Teen Spirit – Virginie Despentes
Teen Spirit. 2002Origine : France
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Le mois de novembre n’est pas que le mois du Beaujolais nouveau, c’est aussi celui de la remise des prix littéraires. En cette année 2010, il semblerait que les divers jurys se soient donnés le mot pour récompenser des auteurs à la fois populaires et polémiques. Au Goncourt qui a récompensé Michel Houellebecq pour La Carte et le territoire, le Renaudot a rétorqué en attribuant son prix à Virginie Despentes et son Apocalypse bébé. Tous deux apparus dans le paysage littéraire français dans le courant des années 90, les deux écrivains partagent un style volontiers rentre-dedans et une image quelque peu rock’n’roll. Si celle-ci s’avère plus évidente pour Virginie Despentes, dont l’œuvre fourmille de références musicales et qui a en outre collaboré à quelques reprises à la revue Rock and Folk, Michel Houellebecq n’est pas en reste avec notamment à son actif la sortie d’un disque contenant quelques poèmes de son cru mis en musique par Bertrand Burgalat. Ne connaissant de ces deux auteurs que leur image médiatique, je me suis dit fort à propos que l’occasion était trop belle de me familiariser avec leurs écrits. En bon gentleman, j’ai commencé par Virginie Despentes et ce Teen spirit, quatrième roman qui semble marquer un adoucissement au sein d’une bibliographie jusque là dominée par le sexe, la violence et les milieux interlopes.
Bruno, 30 ans, vit aux crochets de sa petite amie Catherine depuis maintenant deux ans. Deux années durant lesquelles il s’est refusé à mettre le nez dehors ou à écrire ne serait-ce qu’une ligne du roman annoncé. Il mène une vie de reclus, n’ayant comme seuls contacts réguliers avec l’extérieur que les coups de fil quotidiens de son amie Sandra. Et c’est justement un coup de fil qui va totalement bouleverser son existence. En acceptant de répondre à l’appel de Alice Martin, une ancienne conquête, et plus encore en consentant à la revoir pour un tête-à-tête, Bruno a sans le savoir mis un pied dans l’âge adulte. S’étant mis dans la tête qu’elle allait lui annoncer qu’elle avait le sida, quelle n’est pas sa surprise lorsqu’il apprend qu’il est papa d’une adolescente de 13 ans…
Dans la carrière de Virginie Despentes, Teen spirit intervient après sa propre adaptation pour le cinéma de son premier roman Baise-moi. Une adaptation qui, plus que le livre à l’époque, a engendré un véritable scandale par cette manière très crue de mêler sexe et violence. Avec ce film, elle est en quelque sorte allée au bout de ce qu’elle pouvait faire en matière de trash. Le thème même de Teen spirit n’est donc pas anodin. Virginie Despentes en profite pour mettre de l’eau dans son vin en remisant l’aspect sulfureux de ses écrits au placard. Il en résulte un roman finalement très classique dans son fond comme dans sa forme mais pas désagréable à lire. Écrit à la première personne, le récit se permet un langage familier dont le verlan n’est pas exclu, ce qui accentue le côté vieux jeune de Bruno. Toutefois, Virginie Despentes démontre de-ci de-là qu’elle ne saurait se contenter de cette seule astuce d’écriture, parsemant son roman de jolies tournures de phrases attestant d’un style qui lui est propre. En outre, elle sait éviter tout pathos au sein d’un récit qui pourtant s’y prêtait, conservant un regard amusé sur les vicissitudes de Bruno et son nouveau rôle de père. C’est d’ailleurs à ce personnage que le roman doit sa réussite. Sa vision de l’existence, son côté lymphatique parfaitement assumé puis ses maladroites velléités paternelles apportent au roman sa couleur chaleureuse. Bien qu’il puisse parfois se comporter en parfait connard, on ne peut que nourrir une certaine empathie pour ce personnage tout ce qu’il y a de plus humain et dans lequel on peut quelques fois se reconnaître. Certes, sa trajectoire est connue d’avance. Néanmoins, Virginie Despentes sait éviter les chausse-trappes d’un récit qu’elle se refuse de conclure de manière définitive et trop ouvertement heureuse. Libre à nous de nous faire l’idée que l’on veut des ultimes résolutions de Bruno dont on sait pertinemment les difficultés qu’il éprouve à les tenir.
Sans être une œuvre d’une grande originalité et d’un style inoubliable, Teen spirit s’avère un roman rafraîchissant sur les thèmes généralement plombant des familles décomposées et de la crise d’adolescence. Un bon point pour une écrivaine que je ne serais pas opposé à découvrir davantage.