La Tour sombre VI : Le Chant de Susannah – Stephen King
The Dark Tower VI : Song of Susannah. 2004Origine : Etats-Unis
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Enfin ! Avec Les Loups de la Calla, Stephen King avait enfin entamé le sprint final de son “magnum opus”, de la “Jupiter du système solaire de son imagination“, de l’œuvre phare de sa carrière, celle à laquelle de nombreuses autres se rattachent. Problème : bien qu’il semblait avoir enfin les idées claires quant à la direction à prendre pour conclure son interminable fresque (c’est du moins ce que laisse à penser la rapidité avec laquelle il a pondu les trois derniers volumes), King n’en avait pas pour autant profité pour faire du cinquième volet un réel progrès dans les multiples enjeux qu’il avait posés depuis parfois fort longtemps. Il continuait plutôt son petit bonhomme de chemin au rythme d’un escargot désinvolte, passant la plupart de ses nombreuses pages à gérer une sous-histoire qui au final ne nous a pas apporté grand chose avant son dénouement. Si ce n’est de nouveaux mystères, dont le moindre n’est pas la mention de Stephen King lui-même par ses personnages… Ce qui en soi aurait pu être malin, si cette idée n’était pas déjà venue s’ajouter à de nombreuses autres questions en suspens. C’est donc à reculons que je me suis plongé dans Le Chant de Susannah, espérant au moins que King éviterait une nouvelle diversion (qui serait la troisième d’affilée) juste avant le tome final.
Après avoir triomphé des loups de la Calla, le “ka-tet” de Roland s’est retrouvé amoindri d’une unité. Ou plus exactement il aurait dû en gagner une (le père Callahan), mais la fuite solitaire de Susannah à travers la porte communiquant avec un autre monde a contrarié cette perspective. Possédée par Mia, mère protectrice du démon qui l’a violée dans Terres perdues, Susannah voit l’accouchement se rapprocher et va tout faire pour éviter que Mia ne se jette -ou plutôt jette leur corps commun- dans les griffes des sbires du Roi Cramoisi, qui semble avoir des plans bien arrêtés pour le monstrueux bébé à naître.
Décidés à partir à sa recherche, les autres membres du ka-tet doivent cependant retrouver Calvin Tower, qui est propriétaire du terrain qui dans un autre “quand” et un autre “où” abrite une rose, qui serait l’incarnation de la Tour. Calvin Tower qu’ils avaient été mettre à l’abri pour ne pas que les envoyés du Roi Cramoisi ne le force à leur vendre son terrain. Et puis…
Oh, et puis merde. Fi du résumé : en faire un n’a aucun sens dans la mesure où il y a encore trop de tenants et d’aboutissants en suspens. Disons juste que pendant que Susannah et Mia (et Detta Holmes, la double personnalité de Susannah dans Les Trois cartes qui revient également : plus on est de fous plus on rit) se baladent dans New York en attendant l’accouchement, les autres sont divisés en deux groupes : Jake et Callahan qui courent après elle, et Roland et Eddie qui courent après Calvin Tower et Stephen King, qui devient ainsi son propre personnage.
Vous l’aurez certainement compris : Le Chant de Susannah part encore dans toutes les directions et va essayer d’apporter des réponses. Et il en apporte, clarifiant ainsi les zones d’ombre. Mais à quel prix ? Et bien celui d’une intrigue éclatée en morceaux (chacun des trois points de vue étant un amas des sujets évoqués dans les précédents romans) et franchement indigeste. Disons le sans ambages : quoique plus court que les précédents, qui au moins se laissaient suivre sans grande difficulté (à part Le Pistolero) ce sixième tome est extrêmement pénible. Du genre à vous tomber des mains toutes les 10 pages. La division de la narration en plusieurs points de vue ne dispose pas de cette qualité feuilletonnante que l’on retrouvait dans Terres perdues ou dans d’autres romans de Stephen King : ce sont presque trois histoires distinctes, chacune étant encore moins palpitante que la la précédente. La palme du surfait revenant à Mia / Susannah / Detta, dont l’aventure se limite à une sorte de dialogue mental nous révélant l’histoire pleine de pathos de Mia (on s’en fout complétement !) et peaufinant le passé de Susannah jusqu’à cet accouchement dont le point final n’est toujours pas révélé une fois le livre terminé. King se veut spirituel et cherche à faire naître un drame faustien qui se révèle irritant jusqu’à affecter son style d’écriture. Il n’y a strictement rien à retenir de ces parties vaguement lyriques, poussant le vice jusqu’à nous infliger quelques scénettes décousues censées nous plonger dans des cauchemars prémonitoires ou des refuges mentaux (avec des écrans vidéos pour voir ce que font les autres personnages !) au sein même de la prison mentale dans laquelle vit Susannah. Poussif, maniéré et superflu.
