Vixen – Russ Meyer
Vixen. 1968Origine : Etats-Unis
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Vixen est sorti au cours de cette année symbolique s’il en est de 1968. Une période de protestation, de libéralisation des mœurs que les petits plaisantins comme Russ Meyer ne se privèrent pas d’exploiter, eux qui avaient déjà utilisé la confidentialité de leurs films à petit budget pour faire la nique au très puritain Code Hays. Mais en 1968, cette institution datant de 1930 est en train d’être débordée de toute part, même les majors hollywoodiennes passant outre ses critères et ses visas pour sortir des œuvres plus en phase avec leur époque. Ainsi en 1967 le Blow-Up d’Antonioni fut le premier film de gros studios (en l’occurrence la MGM) à se passer de ses autorisations. Incapables de réagir et déjà secoués depuis une dizaine d’années, les tenants du Code Hays n’eurent d’autre solution que d’abandonner et d’instaurer un système de classification qui prit effet en novembre 1968. Pour sa part, Russ Meyer s’en foutait pas mal. Ce fut lui qui après tout en 1959 avec The Immoral Mr.Teas fut le premier à utiliser la nudité en dehors du contexte des films nudistes. Alors l’évolution des mœurs, la chute du Code Hays, cela lui en touchait une sans faire bouger l’autre. Certes, le père Meyer a bien dû s’en réjouir, lui qui n’avait cessé à travers ses films d’en appeler à la liberté sexuelle. Mais concrètement, sa propre liberté ayant déjà été gagnée dans la clandestinité, ces évolutions officielles ne pouvaient vraiment modifier sa façon de faire du cinéma. Et Vixen, loin d’être une surenchère dans la provocation sexuelle à l’écran, prend en fait des allures de comédie érotique classique voire machinale.
Pas vraiment de scénario continu à signaler, mais plutôt une situation de départ : quelque part dans la brousse canadienne, la nymphomane femme au foyer Vixen (Erica Gavin, trouvée dans la même boîte de strip-tease que Tura Satana et Haji, deux autres égéries de Meyer) vit avec son mari Tom, pilote d’avion de tourisme. Elle vit aussi avec son frère Judd, bien que les relations avec celui-ci ne soit pas au beau fixe en raison de la présence de Niles, ami de Judd et noir états-unien ayant fui son pays pour échapper au service militaire. Indécrottable raciste, Vixen se refuse à Niles mais s’offre à tous les autres, flics, clients de son mari, hommes et femmes…
Vixen n’est pas une révolution dans le traitement de la nudité et du sexe à l’écran. Il s’agit d’érotisme au dessus de la ceinture, ce qui laisse quand même toute latitude à Russ Meyer pour s’attarder sur la poitrine de ses dames qu’il n’a pas sélectionné au hasard et qu’il ne filme pas non plus au hasard. Chose assez amusante, il place souvent sa caméra de façon à ce que les obus de ses actrices soient mis en valeur : contre-plongées extrêmes, vues de côté… Il a également recours à un plan qui apparaît plusieurs fois au cours de sa carrière : la contre plongée depuis le dessous du sommier à ressorts, dépourvu pour l’occasion de matelas (bien qu’il apparaisse dès que Meyer change d’angle). Le voyeurisme est affirmé, et la mise en scène très burlesque voire parfois incohérente participe au côté humoristique, qui va bien entendu de pair avec le comportement de Vixen. Jamais rassasiée, la donzelle saute sur tout ce qui bouge, faisant de son mari un cocu de la pire espèce, de celle qui dit avoir pleinement confiance en son épouse et qui n’a conscience de rien malgré l’évidence connue de tous. En bon benêt qu’il est, Tom traverse le film de façon transparente, et il y a fort à parier que cet homme est destiné à passer sa vie dans cet aveuglement béat complètement crétin, qui le pousse même à repousser les avances d’une cliente pour cause de “fidélité”. En se débarrassant des réactions du porteur de cornes, Meyer s’ouvre la voie pour une exploitation maximale de la nymphomanie de Vixen, salutaire au moins en ce qui concerne le couple de clients affaibli par la jalousie justifiée de madame, celle-là même qui tente en vain de séduire Tom. Une séance au lit avec le mari, une séance au lit avec l’épouse et le couple repart uni, madame s’est épanouie. Merci Vixen. Merci aussi pour avoir redonné figure humaine aux gardiens de l’ordre, en la personne d’un garde canadien que l’on découvre dans le plus simple appareil dans les bras de Vixen, rappelant que pour être les représentants coercitifs de l’État, les flics n’en sont pas moins hommes. Des flics nus, du lesbianisme, de l’adultère dédramatisé, c’est déjà pas mal mais ce n’est pas suffisant : ainsi Vixen échauffe-t-elle son propre frère en venant le rejoindre sous la douche, se remémorant avec une grande perversité de l’époque où enfants, ils prenaient leurs bains ensemble. Quoique motard rebelle et donc en principe peu enclin à la honte, le frangin Judd s’en trouve d’abord mal à l’aise, avant finalement de céder à la tentation de l’inceste. C’est dire si Vixen fait peu de cas de la morale. A défaut de pousser très loin l’audace érotique (ce qui est assez décevant), Meyer se plait en tout cas à transgresser les règles de bienséance avec la décomplexion humoristique qui a fait de lui le personnage le plus décisif du cinéma érotique, voire pornographique.
