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Jeremiah, tome 1 : La Nuit des rapaces – Hermann

Jeremiah
Tome 1 : La Nuit des rapaces. 1977

Origine : Belgique
Genre : Science-fiction, aventure, action
Dessins : Hermann
Scénario : Hermann
Editeur : Dupuis

La Nuit des rapaces, première aventure de Jeremiah (et Kurdy!), marque une étape importante dans la carrière de Hermann puisqu’il s’agit de la première bande dessinée dont il assure à la fois le dessin et le scénario. Avant ça, il s’est fait connaître dans le petit monde de la bande dessinée en tant que simple dessinateur, notamment sur les séries Bernard Prince et Comanche, toutes deux scénarisées par Greg. Le père de Achille Talon a d’ailleurs joué un rôle primordial dans la carrière de Hermann puisque c’est lui qui lui a mis le pied à l’étrier alors qu’il végétait dans un cabinet d’architecture. Peu pédagogue et très exigeant, Greg a néanmoins largement contribué à la maturation professionnelle de Hermann, au point que ce dernier a décidé de voler de ses propres ailes dés lors qu’il n’éprouvait plus que lassitude en mettant en images les scénarios de son compère, qu’il trouvait de moins en moins inspirés. Et c’est ainsi qu’en 1977, Hermann se lance dans l’aventure Jeremiah, personnage emblématique d’une œuvre riche et de qualité. De son propre aveu, les scénarios des premiers épisodes de la série sont profondément imprégnés de la façon de faire de Greg, preuve que même si il y a eu rejet de sa part, il a tout de même été à bonne école et qu’il sait se montrer reconnaissant.

Dans un temps incertain, les Etats-Unis deviennent le théâtre d’une lutte sans merci entre la population blanche et la population noire, lutte qui conduit à une véritable apocalypse. Le pays n’est plus que ruines et les survivants tentent tant bien que mal de renouer avec un semblant de civilisation soit au sein de communautés qui se suffisent à elles-mêmes, soit dans de petites villes généralement dirigées par un homme puissant disposant d’une forte milice. Jeremiah a grandi dans une de ces communautés avec sa tante Martha et son oncle Lukas et il ne connaît rien du monde extérieur et de sa dangerosité. Seul rescapé de l’attaque de sa communauté, il se retrouve livré à lui-même, ne disposant que de la compagnie du mystérieux Kurdy Malloy croisé tantôt, un jeune homme d’apparence frêle mais extrêmement dangereux. Tous deux se rendent à Langton, ville à la merci de Monsieur Birmingham, l’homme qui a ordonné l’attaque de la communauté de Jeremiah, et que ce dernier aimerait bien faire payer.

Des deux séries qui l’ont révélées – Bernard Prince et Comanche – Hermann a toujours confessé une nette préférence pour la seconde de par l’univers plus sombre et plus dur qu’il développe, celui de l’Ouest sauvage. Ainsi, insérer son héros dans un monde post-cataclysme nucléaire coule de source dans la mesure où ça lui donne toute latitude pour composer avec les codes du western, qu’il maîtrise parfaitement, tout en y injectant cette dose de contemporanéité sans laquelle les aventures de Jeremiah n’auraient aucun sens. Car Hermann met dans cette série beaucoup de lui-même et l’utilise pour donner son point de vue sur le monde qui nous entoure. Jeremiah naît d’un ras-le-bol, ce dont témoigne de manière radicale l’holocauste nucléaire qui ouvre ce premier épisode. Hermann ne jette pas un œil tendre sur notre société dont il fustige l’extrême violence et sa propension à écraser les plus faibles. Dépeindre les Etats-Unis après l’holocauste nucléaire lui permet de mettre en images une terre vierge, en timide reconstruction, à travers laquelle il évoque tout ce qui le heurte, l’interpelle ou le révolte au quotidien. Et au milieu de ce chaos ambiant, deux jeunes hommes très différents l’un de l’autre mais très soudés, parcourent les Etats-Unis, ballottés au gré des événements. En plus de planter le décor, La Nuit des rapaces orchestre la rencontre décisive entre Jeremiah et Kurdy Malloy, les deux alter ego de l’auteur.

