Une vierge chez les morts-vivants – Jess Franco
Une Vierge chez les morts-vivants. 1973Origine : Liechtenstein / France / Italie
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Sale tour joué à Jess Franco, qui en s’entichant d’un poème espagnol du XIXème siècle signé Gustavo Adolfo Bécquer réalisa ce qu’il considère encore aujourd’hui comme l’un des films dont il est le plus fier, et qu’il croyait pouvoir appeler “La Nuit des étoiles filantes”. C’était sans compter sur ses distributeurs, qui charcutèrent son travail, le remontèrent et firent tourner des séquences additionnelles par le meilleur ennemi de Franco, Jean Rollin. Gentilhomme, Franco ne nomme pas explicitement Rollin dans les bonus du DVD édité par Mad Movies et Opening, mais il ne manque pas de dénigrer ce “réalisateur français qui a eu les couilles” de saccager son travail en insérant des zombies qui n’avaient rien à faire là, surtout que Franco déteste les zombies. Renommé Une Vierge chez les morts-vivants (ou parfois Christina, princesse de l’érotisme dans sa version la plus déformée), “La Nuit des étoiles filantes” passa donc la plus grande partie de son existence dans une version honnie du réalisateur, ne retrouvant sa légitimité qu’avec les bonnes grâces de quelques éditeurs DVD. Et il est vrai qu’il était fortement dommage de se passer d’un tel film, largement au dessus du niveau des autres productions horrifiques de Jess Franco malgré un financement comme d’habitude aussi minime que dispersé, initié par une société du Liechtenstein et complété par l’inénarrable Eurociné (qui joua d’ailleurs son rôle dans la défiguration du film).
Christina Benson (Christina von Blanc) est conviée au château familial situé dans une contrée exotique pour assister à la lecture du testament de son père récemment décédé. Pour la première fois de sa vie, elle doit y rencontrer les autres membres de sa famille, à commencer par le tonton Howard (Howard Vernon). Arrivée aux abords du château, les villageois déclarent que le château est inhabité, et que Christina ferait bien de ne pas y mettre les pieds. Peine perdue. Comme on pouvait s’y attendre, la jeune femme va être témoin d’étranges manifestations…
Plutôt léger, comme scénario. Franco ne fait pas grand cas du mystère qui entoure le château des Benson, révélant au bout d’une demie-heure tous les secrets de l’intrigue : à chaque période riche en étoiles filantes, comme c’est le cas actuellement, les fantômes des anciens habitants de la bâtisse reviennent prendre possession des lieux. Christina est appelée à les rejoindre dans la mort et dans le royaume de la Reine des ténèbres. Si ce n’est pour les villageois, Christina est donc la seule personne vivante du film, tout le reste n’étant que fantômes. Un peu nigaude, la jolie blonde ne semble pas l’avoir compris. Sa bêtise est assez conséquente : non seulement elle ne se soucie pas de savoir quel est le lien familial qui l’unit aux soit-disant membres de sa famille (sa seule certitude étant que Howard est bien son oncle et que Basilio est le domestique), mais en plus elle ne tire aucune conclusion des visions funestes qui constituent son pain quotidien. Que son défunt père (Paul Muller) l’appelle du fond de la forêt et elle ne fait pas le lien avec la malédiction qui lui a été racontée devant une chapelle abandonnée. Le prétexte du “rêve dans le rêve” fréquemment utilisé par le réalisateur est un moyen quelque peu grossier de donner une raison à l’héroïne pour agir aussi bêtement. Mais après tout, qu’à cela ne tienne, le principal étant que Franco parvient à établir une atmosphère faite d’onirisme, d’épouvante gothique, d’érotisme et même d’humour, tous ces ingrédients étant souvent mêlés les uns aux autres. Au gré de ses vrais-faux cauchemars, l’innocente Christina peut ainsi assister à un enterrement musical, être témoin d’une scène de lesbianisme vampirique, écouter le notaire au visage de cinglé lire un testament qui ne l’intéresse pas, elle peut s’agenouiller nue devant une statut de phallus, elle peut être poursuivie de nuit par la Reine des ténèbres, jusqu’aux abords d’un étang à nénuphars… Seule, le jeune voisin du coin qui la courtisait ayant été proprement éjecté par l’oncle Howard, elle est à la merci de sa famille dont les membres forment une assemblée hautement surréaliste. Que ce soit Howard et ses tirades poétiques déclamées avec un sourire narquois (très bonne prestation de Howard Vernon), la nymphomane Carmencé (Britt Nichols) qui se roule par terre devant le domestique sadique et ses grognements de muet (Jess Franco lui-même, qui n’a pas peur du ridicule) ou la “tante” Abigail (Rosa Palomar) toujours en deuil, tous -et la liste n’est pas exhaustive- cachent des perversions sadiques ou sexuelles qui effacent progressivement toute sensation de réalité.
Et là, le connaisseur de Franco dira que de toute façon les films de Franco sont toujours construits ainsi, avec un scénario fumeux s’effaçant devant un aspect poétique plein de sexe et de déviances. Certes. Pourtant, la différence est notable. Habitué à tourner à une cadence infernale, souvent en dépit du bon sens, l’ancien assistant d’Orson Welles prend ici son temps pour concevoir ses plans, mû par une vraie imagination qui chez lui, temps et moyens limités aidant, cède il est vrai trop souvent le pas au lyrisme machinal plus ennuyeux qu’autre chose. Une Vierge chez les morts-vivants peut s’enorgueillir de plusieurs scènes superbes, parfois assez proches du Mario Bava de Le Corps et le fouet, mais le plus souvent propres à Franco, qui prouve ainsi que son style de mise en scène peut se montrer efficace. Même les innombrables zooms, sa marque de fabrique, parviennent à se fondre dans le décor en disposant pour une fois de vraies scènes qui méritent d’être ainsi mises en relief. Le film doit également beaucoup à Bruno Nicolai, compositeur formé à l’école Ennio Morricone qui signe là des partitions faites de sonorités bizarres qui ne dépareilleraient pas dans les giallos qui se tournaient à l’époque en Italie. Une Vierge chez les morts-vivants est en réalité un Jess Franco typique, sauf que cette fois-ci le réalisateur s’est vraiment donné les moyens de réussir et de livrer un de ses films les plus aboutis. La différence est frappante.