L’Exécution – Robert Badinter
L’Exécution. 1973Origine : France
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Un petit rappel des faits s’impose :
Père de famille, plombier dans le Doubs, réformé de l’armée, Bontems un soir d’ivresse dérobe une voiture. C’est l’engrenage fatal. Il y prend goût, arrestations et procès s’accumulent : le 9 juin 1960, le tribunal correctionnel le condamne à un an de prison ferme, pour vol de voiture. Trois autres condamnations pour divers méfaits suivront dans les années 60. Mais un jour, Bontems agresse Mr Grégoire, un chauffeur de taxi et le blesse grièvement. Il est condamné en 1965 à vingt ans de réclusion criminelle par la Cour d’assises, puis il est incarcéré à la maison centrale de Clairvaux (Aube).
En novembre 1970, il fait la connaissance d’un nouveau compagnon de cellule, fraîchement transféré à Clairvaux, un assassin dangereux du nom de Claude Buffet, de 3 ans son aîné. Buffet décide rapidement de s’évader de la centrale, et entraîne Bontems à sa perte.
Le matin du 21 septembre 1971, à l’heure du petit déjeuner, Buffet se plaint de douleurs abdominales et Bontems également. Ils sont envoyés à l’infirmerie accompagnés par quatre gardiens: à peine y sont-ils entrés que Buffet repousse un gardien, qui entraînant dans sa chute deux autres matons, et s’enferme dans l’infirmerie, ainsi que Bontems, avec trois otages : un gardien, une infirmière et un détenu-infirmier. Tous trois sont tenus sous la menace de couteaux que Buffet et Bontems ont tiré de leur poche. Bontems a un Opinel acheté à la cantine, un canif sans virole bloquante. Buffet, lui, a acheté par le biais d’un réseau de détenus une arme étrange, avec une lame longue de 20 centimètres, effilée comme un rasoir. Toute la journée, la France suivra l’evénement via la télévision. Aux premières heures du 22 septembre, la police donne l’assaut et réduit les deux mutinés à l’impuissance. Hélas, dans un coin de la salle, les deux otages reposent. Leur gorge a été tranchée.
Instruction et procès avaient bien démontré que Bontems n’avait tué aucun des otages, mais le fait que les deux criminels ont été jugé ensemble et que la complicité active de Bontems au double assassinat lui faisait encourir la même peine que Buffet.
En novembre 1972, ses avocats, Robert Badinter et Philippe Lemaire, allèrent plaider devant le Président de la République, Georges Pompidou, la cause de leur client, en même temps que les défenseurs de Claude Buffet. Les avocats avaient grand espoir : Georges Pompidou n’avait jamais laissé exécuter un condamné à mort depuis son arrivée au Palais de l’Elysée en 1969. Mais le 27 novembre au soir, les quatre avocats reçurent un coup de téléphone leur annonçant que l’exécution aurait lieu le lendemain matin, vers 5 heures. Claude Buffet et Roger Bontems sont guillotinés dans la cour d’honneur de la maison d’arrêt de la prison de La Santé. Cette exécution fut la dernière qui eut lieu à Paris. Après Buffet et Bontems, seuls quatre condamnés furent guillotinés en France.
Quant au livre de R.Badinter :
Ce qui importe ici c’est de savoir ce qu’est la justice, comment elle fonctionne, à quoi sert un avocat, pourquoi la peine de mort.
Plus que de raconter l’histoire et relater avec précisions tous les faits de l’espèce, ici Badinter nous fait part de ces impressions d’avocat. Comment gérer le dossier, comment assumer le regard des gens, comment mettre en confiance un accusé et surtout comment mettre en scène toute jouxte verbale pendant l’audience. Pour lui, la plaidoirie dans un procès d’assises n’est pas le moment où l’avocat sert le plus utilement la défense. Le corps à corps de l’audience, les feintes, ses incidents forment les convictions du juge. La plaidoirie permet juste à ceux qui jugent de savoir pourquoi ils vont juger, comme ils ont déjà décidé de le faire au fond d’eux mêmes. Pour lui défendre n’est pas aimer, ce n’est même pas connaître celui qu’on défend. La défense doit être passionnée certes, mais le procès et l’accusé ne sont que le sujet, le cadre qui permettent de l’exprimer. La défense c’est cela, cette passion qui étreint l’avocat.
Tout est traité dans ce livre même la place de l’avocat pendant l’audience…je m’explique… Le procureur (qui est l’accusateur) siège à coté des jurés, à la même hauteur que la cour domine la défense qui est en contre bas. Cette différence de niveau entre l’accusation et la défense est bien le signe de la condition suppliante de celle ci dans notre justice. Une telle disposition et mise en scène n’est pas l’effet de l’hasard , elle exprime matériellement aux yeux des jurés que le procureur est bien du coté des honnêtes gens, alors que l’avocat, lui, est placé dans une situation intermédiaire entre l’accusé et eux mêmes.
Mais on découvre aussi ici les méandres de la procédure pénale, qui empêchent de produire au procès des éléments, des expertises nécessaire pour prouver l’innocence du prévenu, annulés pour vice de procédure. Alors que doit faire son défenseur ? Ici Badinter a choisi. Il a choisi la sanction disciplinaire devant le conseil de l’ordre. Sans doute le rapport innocentant Bontems avait été annulé et la loi lui interdisait d’en faire état. Mais peu importait pour lui, il fallait clamer cette vérité au jury. Ici il s’agit de passion, de passion pour la défense. Le « nous »utilisé pour parler de son client n’est pas du cabotinage, il est au contraire l’expression même de la réalité. « Nous » avons lutté, combattu, espéré ensemble. Mais au moment du verdict le « nous » est dissipé, il n’y a qu’un seul condamné. La défense n’est honnête et crédible alors qu’à l’instant ou elle comporte un péril pour celui qui l’assume. Philippe Lemaire dira « tous les avocats n’ont pas la chance de Malesherbes, guillotiné pour avoir trop bien défendu son roi. L’heureux avocat ! ».
Sommes toutes le verdict est sans appel…la peine de mort est prononcée pour Bontems…le fait d’être condamné a mort pour une personne qui n’avait pas tué a révolté Badinter. Les deux co-accusés seront condamnés grâce ou plutôt à cause du principe de la criminalité d’emprunt du complice…ce qui signifie que le complice est puni COMME auteur.
A partir de ce moment là, Badinter fut un des farouches partisans de l’abolition de la peine de mort (peine qu’il a fait abolir en France le 30 septembre 1981 en tant que Ministre de la Justice) et c’est pour cela qu’il accepta la défense de Patrick Henry. Ne vous méprenez pas , il ne s’agit pas ici d’accepter les crimes commis par le client mais de défendre. Mais au lieu de défendre un tueur d’enfant, Badinter fit le procès de la peine de mort. Et il gagna, Henry fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.