Jeremiah est celui qui se rapproche le plus de l’auteur, ce qui explique qu’il donne son nom à la série. Bien éduqué, il s’efforce de se soumettre à une ligne de conduite, une éthique, qui le différencie du commun des mortels. Dans cette société redevenue primitive, il tente de réfléchir à ses actes et, tant que faire se peut, de se comporter avec humanité. Dans cette première aventure, il reste un enfant qui ne connaît rien au monde qui l’entoure réagissant encore avec impulsivité et une grande naïveté. Néanmoins, on devine déjà chez lui un caractère bien affirmé et une droiture qui lui occasionnera bien des désillusions. Kurdy Malloy est quant à lui bien différent. Il ne connaît pas la pitié (ou si peu), tue pour ne pas être tué sans se soucier de savoir si l’autre peut se défendre ou non. On sent chez lui le gars qui a déjà pas mal bourlingué et qui sait que sa survie est à ce prix. C’est un individualiste dont Hermann ne nous dira pas grand-chose. Tout juste laisse t-il deviner que Kurdy a un temps travaillé au service de Monsieur Birmingham (Fat-eye), celui-là même qui est à l’origine du massacre de la communauté de Jeremiah. C’est peut-être par culpabilité qu’il accepte la compagnie de Jeremiah. Mais plus sûrement, on peut voir dans son attitude une volonté de ne plus affronter ce monde seul, et quoi de mieux que d’associer une solitude à une autre solitude ? Lors de cette aventure, Kurdy se taille la part du lion, Jeremiah jouant en quelque sorte les demoiselles en détresse. En s’interposant dans une altercation entre Jeremiah et l’un des hommes de Fat-eye, Kurdy a signé son arrêt de mort. Dés lors, il met tout son talent au profit du sauvetage de sa vie, provoquant une véritable révolte au sein de la population opprimé de Langton. Il prouve ici toute sa malice, excellant dans l’art de flatter autrui lorsqu’il s’agit de s’en faire des alliés. Il en va ainsi du vieux Haggerty, un anarchiste qui dirige avec autorité la fronde populaire en suivant ses savants conseils. Personnage complexe et attachant, Kurdy n’a pas fini de révéler tous ses secrets. Quant à Jeremiah, il lui faudra patienter le deuxième tome pour prendre un peu plus ses aises et se familiariser avec son nouvel environnement.

Cette première aventure de Jeremiah nous révèle Hermann tel qu’on le pressentait à travers ses œuvres passées, enclin à nous montrer toute la laideur du monde. Il fuit comme la peste tout ce qui est lisse et unidimensionnel, avouant un très net penchant pour les gueules cassées et les décors sales. Il délaisse le beau pour une tonalité plus sombre et réaliste qui se retrouve dans son dessin, à des lieues de la ligne claire chère à son mentor. Ses personnages sont marqués par la vie et cela se lit sur leur visage. Solidement charpenté, le récit de La Nuit des rapaces pose idéalement les bases d’une série au long cours qui repose essentiellement sur l’alchimie entre les deux personnages principaux mais aussi sur les évocations d’une société en reconstruction avec l’émergence de nouvelles forces. Ici, Hermann évoque La Nouvelle Nation Rouge sans entrer plus dans les détails, si ce n’est pour nous apprendre que les survivants de la communauté de Jeremiah se trouveraient entre leurs mains. Conscient des impératifs d’une série, Hermann donne un but à son héros (retrouver sa tante Martha) histoire que les lecteurs aient une bonne raison de le suivre lors de ses prochaines aventures. Pour ma part, je n’avais pas besoin de ce subterfuge pour éprouver l’envie de retrouver le fameux duo.

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