De leur côté, Jack et Callahan cherchent donc à mettre la main sur Tower, voulant dépasser les hommes du Roi Cramoisi qui sont également à sa recherche. Très certainement ce qu’il y a de plus lisible dans le roman, cette partie “action” laisse cela dit de grands espaces aux discussions sur les fils rouges de la saga, ce qui donne la désagréable impression que King cherche à rattraper le temps perdu en chargeant la mule. D’autant plus qu’il doit se réserver une place à lui-même, puisqu’il est appelé à devenir un personnage. Ce qu’il fait dans la sous partie “après Tower”, recourant à peu près au même procédé que Wes Craven pour son Freddy sort de la nuit : les créatures reviennent hanter leur créateur. Ce qui est surtout un moyen pour King de démontrer une fois de plus à quelle point la saga La Tour sombre est importante dans son esprit : elle attire à elle d’une manière ou d’une autre tous ses autres romans, qui se déroulent en fait à différents niveaux de l’univers dominé par la tour. Celle ci serait l’imagination de Stephen King. C’est du moins ce que l’on pensait. Car en organisant la visite chez lui (à son début de carrière) de ses propres personnages, l’auteur se réduit au rang d’émissaire de la tour. Celle-ci ne serait donc pas son imagination, mais son imagination aurait au contraire été stimulée par la tour, faisant de lui un simple porte-voix. Beaucoup ont reproché à King de se montrer prétentieux dans ce tome : je dirais qu’il s’agit plutôt d’un excès de modestie qui a franchement du mal à passer (en partie parce qu’il force le trait pour s’auto-caricaturer). Pire, en voulant à tout prix se montrer comme un messager de la tour, fut-il vital (car sans ses écrits, tous ces mondes n’existeraient pas), il cherche à insinuer que plusieurs de ses excellents romans n’auraient pu voir le jour sans sa fascination pour sa saga. Preuves à l’appui : la tortue ennemie de grippe-sous le clown dans Ça trouve par exemple son explication dans Le Chant de Susannah. Fort heureusement, la lenteur avec laquelle il a accouché de sa saga ainsi que le flou autour de son devenir l’a longtemps empêché de truffer ses écrits de références à “l’entre deux mondes”. Mieux vaut en effet qu’il tente de se les réapproprier sur le tard dans les livres de La Tour sombre. Il n’y a pas qu’elles qu’il se réapproprie, d’ailleurs : en s’impliquant lui-même, et en impliquant avec lui le monde réel, notre monde, seul niveau immuable de la Tour qui ne peut être modifié dans ses romans, il lie sa propre destinée et celle de notre monde à sa saga et se met alors à partir dans ses considérations qui donnent mal au crâne… Le dernier chapitre du roman, qui est en fait le journal (fictif) de l’auteur depuis qu’il a eu l’idée de sa saga jusqu’à la publication du Chant de Susannah, entame la construction d’un cause à effet entre d’une part l’accident de voiture dont King a été victime (qui sera donc j’en prends le pari un attentat du Roi Cramoisi, voué à la destruction de la tour) et l’attentat du World Trade Center. Voilà qui nous promet encore de belles acrobaties spirituelles (ou du grand n’importe quoi, si tant est que nous n’y sommes pas déjà) dans le dernier tome à venir. D’autant plus que si la partie Susannah / Mia n’a pas trouvé son dénouement, celle de Jake et Callahan n’en a pas eu davantage. Ce tandem (ou plutôt trio puisque le baffouilleux Ote est avec eux) a en effet passé son temps à courir après Susannah sans la rattraper ailleurs que dans le final. La suite au prochain numéro.
Que dire du Chant de Susannah ? Qu’il commence à résoudre certaines questions, certes, mais depuis le temps qu’elles sont en route je dois admettre que cela ne me fait ni chaud ni froid. D’autant plus que ces embryons de réponses sont donnés sans que rien ne facilite leur lecture, le roman ayant tendance à se montrer statique et à se perdre dans le romantisme médiéval plein de lyrisme (King en fait des tonnes sur la rose, et conclue chaque chapitre sur quelques vers explicatifs censés être le fameux chant du titre). Bordélique comme un Retour vers le futur 2 qui se prendrait au sérieux, introspectif comme un Freddy sort de la nuit qui se voudrait épique, Le Chant de Susannah est proprement insupportable.