lula). Moins connu, Samuel L. Jackson roule néanmoins sa bosse depuis le début des années 70 et compte quelques grands réalisateurs à son palmarés pour lesquels il a joué des petits rôles (Milos Forman, Martin Scorsese, Steven Spielberg). Sa première rencontre décisive, il l’a fait en la personne de Spike Lee, participant à quatre de ses films dont Jungle Fever qui lui vaut les prix d’interprétation pour le meilleur second rôle aux festivals de Cannes, Kansas City et New York. Et puis viendra Pulp Fiction. Comparé à ses deux comédiens, E. Max Frye ne navigue pas dans les mêmes eaux. Seulement auteur du scénario de Dangereuse sous tous rapports de Jonathan Demme, il se lance dans la réalisation avec l’appui du réalisateur à la production en un beau retour d’ascenseur. Amos & Andrew se présente de prime abord comme un buddy movie bien dans la tradition. Ce sous-genre du polar a alors le vent en poupe au point d’être décliné à toutes les sauces. Sauf que E. Max Frye, tout novice qu’il soit, tient à défendre un propos. Son film se présente comme un instantané des tensions raciales toujours palpables aux États-Unis sous couvert d’un ton léger. Une ambition louable quoi que sans doute trop élevée pour un premier film.

L’histoire récente l’a encore rappelé, les États-Unis n’en ont toujours pas terminé avec les tensions raciales qui minent les rapports sociaux. Et le deuxième mandat de Donald Trump ne laisse pas grand espoir que la situation puisse tendre vers un apaisement. Il y a une trentaine d’années, le 3 mars 1991, l’arrestation somme toute anodine d’un automobiliste coupable d’un excès de vitesse choque l’opinion publique lorsque des images de son passage à tabac par quatre policiers font le tour du monde. Un an plus tard débute le procès des représentants de la loi auteurs de cette bavure. Un procés particulièrement médiatisé dont toute une communauté attend le verdict avec fébrilité. Et quand celui-ci tombe le 29 avril 1992, et dispensé par un jury majoritairement blanc, l’espoir laisse place à la sidération : les quatre accusés sont acquittés. En réaction à cette injustice, des émeutes d’une grande violence embrasent la Californie et durent jusqu’au 4 mai. Démarré le 1er avril de la même année, le tournage de Amos & Andrew se déroule donc dans ce climat délétère mais n’ira pas aussi loin dans le chaos. Influence évidente de E. Max Frye, notamment à travers le comportement bêtement belliciste de l’officier Donaldson, l’affaire Rodney King et ses conséquences dépassent néanmoins allègrement la fiction. De toute évidence, le réalisateur novice n’a jamais eu l’ambition de réaliser un pamphlet. Il joue plutôt la carte de la farce – gentillette -, et si chaos il finit par y avoir, celui-ci se limite à la maison d’Andrew qui finira sous les flammes dans l’indifférence quasi générale. L’essentiel pour E. Max Frye tient moins à cette conclusion enflammée qu’à cet imbroglio policier initié par la dénonciation teintée de préjugés de voisins prétendument bien attentionnés. Dans la quiétude de cette enclave embourgeoisée, Andrew fait l’effet d’un chien dans un jeu de quilles. Sa présence sonne comme une menace. La menace qu’on ne peut plus être chez soi nulle part. Dans l’esprit de certains de ses habitants, cette île s’apparente à un eden qu’il convient de préserver au mépris de toute mixité. Ou alors à condition que les rôles restent bien définis. Dès lors, certains habitants comme les Gillman se pensent investis d’une mission, celle de veiller à la tranquillité du quartier. Ils agissent en voisins vigilants zélés, sûrs de leurs bons droits mais que le courage n’étouffe guère. Pour autant, E. Max Frye ne cherche pas à les diaboliser outre mesure. Ils sont les tenants d’un racisme ordinaire, plus insidieux car leur semblant aller de soi. De même, l’officier Donnie Donaldson, le plus vindicatif, est moins haineux que parfaitement imbécile, jouant les va-t-en-guerre avec la conviction d’un enfant survolté. Plus fâcheuse est en revanche l’inclination à la désinformation du chef de la police Cecil Tolliver. En vertu de son statut et de ses ambitions électorales, il n’hésite pas à travestir la vérité afin de ne pas entacher sa réputation. Il s’agit alors de savoir manipuler la sphère médiatique à son profit en imposant son propre récit. Si E. Max Frye ne s’affiche pas en donneur de leçon, il dispense néanmoins un semblant de morale par le biais de la presse locale qui saura rétablir la vérité.

