L’Invasion des profanateurs – Philip Kaufman
Invasion of the Body Snatchers. 1978Origine : Etats-Unis
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Beau casting pour cette deuxième adaptation à l’écran du livre de Jack Finney, après un film original signé par Don Siegel en 1956 marqué par l’idée de déshumanisation et de paranoïa inhérente à un climat de guerre froide alors fort palpable. Mais bien que rendant hommage à son illustre prédécesseur avec les caméos de Don Siegel en chauffeur de taxi et de Kevin McCarthy, acteur principal du film original qui apparait ici dans une scène réminiscente du dénouement du film de Siegel, le film de Philip Kaufman est située dans un tout autre contexte. Celle, peu glorieuse, de l’après-Vietnam et de l’après Watergate. Le péril n’est plus l’intrusion du communisme ou quoi que ce soit, mais il vient cette fois de l’intérieur même de l’Amérique.
L’histoire, tout le monde doit la connaître : Matthew Bennett (Donald Sutherland), ici fonctionnaire des services d’hygiène, est convaincu par son amie Elizabeth (Brooke Adams) que certains hommes ne sont plus eux-mêmes, et qu’une forme de vie non identifiée s’évertue à prendre l’apparence de leurs victimes pour planifier dans le secret une invasion de grande ampleur. En compagnie d’un couple d’amis (Jeff Goldblum, fidèle à lui-même, et Veronica Cartwright) acquis à leur cause ainsi que d’un psychiatre incrédule (Leonard Nimoy), ils essaieront de fuir. Une chose difficile, puisque c’est pendant le sommeil, que ceux-ci prennent possession des individus.
D’emblée, le film s’inscrit dans un réalisme bien plus poussé que la version de 1956, et annonce sa volonté d’expliquer l’invasion au moyen d’éléments naturels bien plus concrets que les simples cosses que l’on apercevait dans le premier film. Non pas que celles-ci ne soient plus là, non, mais tout le processus de transformation est illustré à l’écran et découle de l’invasion première d’une faune que l’on subodore extra-terrestre, et qui elle aussi ne présentait en apparence rien d’anormal. Cette vision de la nature donne tout de suite au film des allures bien moins naïves que le film original, et permet également à Kaufman de jouer davantage la carte de l’angoisse, puisque chaque élément naturel devient une éventuelle menace pour des protagonistes qui assistent de temps à autres au développement de leurs propres doubles, qu’ils auront eux-mêmes à mettre hors-service.
L’angoisse joue donc une large place ici, et le tout-spectaculaire n’intervient pratiquement jamais, cédant le pas à des scènes presque hitchcockiennes où à chaque carrefour, où dans chaque pièce peut se cacher une cosse, un des “ennemis” ou même une simple plante infestée. Une grande partie du film se déroule de nuit, ce qui permet à Kaufman de jouer avec ses zones d’ombres, endroits parfaits pour créer un sentiment de crainte. Et puis bien entendu, comme dans le film original, il subsiste toujours le doute que l’un des personnages soit lui-même un “espion”, un ancien humain s’evertuant secrètement à prendre au piège ses accolytes. C’est le cas notamment du personnage de Leonard Nimoy, le psychiatre rationaliste, à la personnalité déjà très froide (et les “aliens” présentent eux-même la particularité de ne jamais montrer de sentiments), et qui se fait d’autant plus incrédule qu’il est le seul du groupe de cinq personnes à ne pas avoir vu de ses yeux de duplicatas humanoïdes. Kaufman le place bien à un moment donné dans une situation propice, mais il coupe habilement sa scène avant que le spectateur n’ait véritablement eu le temps d’avoir des certitudes.
Derrière tout ceci se cache donc un discours post-Watergate, où cette fois les habitants ne peuvent plus avoir confiance en leurs dirigeants, qui dans l’ombre préparent des choses guère reluisantes. C’est ainsi que la police, les autorités (le maire, notamment) et les fonctionnaires de tout poil ne font strictement rien et semblent même orchestrer tous les évènements, tendant systématiquement des pièges aux protagonistes et les cajolant avec des paroles rassurantes, bien souvent des mensonges éhontés. On ne peut donc plus avoir confiance dans nos dirigeants, pas plus que dans nos concitoyens parfois volontairement aveugles voire endoctrinés.
L’Invasion des profanateurs est un film très sombre, assez différent du film de Siegel dans le sens où le discours se fait moins alarmiste, et davantage pessimiste. Ce n’est plus l’éveil de la conscience populaire face au danger qui est en jeu. Le danger n’est même plus un danger : il s’est imposé, et il ne reste plus qu’à survivre dans un monde que l’on devine désormais pourri par l’apathie et la corruption. Chose impossible, et du reste la gaieté de la ville de San Francisco, dans laquelle se déroule les évenements, capitale colorée du mouvement libertaire à la fin des années 70, et laisse ici sa place à la banalité d’une ville industrielle classique, grise et sale. Le film pêche parfois par un abus dans la mise en scène d’élements très typés années 70 (les zooms) et par un rythme parfois un peu trop lent (l’exposition est assez longue), mais après tout, c’est un film qui témoigne avec beaucoup de pertinence sur son époque de production. Un excellent film.