A l’est d’Eden – John Steinbeck – Critique
East of Eden. 1952Origine : Etats-Unis
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Entrer dans un livre de Steinbeck n’est pas entrer dans n’importe quel livre. Il est de ces auteurs qui ont cette capacité exceptionnelle de vous cloîtrer dans leur univers et de vous y laisser. A l’Est d’Eden est de ces livres qui se lisent et qui se relisent. On se surprend à relire certains passages tellement le plaisir de la découverte est immense. Publié en 1952, A l’Est d’Eden est un livre retraçant l’histoire de deux familles vivant dans la vallée de Salinas en Californie. Né John Ernest Steinbeck III en 1902 à Salinas (il faut croire que le prénom Ernest aide au talent), il rend dans ce roman un hommage vibrant à la région où il a grandi.
Il serait difficile de résumer en quelques lignes l’ensemble de ce livre. Plus de 600 pages parmi lesquelles John Steinbeck retrace à travers une vraie saga la vie de personnages tiraillés par leurs démons ou leurs anges intérieurs. Car A l’Est d’Eden est un peu l’histoire de la religion. Religion au sens propre du terme, du latin religare qui veut dire lier. Car c’est l’histoire de liens entre ces divers personnages. Tout d’abord la famille Trask dans le Connecticut, avec Adam, l’un des personnages principaux et son frère Charles et leur père, grande gloire militaire qui aurait participé à tant de batailles, mais qui n’est en fait qu’un beau parleur qui laissera une grand richesse à ses enfants. Adam quittera l’Est pour la Californie et partira avec Kate dont il est éperdument amoureux, femme manipulatrice et démoniaque qui n’aime personne. Il y rencontrera Sam Hamilton, inventeur fou et pauvre, intelligent et curieux, sage et malin qui laissera toute une tripotée d’enfants dont la mère de John Steinbeck, Olive Hamilton, fille de Sam, Lee, serviteur d’Adam, Américain d’origine chinoise, personnage attachant, fort, vibrant et lucide. Adam aura deux fils avec Kate, des jumeaux, Caleb et Aaron. Kate les abandonnera pour tenir un bordel.
Difficile donc de résumer tout cela. Car c’est une histoire qui n’a pas vraiment de début, ni de milieu et dont la fin aspire à la continuité. Bien évidemment, Steinbeck ne s’en cache pas, ce livre fait référence à la Bible, mais surtout au mythe d’Abel et Caïn. L’enfant aimé de Dieu et l’autre rejeté. Il y a la mort de l’autre, il y a la lutte entre le bien et le mal, et il y a le contexte historique et géographique. La Californie chère à Steinbeck, héberge toute une tripotée de personnages qui jouent tous un rôle important, utile. Les uns après les autres se libèrent du poids du temps, les uns après les autres disparaissent, survivent, s’interrogent, grandissent, aiment ou haïssent.
C’est tout simplement un livre extraordinaire. Le style de Steinbeck s’adapte parfaitement à cette longue saga jamais ennuyeuse où il n’y a rien à jeter. Tout est parfaitement intelligent, les chapitres se suivent et ne se ressemblent pas, les personnages qui luttent à travers les mots de l’auteur sont autant d’acteurs de la tragédie de la comédie humaine. Certains réussissent d’autres pas. Certains se suicident, d’autres survivent. Mais c’est aussi l’occasion de découvrir la vie d’une ville comme Salinas au début du 20ème siècle avant la première guerre mondiale mais aussi pendant. C’est l’opportunité de voir toute une ville s’en prenant à un Allemand et faisant brûler sa maison et le tuant. C’est aussi l’histoire d’un peuple emprunt de doutes, victime du rationnement, victime des changements du début du siècle de cette accélération du monde. C’est l’histoire d’hommes et de femmes qui tentent de vivre et qui ne sont que des êtres humains, victimes de leurs pulsions. Ainsi, Steinbeck n’hésite pas à s’en prendre à ses personnages, il ne leur épargne rien, ne les enjolive pas, ne fait pas d’eux des héros populaires, juste des hommes. Bien sûr, l’auteur s’attache à certains de ses personnages, on sent la tendresse qu’il a pour Caleb, Adam, Sam Hamilton et Lee. Et bien évidemment, très naturellement, on se prend d’affection pour ces personnages différents, pour ces hommes hors du temps, qui luttent contre l’ignorance. Caleb ira même jusqu’à lutter contre sa nature, contre ses démons et deviendra un des personnages les plus importants du livre bien qu’il ne soit développé que vers la fin. D’ailleurs, le film qui en sera adapté avec James Dean s’attachera à développer les personnages des frères jumeaux avec un James Dean qui crèvera l’écran et fera passer tous les autres acteurs au second plan. C’est un peu ce qu’il se passe dans le livre avec un personnage ambiguë à la recherche de l’amour de son père.
Ainsi, A l’Est d’Eden s’inscrit dans la lignée de ces livres de Steinbeck qui a puisé son inspiration dans sa Californie natale. C’est une œuvre magistrale, ni plus ni moins, qui a traversé le siècle et qui n’a pas vieilli. Elle parle d’universalité, elle parle de nous tous, de l’humanité, de la fraternité, de la différence, de la haine, de l’amour. C’est un livre très intelligemment écrit et construit, un livre dont chaque page est importante, dont chaque description nous emporte vers les paysages décrits, où chaque sentiment s’impose en nous comme une évidence. C’est un livre parfois drôle, parfois sombre, parfois triste, émouvant, souvent puissant. Bref, c’est un chef d’œuvre de plus dans la bibliographie exceptionnelle de John Steinbeck, auteur talentueux.