Il en va bien évidemment de même des rapports entre Amos et Andrew qui reprennent les ressorts inhérents à tout buddy movie jusque dans sa finalité. Leurs points de discorde – mesurés – tiennent d’ailleurs davantage à la situation (Amos joue dans un premier temps parfaitement le rôle qu’on lui a attribué) qu’à leurs différences. Ces dernières nourrissent le propos de la puissance des préjugés, frein à la concorde. Quelque peu imbu de lui-même et de sa réussite, Andrew Sterling cultive une profonde paranoïa envers les blancs. A l’entendre, il représente un danger car il n’a pas peur de dire la vérité sur cette Amérique blanche où il a réussi à se faire une place. Ce qui lui arrive ne peut donc être qu’un complot fomenté dans le but de le faire taire. Dans ce contexte, Amos Odell ne peut être qu’un exécutant des basses besognes. Ce qu’il est, en un sens, du moins avant qu’il ne se rende compte de la supercherie. Sous ses dehors un peu frustres, Amos incarne en réalité la voix de la raison, se montrant assez lucide sur la situation et la place de chacun. La question raciale se double alors de lutte des classes sans que leur relation conflictuelle ne gagne en ampleur. Elle en reste au stade de la prise de bec inconséquente, chacun ayant un bon fond. Et c’est là que le bât blesse. Passée une entame intéressante par le ton employé et son dynamisme, le film tombe dans une forme de routine à partir du moment où les deux personnages du titre se rencontrent. Ce n’est même pas la question d’un manque d’alchimie entre les deux interprètes principaux. C’est surtout qu’il ne se passe plus rien, ou du moins plus grand chose si ce n’est ridiculiser les forces de police. E. Max Frye paraît soudain comme gêné aux entournures, ne sachant plus trop par quel bout développer son récit. Il recourt alors au personnage du révérend Fenton Brunch, un leader charismatique de la communauté afro-américaine, qui s’empresse de voler au secours de Andrew Sterling dès qu’il a vent de ses mésaventures. Une réactivité qui ne doit pas tant à sa bonté d’âme qu’au retentissement médiatique que peut avoir une telle affaire. Fenton Brunch est un homme qui soigne son image, capable de payer pour avoir un groupe conséquent d’individus à ses côtés et ainsi donner plus de poids à sa colère. A l’instar de Cecil Tolliver, il n’est pas le dernier pour envenimer une situation qui n’attend qu’une étincelle pour s’embraser. Ce sont tous deux des opportunistes qui sous prétexte d’oeuvrer pour la communauté, ne travaillent en fait que pour leur intérêt propre. Sur ce point, ni l’un ni l’autre ne sortiront grandis de cette affaire. Quant à Amos et Andrew, leur chemin se sépare sous le signe de la fraternité, mais une fraternité de circonstance qui n’appelle pas forcément une remise en question en profondeur.

Pas honteux mais pas non plus inoubliable, Amos & Andrew pêche surtout par une approche trop frileuse de son sujet. E. Max Frye ne sait pas trop sur quel pied danser et ça se sent. Cela donne l’impression d’un film pas abouti dont les nombreuses promesses restent à un état embryonnaire. E. Max Frye en restera là de ses velléités de réalisateur et ne fera plus vraiment parler de lui. Si le film continue d’exister, il ne le doit qu’à son casting, toujours alléchant pour qui aime à se plonger dans les antécédents de comédiens appréciés.

 

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