Evadés de l’enfer ! – Hal Duncan
Escape from Hell !. 2008.
Origine : Royaume-Uni
Genre : Fantastique
Auteur : Hal Duncan
Editeur : Folio SF
Hal Duncan est un auteur que je connais peu mais dont on entend beaucoup parler dans le milieu de la littérature SF. En effet le jeune auteur écossais se traîne une réputation de surdoué de la littérature, qui révolutionne la science fiction, et ce depuis son tout premier roman en fait. Ce qui est tout de même assez inhabituel et totalement intriguant. Il faut dire que le bouquin en question, Velum, a de quoi impressionner. Déjà physiquement, la bête pèse 680 pages et constitue le premier volet d’un diptyque. A l’intérieur ensuite, c’est construit comme un labyrinthe fait d’entrelacements entre de nombreux récits qui se déroulent parallèlement mais dans des temporalités différentes où Histoire et Uchronies se côtoient, elles mêmes inscrites dans une méta-histoire qui en gros recouvre l’ensemble des mondes possibles, tous les présents, passés, et futurs imaginables.
Bref c’est exigeant et ça donne le vertige rien que d’en lire les critiques. Lâchement je n’ai donc pas lu ni Velum ni sa suite Encre (qui forment à eux deux Le Livre de toutes les heures) même si tout cela m’intriguait bien (mais un jour je le lirai !).
Mais revenons au bouquin qui nous concerne ici. Évadés de l’Enfer ! est le troisième et pour l’instant dernier roman de Duncan. Et son pitch est moins impressionnant que celui des précédents, puisqu’en fait, il tient dans le titre du livre. Il s’agit en effet de l’histoire de quatre personnages qui se retrouvent en enfer au début du roman et qui vont tenter de s’échapper. Je déconseille d’ailleurs la lecture du quatrième de couverture qui en dit un peu beaucoup sur les personnages et gâche un peu du suspense. Rien de dramatique toutefois mais le titre suffisait largement à caractériser ce court roman qui tranche nettement avec le diptyque qui le précède.
Exit donc l’affolante complexité et les univers multiples. Place à un roman à l’aspect “pulp” totalement assumé, qui déroule une histoire simple et linéaire à un rythme effréné. Le tout se lisant quasiment d’une traite, en un souffle rapide et violent comme le suggère le point d’exclamation qui finit le titre.
L’histoire regorge de scènes d’actions et de fusillades, et tient quasiment du récit d’aventures tant l’incroyable fuite des quatre héros est palpitante et riche en rebondissements. Cette idée est venue à l’auteur lors d’une conversation avec l’un de ses amis dans un bar, en imaginant un pitch de cinéma hollywoodien barré et plein d’explosions. Et il y a effectivement du cinématographique dans ce roman qui fait beaucoup appel à notre imagination visuelle. Les dialogues y sont très succincts pour laisser la part belle à la description d’actions effrénées qui s’enchaînent à un rythme presque aussi rapide que du 24 images par seconde.
Évadés de l’Enfer ! est donc immédiatement très prenant et divertissant. Le livre se laisse lire très facilement et je me suis surpris à tourner très rapidement les pages dans ma hâte de savoir la suite. Duncan prouve avec ce roman qu’il est injuste de le réduire à un auteur intello qui se drape dans la complexité de ses intrigues pour regarder le monde de haut.
Toutefois, il serait injuste de réduire Évadés de l’Enfer ! à un simple divertissement, et le roman a bien plus de points communs avec Le Livre de toutes les heures qu’il n’en a l’air.
Car derrière le déluge d’action et de fusillades se cache en réalité un petit brûlot politique et religieux particulièrement incisif. Hal Duncan use avec habileté de sa plume incisive et de ses métaphores subversives pour dresser le portrait d’une société particulièrement sans pitié pour l’individu.
De manière très voyante et limpide, Duncan nous décrit l’enfer comme un endroit très bureaucratique dont l’architecture faite de tours de béton nous est très familière. Flammes, diables rouges et autres figures moyen-âgeuses et exotiques laissent place à un paysage morne bien plus réaliste et moderne, où les chaudrons sont remplacés par des hôtels de passes et des hôpitaux, et les démons par des flics pervers et des médecins tortionnaires qui abusent de leurs pouvoirs. La description de cet enfer moderne est assez saisissante et le parallèle avec notre quotidien sera fait rapidement. Mais ce n’est pas là que se situe la véritable charge politique du livre. De manière plus subtile, Hal Duncan introduit peu à peu l’idée que les architectes de cet enfer ne sont autres que les humains. Et la satire de devenir un peu plus philosophique en condamnant farouchement le système de valeurs moralistes de nos sociétés occidentales. L’idée majeure de ce roman étant que chacun se construit son propre enfer en éprouvant de lui même de la honte pour les actions jugées mauvaises par l’ordre établi, par la religion, par les autres.
Ce roman démontre de bien glaçante manière que la religion a mis un policier dans la tête de chaque individu. Ce faisant il se dégage de Évadés de l’Enfer ! un petit côté blasphématoire et dissident qui ne déparait pas avec la nationalité écossaise de l’auteur, et son roman de remettre allègrement en question tout le message éthique de la Bible avec classe et talent littéraire. Car c’est là finalement la plus évidente qualité du roman, c’est très bien écrit. Hal Duncan a un style bien à lui, et les métaphores ne sont pas présentes que dans la narration. Par moment le roman en devient presque poétique. Son talent s’exprime aussi dans la parfaite gestion de la narration, et il transcende une histoire toute simple en quelque chose de véritablement très grand autant par la portée philosophique qu’il lui donne que par son écriture fluide et riche de sens.
Bref, Évadés de l’Enfer ! est un très très bon roman que je recommande chaudement et qui constitue à mon sens une excellente introduction pour découvrir un auteur qui est en train de devenir rien de moins qu’incontournable pour les amateurs de littérature de l’imaginaire.