Tu ne tueras point – Krzysztof Kieslowski
Krótki film o zabijaniu. 1988Origine : Pologne
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En 1988, Krzysztof Kieślowski réalise dix films librement basés sur les Dix Commandements, chacun d’environ une heure, tous réalisés pour la télévision polonaise, dont deux qui seront portés en long-métrages pour le cinéma. Tu ne tueras point est de ces deux-là. Le film s’ouvre sur des blattes mortes, puis enchaine sur le cadavre d’un rat mort, noyé dans une mare d’eau verdâtre, avant de se poursuivre sur un chat venant d’être pendu à une poutre par des gamins. En trois plans, on sait déjà que Tu ne tueras point n’est pas un film respirant la joie de vivre. Son intrigue croise les destins de trois personnes : Jacek, un jeune homme paumé dans la ville de Cracovie qui tue le temps en se livrant à des actes de méchanceté gratuite (balancer une pierre à partir d’un pont surplombant une autoroute, pousser un homme dans les pissotières des toilettes publiques…), jusqu’à finalement aller jusqu’à l’assassinat d’un chauffeur de taxi cynique et lui aussi désagréable. Le troisième homme du film de Kieślowski est Piotr, un jeune avocat idéaliste fraîchement diplômé qui aura la charge de défendre Jacek à son procès. Mais il échouera, et le jeune homme sera condamné à mort.
Le scénario de Tu ne tueras point n’est pas des plus imprévisibles : tout coule de source, tout est monotone et semble sans vie. Kieślowski livre un film extrêmement déprimant, et à ce titre le manque d’humanité de cette société polonaise de la fin des années 80 justifie ce destin sans surprise, tragique, irréversible qui sera celui de Jacek. Les rues sont verdâtres, monotones, l’architecture est morne, le ciel est lui aussi atteint par la désolation ambiante et prend des couleurs jaunes, brunes, grises. Les gens ne valent guère mieux : il n’y a pas de passion chez eux, ils sont le plus souvent irrascibles et inamicaux. Les quelques traces d’humanité sonnent complètement creuses dans cet environnement sans âme, comme le prouvera la tentative de communion d’un jeune Piotr fraîchement promu avocat et dont la joie qui ne demandait qu’à se communiquer sera méprisée par un automobiliste qui attend mollement que le feu passe au vert.
Jacek n’est qu’un des éléments de cette société, et ses actes de méchanceté sont en harmonie avec l’atmosphère de la ville et de ses faubourgs aux immeubles gris, typiques des constructions de l’ère communiste. Il partagera bien un sourire avec deux écolières, mais il reviendra très vite à sa solitude et à ses contemporains aussi monolithiques que le système politique dans lequel ils évoluent. L’assassinat du chauffeur de taxi sera prémédité et executé froidement, violement, et avec bien du mal. Kieślowski montre un meurtre de sang froid, laborieux, dérangeant car réaliste. Un vrai moment de douleur pour la victime, mais aussi pour le bourreau, qui commence à paniquer et à se rendre compte de l’acte qu’il est en train de perpétrer. Ce ne sera pas un hasard si le réalisateur ne montrera ni l’enquête policière ni le procès. Trop de mots seraient prononcés, et le film cherche avant tout à prendre le spectateur aux tripes, à lui faire ressentir des émotions primaires, jamais commentées. Ainsi, montrer la mise à mort juste après le meurtre permet à Kieślowski de comparer ces deux meurtres de sang froid. Car le propos du film est résolument contre la peine de mort, qui après tout n’est elle aussi qu’un acte de barbarie et un assassinat prémédité. Cette execution, cette pendaison, se fait d’une manière brutale, alternant moments solennels mettant très mal à l’aise (la dernière cigarette au milieu des policiers silencieux, dans une salle verdâtre, mal éclairée, face à la potence) et moment d’effusions. L’avocat, dans l’affaire, devra accompagner son client jusque dans ses derniers instants, et il aura la lourde tâche d’être le dernier à converser avec lui, et d’entendre son histoire personnelle, ses drames familiaux eux aussi abjects. C’est par cette confession qu’il ne demandait depuis le début qu’à partager que Jacek retrouvera l’humanité dont la société l’avait privé. L’avocat débutant perdra bien vite l’idéalisme des lendemains qui chantent que lui avait inspiré sa nomination au barreau.
Tu ne tueras point est un film très fort, un appel aux émotions humaines, aux sentiments. Son apparence de désolation et de dépression profonde cache en réalité la sensibilité d’un réalisateur élevé à l’élaboration de documentaires sur une société en pleine stagnation, résignée. Son film ne s’attarde pas sur les considérations politiques, il reste toujours empreint de cette touche documentaire qui pousse le spectateur à interpréter lui-même ce qu’il voit avec le prisme que représente malgré tout la caméra du cinéaste, et qui il est vrai n’est franchement pas très joli à voir. Contrairement au film, qui lui est à voir absolument.