2012 – Roland Emmerich
2012. 2009.Origine : États-Unis
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Après un intermède préhisto-zinzin (10000), Roland Emmerich revient à ce qui l’amuse le plus, le film de destructions massives. Sauf que cette fois, point d’attaque d’extraterrestres (Independence Day, 1996), de pérégrinations d’un monstre antédiluvien réveillé par les essais atomiques français (Godzilla, 1998), ni de retombées émanant des déréglements climatiques (Le Jour d’après, 2004), mais une bonne fin du monde des familles calquée sur un hypothétique calendrier maya. Hypothétique car depuis l’annonce du tournage, des éminences grises se sont penchées sur le sujet et ont rendu caduque une prophétie toute aussi infondée que ne l’étaient les délires d’un Paco Rabanne à l’aube de l’an 2000. Coutumier des incohérences et des approximations, Roland Emmerich n’est pas homme à se formaliser pour si peu, ce qu’il démontrera tout au long du film.
2009 – Alerté par l’un de ses amis en Inde, le scientifique Adrian Helmsley (Chiwetel Ejiofor) constate que le centre de la Terre présente de sérieux signes d’instabilité, annonciateurs d’un cataclysme planétaire. Conscient de la lourde menace qui plane sur l’humanité, il rentre aux États-Unis où il alerte Carl Anheuser (Oliver Platt), chef de cabinet du président Wilson (Danny Glover). 2012 – Jackson Curtis (John Cusack), père divorcé, emmène ses deux enfants faire du camping au parc de Yellowstone. Sur place, ils trouvent un paysage de désolation et une forte présence militaire. Charlie Frost (Woody Harrelson), présentateur d’une radio pirate, l’informe de la catastrophe annoncée, prévue au solstice d’hiver selon le calendrier maya. D’abord dubitatif, Jackson révise très vite son jugement lors des premières secousses sismiques qui touchent Los Angeles. Désormais, il n’aura qu’une obsession : mettre sa famille en lieu sûr.
2012 se présente comme le film catastrophe ultime, englobant en une histoire pratiquement toutes les catastrophes naturelles possibles et imaginables, là où une seule d’entre elles suffit généralement à fournir l’argument principal d’un long métrage. Séismes, tsunamis, éruptions volcaniques, tout y passe, davantage dans une recherche constante de spectaculaire que dans un souci de vraisemblance. Cependant, il nous est impossible de blâmer Roland Emmerich pour ce choix, puisque c’est justement pour ces scènes spectaculaires de destructions à grande échelle que le film a été conçu, et qui en outre nous motivent à aller le voir sur grand écran. Et puis, contrairement au Jour d’après, le postulat de départ de 2012 est suffisamment frappé du sceau de l’improbable pour que nous fassions fi de ces réserves, plus légitimes dans la bouche de scientifiques que dans la nôtre, simples profanes. De plus, cela fait partie de la tâche de Roland Emmerich (et de tout autre réalisateur, d’ailleurs) que de nous embarquer ainsi dans un univers parallèle où nos fières mégalopoles sont littéralement avalées par le ventre de la Terre, nos plus hautes montagnes à la merci d’un gigantesque raz de marée, ou encore la tectonique des plaques de s’accélérer à un point tel que la Chine a été déplacée de 2500 km en un rien de temps. Dans les deux premiers cas, l’énormité de la situation passe plutôt bien. Nous sommes alors en plein dans le processus de destruction, durant lequel le réalisateur laisse sa place aux petits génies des effets spéciaux. Ça explose de tous côtés, le sol se fissure, les immeubles s’effondrent les uns après les autres tels des châteaux de cartes, et c’est toute l’humanité (ou presque) qui se retrouve rayée de la surface du globe en une fraction de seconde. Impuissants et dépassés par les événements, Jackson Curtis et sa famille ne peuvent que fuir, s’adonnant à une véritable course contre la montre et les éléments déchaînés. Que ce soit au volant d’une limousine ou d’un camping-car, Jackson et les siens sont à chaque fois pourchassés par l’inéluctabilité de la destruction, le sol s’effondrant derrière eux, aussi envahissant que le néant dans L’Histoire sans fin. Et ce à quoi ils survivent est assez impressionnant, et symptomatique de cette surenchère propre au cinéma de Roland Emmerich. Avec l’énergie du désespoir, Jackson conduit comme un fou furieux, évitant les obstacles avec habileté ou les affrontant sans trembler… et surtout sans s’arrêter, quand bien même un immeuble viendrait à s’effondrer devant lui. En ce cas, un petit coup sur