Colorado Kid – Stephen King
The Colorado Kid. 2005Origine : Etats-Unis
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Journaliste stagiaire, Stephanie McCann apprend le métier sur l’île de Moose-Lookit, dans le Maine. Ses tuteurs, David Bowie (oui oui…) et Vince Teague sont deux vieux bonshommes pleins de gouaille avec lesquels elle est heureuse de travailler. A eux deux, ils forment l’intégralité de la rédaction du Weekly Islander, et conservent la mémoire de l’île. Suite à un entretien avec un journaliste du continent venu leur demander s’ils n’avaient pas quelques histoires non résolues à lui conter, Stephanie poursuit elle-même la conversation sur le sujet, devinant que ses amis n’ont pas tout dit. C’est alors qu’ils lui révèlent l’anecdote du Colorado Kid, cadavre d’un homme retrouvé sur la plage il y a une vingtaine d’année. La différence entre cette histoire et celles racontées au collègue du continent ? Et bien c’est que l’histoire du Colorado Kid n’en est pas vraiment une : ça reste un vrai mystère de bout en bout, et il serait bon que ça demeure ainsi.
Une fois n’est pas coutume, Stephen King fait court ! 150 pages dans cette édition de poche qui, dans sa version américaine d’origine, constitue la première contribution de l’auteur à la jeune maison d’édition Hard Case Crime spécialisée dans le roman noir, nouveau ou ancien. Toutefois, il n’est pas impossible que les éditeurs aient publié King à une fin avant tout commerciale, tant The Colorado Kid s’avère éloigné du roman noir. Il traite bien d’une enquête et d’un mort, mais aucunement sur le mode bien connu des pulps d’antan, ni même à la façon des polars contemporains à la James Ellroy ou Edward Bunker. Nous sommes bien dans du policier, mais avant tout dans du Stephen King pur jus, le chantre des petites communautés urbaines du Maine et des faits divers mystérieux. Plus spécifiquement, nous sommes dans le Stephen King du XXIe siècle, celui qui se livre volontiers à l’introspection et à l’analyse de son propre métier. Car l’épisode du Colorado Kid et la façon dont il est raconté par les deux anciens n’est qu’un moyen de mettre en scène le sujet principal du livre, c’est à dire de parler un peu de ce qui fait un véritable mystère, c’est à dire quelque chose qui reste dans les esprits et avec lequel on -ou du moins King- entretient une certaine proximité personnelle, par opposition à ces histoires devenues quasi légendaires et qui sont entrées dans la culture. Le mystère est selon lui quelque chose qui n’apporte aucune réponse à la multitude de questions qui l’entoure, aucune moralité et qui du reste n’est même pas forcément structuré. A l’inverse, une histoire est balisée : il y a un début, un milieu et une fin, même si tout ceci ne prend forme qu’avec des déductions personnelles. C’est ce dernier type de récit que Bowie et Teague ont donné au journaliste venu les voir, car c’est très certainement ce qu’il attendait. Dans le cas du Colorado Kid, bien que des trouvailles aient pu être faites par l’enquête menée par eux-mêmes, dans le fond personne ne sait toujours rien de ce qui est arrivé à cet homme venu en une journée du Colorado pour être retrouvé mort le lendemain matin adossé à une poubelle sur la plage de Moose-Lookit. Les éléments découverts ont même intensifié le mystère, là où les autorités compétentes de l’époque ont vite classé l’affaire en validant la thèse de l’étouffement accidentel avec de la nourriture. Ainsi, ni la femme ni les collègues du Colorado Kid n’ont la moindre idée de ce qu’il était venu faire là, et s’expliquaient encore moins la présence d’une pièce russe sur lui ou du paquet de cigarettes retrouvé sur lui alors qu’il ne fumait pas. Des questions qui restent sans réponse. Au point qu’il est même difficile pour les vieux journalistes d’émettre leurs propres théories sur ce qui a pu se passer dans la tête de cet homme. En entrecoupant le récit de l’enquête mené par Bowie et Teague avec les interrogations de la stagiaire, King fait de cette dernière le porte-voix du lecteur, qui se pose des questions qu’elle pose à son tour à ses tuteurs. Et le lecteur ressent la même frustration qu’elle devant le manque de faits, ou, quand ils existent, devant leur improbabilité. Ce qui est un gage de réussite quant à l’attractivité du livre. Ce n’était pourtant pas gagné quand l’on songe que si l’évocation de l’enquête menée naguère par les journalistes est bien effectuée chronologiquement, elle est malgré tout hachée par des réflexions plus larges sur la portée de l’affaire ou par les retours au présent dans lesquels le narrateur reprend ses droits (par contraste avec les récits de Bowie et Teague, racontés à la première personne).
The Colorado Kid est donc un livre très didactique amenant effectivement à se poser la question de ce qui rend un récit de ce style attractif. L’aura de mystère insoluble, qui n’est pas forcément enveloppé de fantastique, joue un rôle prédominant, bien plus que lorsqu’un évènement se retrouve balisé et amène tout de suite un tas de suppositions qui, vraies ou fausses, gomment les zones d’ombres et le transforme en histoire plus ou moins proche de la légende, accessible à tous. Non pas que cette dernière solution soit moins bonne, surtout du point de vue du lecteur, mais se pose également la question du rapport personnel entre le mystère et celui qui essaie de le résoudre. Ce dernier s’y trouve impliqué à un point que ne pourrait pas reproduire une histoire classique, où toutes les solutions ont déjà été trouvées, et que l’on finit éventuellement par oublier une fois les conclusions tirées. Dans le cas du Colorado Kid, les journalistes, ainsi désormais que leur stagiaire et amie, ne se sentent pas prêts à partager leurs connaissances avec le premier venu, qui risquerait de biaiser l’opinion en refaçonnant son récit de façon à ce que le lecteur ne reste pas dans l’incertitude. Le vrai mystère, vu comme quelque chose de noble, ne pourrait alors plus avoir cours. En faisant part de leur histoire à leur stagiaire, en laquelle ils ont toute confiance, ils aident aussi à la faire entrer dans leur monde et à reprendre leur flambeau. Il y a là une certaine forme de sectarisme, mais que l’on pourrait aussi bien décrire comme de l’intimité, et qui traduit également une vraie proximité avec les personnes impliquées, à commencer par le Colorado Kid lui-même. L’intimité se traduit aussi dans la façon dont Bowie et Teague partagent cette affaire avec Stephanie, dans le cadre très confiné de cette île du Maine, elle-même réduite au seul local du Weekly Insider. Au point que King en fait même un peu trop pour nous faire ressentir l’harmonie -confinant à la télépathie- qui règne entre ces personnages du temps présent, trop convenus (à force de caractériser tous ses personnages de façon similaire, King commence à user la corde) et somme toute assez lisses. Un dernier reproche que l’on pourrait adresser à l’auteur tient à sa postface, qui pour le coup va à l’encontre de l’éloge du mystère qui caractérisait le roman. Non pas qu’il dise de quoi il en retourne, bien au contraire : il étend l’analyse du mystère à des conceptions métaphysiques, allant jusqu’à faire la parenté entre la beauté d’un mystère littéraire, ou policier, et celle des grands mystères de la vie du style “d’où venons-nous ?” et “où allons-nous ?“. Franchement dispensable. Il aurait mieux valu laisser le lecteur complétement dans le flou car privé de dénouement ou d’explication sur le pourquoi du comment. Cela ne nuit toutefois pas à la réussite de ce court essai maquillé en roman.