Yoko Tsuno, tome 1 : Le Trio de l’étrange – Roger Leloup
Yoko Tsuno
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Je vais être très honnête, je n’avais pas du tout envie de lire Yoko Tsuno. Je ne sais pas pourquoi, ça ne me tentait pas plus que ça. J’ai peut-être une petite idée sur la question, ayant toujours eu du mal à lire des histoires dont le personnage principal est une femme. Peut-être parce que je porte beaucoup d’attention aux-dits personnages et qu’à partir du moment où je ne peux pas m’y identifier ça me bloque inconsciemment, je sais pas… A moins que je sois un sexiste de base, qui sait ?
Mais par pure curiosité, j’ai ouvert le premier tome, histoire de voir à quoi ça ressemblait quand même. Découvrir qu’il existait 24 tomes avait de quoi m’étonner je dois l’avouer. Mais plus que tout, c’est la qualité graphique qui m’a foutu sur le cul. Tout l’aspect science-fiction de son histoire est servie par de fabuleux dessins où les vaisseaux et autres curiosités sont créés avec une imagination et une certaine logique incroyables ! Son trait fourmille de mille détails, et je ne suis pas étonné d’apprendre que Roger Leloup vient de l’école Hergé. Et je vais risquer de me faire des ennemis, je préfère sans nul doute la ligne de Leloup que celle d’Hergé ! Pire, son dessin met terriblement bien en valeur chaque facette de ce qu’il dessine et son découpage, dynamique, nous fait vivre une aventure où le rythme ne faiblit jamais. Merde, je vous le dis, c’est du grand art !
Quant à l’histoire, ça se laisse lire. Bien sûr, ça reste du Dupuis (jeunesse) avec une simplicité dans le développement psychologique des personnages. Mais après tout, nous n’avons là qu’un premier tome !
La place de la femme dans la BD…
Mais ce qu’il y a d’intéressant, me semble-t-il aussi dans cette série, c’est que l’héroïne est une femme. Le fait qu’elle soit Japonaise est aussi tout à fait original. J’ai écrit dans un texte sur Adèle Blanc-Sec que la BD de Tardi avait tout de la série féministe. Je n’en dirai pas autant de Yoko Tsuno, mais ce qui est flagrant, c’est que sortie en 1972, Roger Leloup rompt totalement avec les héros masculins de l’époque pour faire sortir une femme du lot. Bien sûr, bien qu’elle ait le rôle principal, dès ce premier tome, elle est accompagnée de deux acolytes qui semblent au début lui voler le premier rôle puis qui vont s’éclipser petit à petit pour laisser au spectateur le soin de découvrir le courage et la force de Yoko Tsuno. Je ne suis pas assez calé sur l’Histoire du féminisme, et j’aurai donc du mal à faire de Yoko une égérie du combat des femmes. Pourtant, il y a quelque chose en elle de terriblement moderne, de terriblement dans son temps. C’est une femme libre, indépendante, qui semble voyager (elle vient de loin), aventurière… La seule chose qui lui manquerait serait sans doute le côté sexuel propre au féminisme. On ne peut pas dire que Yoko, bien que très mignonne, respire la femme libérée sexuellement. Il ne faut pas oublier qu’on lit une BD Dupuis (on n’est pas dans la collection Repérages avec Largo Winch qui baise à tout va), et que cette BD est destinée à un public d’enfants, et la question du sexe n’est pas encore (l’est-elle aujourd’hui ?) d’actualité chez Dupuis.
De plus, un grand philosophe nous faisait remarquer qu’être une femme libérée, tu sais, c’est pas si facile.
Mais il faut rendre à César ce qui est à César. J’entends par là qu’il faut remettre les choses dans leur contexte. En effet, la BD Yoko Tsuno peut être considérée comme l’héritière d’un microcosme franco-français datant des années d’après guerre où l’État avait mis en place une loi assez spéciale visant à protéger l’intégrité morale des enfants de la France. Cette intégrité morale était saccagée par les comics outre-atlantique qui connaissaient à l’époque un fort succès. Il n’était par exemple pas tolérable que la violence, la haine, la guerre soient véhiculés dans les BD. Du coup, le 16 juillet 1949, une loi est pondue dans laquelle nous pouvons lire : “Les publications visées à l’article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques.”
Cette loi se traduit beaucoup par des héros asexués (Tintin, Spirou), l’apparition de stéréotypes sur les méchants (un monde tout blanc avec des méchants souvent tournés à la dérision), et avec un développement des femmes des plus exécrables (bien qu’il y ait quelques contre-exemples, je pense à Seccotine dans Spirou et Fantasio, femme indépendante et moderne). En effet, elles ont la plupart du temps des seconds rôles et n’apportent pas grand chose sinon très souvent une touche humoristique. Bien sûr, cette simple analyse ne prend pas en compte une série comme Astérix dont l’idée était de présenter un village gaulois comme la métaphore de notre société. Les femmes sont représentées telles que la société française les désire, avec cependant des caractères bien propres à chacune, et une volonté de montrer autant les faiblesses des hommes que des femmes.
Quoiqu’il en soit, avec Yoko Tsuno, on est en plein dans cette idéologie d’après-guerre avec des personnages très stéréotypés et une héroïne qui, ne vous inquiétez pas, ne fera pas de vos enfants des petits débauchés sans morale.
Reste que dans le genre BD jeunesse, Roger Leloup nous livre là un très bon premier album.
A noter que cette loi, au-delà de son aspect censure, avait pour but de protéger la production franco-belge de l’invasion américaine. Il faut le dire clairement, cela a fonctionné. Tuant au passage de nombreux magazines… (Faites quelques recherches sur google pour en savoir plus). C’est seulement dommage d’en être arrivé là…
Le livre est excellent.