l’accélérateur suffit à traverser l’obstacle sans encombre, la limousine se montrant particulièrement solide (de marque américaine, sans doute). C’est LE morceau de bravoure du film, la suite se limitant à la destruction de quelques lieux emblématiques (la Maison Blanche, le Vatican) puis à un survol des zones sinistrées, procédé malin mais un brin faux-cul qui permet au réalisateur de rendre compte d’un massacre sans précédent tout en ne se salissant pas les mains. Avec Emmerich, plus la destruction est d’importance, moins il rend compte des pertes humaines, une donnée qui devient purement abstraite chez lui. C’est du pur cinéma pop-corn, visible par toute la famille. On en arrive alors à des aberrations scénaristiques qui s’avèrent bien plus difficiles à avaler que le postulat du départ. Il en va ainsi de ce fameux déplacement de la Chine de 2500 km, déplacement heureux qui permet à Jackson Curtis et sa famille d’arriver à bon port alors que le manque de kérosène aurait dû les obliger à un amerrissage périlleux. Mais ceci n’est rien à côté de la construction de neuf gigantesques arches et de leur base d’attache au pied de l’Himalaya en à peine 2 ans ! Certes, les chinois sont réputés pour leur rapidité, mais à ce point là, cela tient du miracle. Et puis que penser des tarifs exorbitants pratiqués ici. Pas moins d’1 milliards d’euros le billet pour prendre place dans l’une de ces arches. A ce prix là, c’est à se demander comment l’Institut pour la Pérennité de l’Humanité (l’organisation secrète, instigatrice de ce plan de sauvetage) a pu trouver 400 000 individus disposant d’une telle somme.
Fidèle à sa réputation, Roland Emmerich ne tient pas la distance. Passé le gros du cataclysme, on s’ennuie ferme devant les pérégrinations conjointes du romancier Jackson Curtis et du scientifique Adrian Helmsley, que l’on peut résumer à la reconstruction du couple pour le premier, et à la découverte de l’âme sœur pour le second. C’est amusant comme le cinéma américain aime bien se servir de grosses catastrophes pour réunir les êtres. Ainsi, notre brave romancier aura réussi la gageure de reconquérir le cœur et de son ex femme et de son fils aîné. Cerise sur le gâteau, il n’aura même plus à composer avec le copain de son ex, celui-ci ayant eu la bonne idée de mourir en cours de route. C’est toute la force du scénario que de se servir de ce personnage de beau-père pour ses qualités de pilote (bien utiles lorsque la voie des airs constitue l’unique moyen de rester en vie) puis de s’en débarrasser comme une vieille chaussette lorsque lesdites qualités ne sont plus d’aucune utilité. Quant à Adrian, il pourra éternellement remercier le cataclysme de lui avoir permis de rencontrer la fille du Président, âme en peine tout comme lui, et ainsi voir l’avenir avec optimisme. Ils pourront contribuer à la pérennité de l’espèce humaine. Youpi ! A cela s’ajoute un flot ininterrompu de bons sentiments dont le point d’orgue est le discours de Adrian Helmsley, qui tente de moraliser in extremis un plan de sauvetage des plus sélectifs. Devant des personnages aussi falots et à l’esprit aussi boy-scout, le personnage de Carl Anheuser constitue une véritable bouffée d’oxygène, alors qu’il est censé incarner le sale type qu’on voudrait baffer. Or, dans ce contexte de fin du monde, il est celui qui réagit avec le plus de bon sens. Ne pensant qu’à sauver sa peau, il n’est pas homme à s’adonner à la sensiblerie et ne s’appesantit guère de la grandeur d’âme revendiquée de certains de ses interlocuteurs. Ils veulent mourir ? Grand bien leur fasse. Après tout, c’est leur choix et il le respecte. Qu’il survive, alors que d’autres personnages ayant des petites choses à se reprocher meurent, conformément au cahier des charges hérité des films catastrophes des années 70, constitue une petite victoire pour les spectateurs qui comme moi, ne goûtent guère à cette émotion préfabriquée.
Pas de doute, 2012 est bel et bien un film de Roland Emmerich. Long, lourdaud et pro chiens (il nous fait encore le coup du sauvetage canin !), 2012 confirme la propension du réalisateur à surfer sur l’air du temps plutôt qu’à témoigner de convictions propres. A ce titre, il est amusant de constater que par son inéluctabilité, le cataclysme dépeint dans son dernier film rend complètement vain le message véhiculé par Le Jour d’après. Espérons que le sommet de Copenhague n’aboutira pas à la mise en construction d’arches, auquel cas on peut déjà tous commencer à économiser.