Un homme est passé – John Sturges
Bad day at Black Rock. 1955.Origine : États-Unis
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La Deuxième Guerre mondiale vient tout juste de s’achever mais ses séquelles restent tenaces. Minuscule bourgade aux maisons clairsemées sise en pleines contrées désertiques, Black Rock tient son originalité de cette gare qui n’a plus vu s’arrêter de train depuis quatre ans. Jusqu’à aujourd’hui. A la stupeur générale, un train s’arrête pour déposer un mystérieux passager aux intentions troubles. Sa venue tend à bouleverser l’existence des rares habitants du patelin et à en irriter un en particulier, Reno Smith, lequel tient la ville sous sa coupe.
Un homme est passé revient sur la profonde blessure que la Seconde Guerre Mondiale a infligée aux États-Unis. Jamais avant l’attaque de Pearl Harbor, le pays n’avait eu à affronter une offensive aussi proche de leur sol. L’audace des Japonais a été vécue comme un affront que les civils ont tenté de laver à leur manière, sans discernement. Après ce funeste 7 décembre 1941, il ne faisait pas bon être Japonais aux États-Unis, comme il ne faisait pas bon être musulmans suite aux attentats aériens survenus soixante ans plus tard. Le temps passe, la bêtise humaine reste.
Tout de noir vêtu, John J. Macreedy représente la mauvaise conscience des habitants de Black Rock, et par extension, celle des États-Unis tout entier. En 1941, un Japonais vivait un peu à l’écart de Black Rock. Suite à l’attaque de ses compatriotes, quelques uns des habitants du village passablement éméchés -dont Reno Smith, grand ponte du coin- lui ont rendu visite pour le bousculer un peu. Les choses ont mal tourné et le malheureux Japonais est décédé. Depuis lors, tous ont conclu un pacte tacite visant à passer sous silence le drame de cette nuit là. Alors qu’une seule personne est véritablement responsable de la mort du Japonais, tous se rendent complices de son acte en gardant le silence. Une culpabilité qui pèse lourd pour certains d’entre eux, et qui voient en Macreedy une aubaine.
John Sturges construit son film suivant le schéma d’une intrigue policière à résoudre. Nous découvrons Black Rock et ses habitants en compagnie de Macreedy. Comme lui, nous comprenons mal l’immédiate animosité que lui témoigne la population. Cependant, le mystère ne fait pas long feu et nous apprenons assez vite le pourquoi de cette attitude. Finalement, le but de John Sturges est moins de cultiver le mystère, que de s’attarder sur le comportement des villageois. Nous avons d’un côté ceux qui ne se posent aucune question et qui maintiennent la ligne de conduite dictée après le drame, et de l’autre, ceux qui sont trop lâches pour se dissocier de Reno, mais qui souhaitent secrètement que la vérité éclate au grand jour. Le docteur du patelin est de ceux là. Il ne dira jamais ouvertement à Macreedy tout ce qu’il sait, se contentant de lui apporter une aide discrète lorsque la vie du voyageur sera en danger. Il a le cul entre deux chaises et hésite quant à l’attitude à adopter. Sa conscience lui dicte de se libérer du poids de ce lourd secret, lorsque sa raison lui conseille de ne rien dire afin de ne pas se mettre les autres villageois à dos. Ses hésitations sont celles d’un pays tout entier qui vacille sans cesse entre la tentation de s’excuser pour ses erreurs passées, ou bien faire comme si rien n’avait eu lieu. La justice elle-même s’est laissée corrompre. Le shérif n’a rien tenté contre les responsables, et il vit désormais dans la honte. Il est totalement déconsidéré, aussi bien par les autres habitants de Black Rock, que par lui-même. Les siestes qu’il effectue dans la cellule de la prison en disent long sur la culpabilité qui le ronge. Au milieu de tout ça, Macreedy est à la fois l’homme à abattre, et l’homme à sauver coûte que coûte. Manchot et d’un calme olympien, il met en lumière toute la bassesse et toute la peur qui émanent des habitants de Black Rock. Patelin reculé et perdu au beau milieu du désert, Black Rock ressemble à ces villes si chères au western avec sa population de pleutres et ses brutes épaisses à la solde du grand ponte du village. Le générique, qui s’attarde sur le long périple en train de Macreedy à travers l’immensité des plaines américaines, symbolise en quelque sorte un retour dans le passé. Pas seulement ce passé récent qui tourmente tant les villageois, mais aussi celui plus ancien de l’Ouest sauvage et de ces villages complètement repliés sur eux-mêmes, et hostiles à la moindre présence étrangère. La venue de Macreedy apporte un souffle de renouveau sur lequel Black Rock va pouvoir se reconstruire. Prendre conscience des erreurs du passé s’avère le meilleur moyen pour rebâtir une société plus juste et repartir enfin de l’avant.
Intéressant sur le fond, Un homme est passé souffre d’une confection un chouïa trop classique et passe-partout. De plus, l’ensemble pêche par un manque de tension évident. Alors que Macreedy est clairement menacé de mort, on n’éprouve jamais de sentiment de danger. La faute à un rythme nonchalant et au caractère finalement bon enfant de l’adversité, qui se limite à de la simple provocation. La confrontation Spencer Tracy-Robert Ryan en pâtit, et tout le film avec elle. Mais avec John Sturges, on commence à en avoir l’habitude.