Du Russ Meyer tout craché, donc. Et pourtant un thème vient s’insérer petit à petit dans cette foire campagnarde : le racisme. De prime abord, il est bien difficile d’abord de le prendre au sérieux : comment un personnage moralement ouvert tel que Vixen pourrait être raciste au point d’abreuver d’injure le pauvre Niles ? Celui-ci commence d’ailleurs par en rire. On croit alors que les deux personnages sont complices et que ce racisme de façade n’est en fait que vannes potaches massacrant ce qui n’était pas encore le politiquement correct. Mais justement, il aurait été difficile en 1968 de transgresser un phénomène qui n’existait pas encore, surtout dans une société encore largement dominée par les inégalités raciales, établie en norme honteuse. Et puis les échanges entre Vixen et Niles progressent, et l’on se rend alors compte que Vixen est véritablement raciste. Son racisme se fait même aussi exacerbé que son appétit sexuel. Et ça, Russ Meyer le condamne férocement, sacrifiant l’image positive de son héroïne malgré la liberté sexuelle qu’elle affiche et affirmant que certains progrès ne peuvent être entérinés si ils ne se complètent pas par un progressisme intégral. Et c’est peut-être là la plus grande audace du film : avoir osé condamner un personnage qui affichait le genre de libertés desquelles Meyer s’était fait le chantre. Bien qu’il se soit réfugié au Canada pour échapper à son gouvernement, Niles retrouve à travers Vixen cette Amérique encore largement ségrégationniste et profondément injuste, puisqu’elle demande à ceux qui n’ont pas les mêmes droits que les autres (la question de l’emploi est évoquée) de partir se battre pour elle au Vietnam. Le film cesse dans sa deuxième partie d’être une comédie érotique pour bifurquer vers la politique, Meyer envoyant au milieu de Niles et de Vixen (le ravi de la crèche qui sert de mari à celle-ci ne compte pas) un communiste désireux de partir pour Cuba en détournant l’avion de Tom. A grands renforts de promesses sur l’égalité et la dignité, le communiste parvient à attirer Niles à lui. Dans l’avion la tension est donc palpable : le communiste, la raciste et le noir.
C’est un débat à trois participants que convie la mise en scène de Russ Meyer, pour le coup statique. Et au fil de ce débat le communiste révèle son racisme et son peu d’intérêt pour les libertés, et donc son attirance pour un système et un mode de pensée encore pire que celui des Etats-Unis, tandis que Vixen revoit sa position devant le courage et l’intelligence de Niles. Une sorte de hiérarchie s’impose : tout en haut le noir américain qui lutte pour ses droits, au milieu Vixen et son sens partiel de la liberté et tout en bas le communiste raciste et autoritaire. On passera sur le cas de Niles, dont la lutte est légitime, mais le retournement soudain d’opinion de la part de Vixen est terriblement maladroit… Quant au communiste, il véhicule des clichés de guerre froide pour le coup totalement consensuels. Meyer semble mettre en garde contre la tentation que pourraient éprouver les exclus du système états-unien envers le communisme ou tout autre projet social radical. Il appuie son propos sur une référence complètement à côté de la plaque au sujet de Cuba et des communistes, desquels il ne sait rien, se contentant de reprendre les calomnies du “bolchevik le couteau entre les dents”. Une très mauvaise excuse pour étayer un propos pourtant louable sur la nécessaire égalité entre les blancs et les noirs. Cet anti-communisme dégueulasse allié au n’importe quoi du final (la réconciliation) ne peut que me faire émettre un jugement très sévère sur les velléités politiques de Meyer, lequel use en fait des pires argumentations pour justifier sa pensée dont le progressisme tombe complètement à l’eau du fait de sa construction foireuse. Se prétendre sérieux exige de ne pas affirmer n’importe quoi sur le dos des ennemis des Etats-Unis, même si c’est pour aboutir à une conclusion critique de la situation américaine, sous peine de tomber dans le “enfin quand même y’a pire ailleurs”.
Vixen laisse au final un goût amer. L’amateurisme de Russ Meyer peut aussi bien refléter son esprit irrévérencieux que le faire plonger dans le n’importe quoi. C’est un peu çà, Vixen : tout et n’importe quoi. Des innovations et des clichés, du cadrage statique et du cadrage dynamique, de la comédie érotique et de la politique pamphlétaire… Il y a des idées, ça c’est sûr. Mais il faut parfois ne pas être très regardant sur la façon dont elles sont développées.