Two Lovers – James Gray
Two lovers. 2008Origine : Etats-Unis
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Two lovers est un petit film plutôt étonnant qui dénote assez particulièrement dans la filmographie de son auteur. En effet, non seulement le jeune réalisateur d’origine russe James Gray nous avait jusqu’à présent habitué à ses films de mafieux, mais en plus il était resté très peu prolifique, laissant s’écouler de longues périodes entre chacun de ses films (6 ans séparent Little Odessa de The Yard et 7 ans séparent ce dernier du récent La Nuit nous appartient). Mais voilà qu’à peine un an après son dernier film, Gray repasse derrière sa caméra pour tourner ce qui semble être au premier abord un énième film romantico-pouet-pouet destiné à faire pleurer la ménagère et se pâmer la midinette devant le beau Joaquin Phoenix. Heureusement il n’en est rien, et sans roublardise aucune Gray réalise quelque chose de très intriguant et même de très joli.
S’inspirant d’une nouvelle de Dostoïevski, le synopsis du film est pourtant simplissime et semble marqué par les habituels clichés propres à la comédie romantique:
Après une déception sentimentale, Léonard revient vivre chez ses parents qui aimeraient bien que leur fils épouse la brune Sandra, dont le père s’apprête à racheter l’entreprise familiale. Bien que la jeune femme ne le laisse pas indifférent, Léonard est bien plus séduit par la blonde Michelle qui a emménagé il y a peu dans le même immeuble que lui… Qui va-t-il choisir?
Si la situation décrite dans ce pitch peut paraître cousue de fil blanc et empreinte de situations irréalistes, Gray arrive avec une simplicité désarmante à faire passer la pilule en concentrant son attention sur des personnages très bien écrits, qui bénéficient tous d’une épaisseur psychologique conséquente. Leurs réactions sont toujours très crédibles et le film ne souffre d’aucune incohérence à ce niveau là. Cette crédibilité donne un cachet indéniablement réaliste à l’intrigue et autant de poids aux sentiments qu’évoque l’histoire. Cela permet également d’inscrire le film dans une ambiance sérieuse et grave, pour le moins éloignée de ce que l’on a l’habitude de voir dans le genre. Loin d’être comique, Two lovers n’en est pas pour autant un mélo versant dans le pathos à outrance. Le ton général du film se fraye subtilement un passage entre ces deux extrêmes, Gray tournant délibérément le dos à tout recours à des exagérations démonstratives pour se concentrer sur les sentiments de ses personnages. Ce qui est plutôt rafraichissant en ces temps où l’on sacrifie volontiers la structure aux apparences.
La narration du film repose dans un premier temps sur les relations qui se tissent entre les différents personnages secondaires et Léonard, centre de toutes les attentions et référent pour le spectateur. Incarné par Joaquin Phoenix, un jeune acteur qui commence depuis quelques années à se faire de plus en plus remarquer (et qui en est maintenant à son troisième film réalisé par James Gray, après The Yard et La Nuit nous appartient.) Léonard est présent dans la majorité des plans et c’est au travers de son point de vue que nous découvrons l’histoire. Léonard est un jeune homme troublé et ballotté par ses émotions. Il a bien du mal à faire face au dilemme qui s’offre à lui. Et rêveur, il tombera amoureux d’une jolie illusion pour finir démuni face aux tours cruels que peut jouer la vie.
Mais le film ne se contente pas de simplement raconter l’histoire de ce jeune homme. Très intelligemment, Gray camoufle le triangle amoureux de son intrigue en donnant une place importante au contexte familial dans lequel se déroule l’histoire. Ce thème qui lui est très cher donne aux amours du héros une portée symbolique fascinante. Et finalement le personnage de Léonard n’est pas tant attiré par Michelle que par les possibilités d’évasion qu’elle représente. Prisonnier d’un cadre familial étouffant et pesant qui se manifeste à chaque instant de son quotidien, Léonard aimerait bien se soustraire à cette pression constante qui l’écrase. Comme il l’avoue à Michelle lors d’un passage du film, dans sa famille il se sent «comme mort» et finalement sa seule possibilité d’évasion passe par cet amour fou et incontrôlable pour cette jeune femme fragile qu’il idéalise rapidement. Fantasmé, son amour n’en est que plus fort et ce n’est que dans le rêve d’atteindre l’inaccessible pour échapper à une réalité oppressante que Léonard parviendra à trouver un peu de bonheur.
Face à Michelle, Sandra est plutôt absente des images du film. En effet elle est très rapidement remplacée par la famille de Léonard qui occupe une place à l’écran bien plus importante que celle de la jolie brune. Quoi de plus normal puisque le héros ne voit en Sandra que les désirs de ses parents, qui n’auront de cesse de le pousser vers elle.
Toute cette dimension symbolique donnée aux personnages ne les inscrit cependant pas dans des clichés, mais leur donne au contraire une épaisseur supplémentaire qui fait toute la richesse du film. En outre, toute cette galerie de personnages secondaires bénéficie d’une interprétation largement à la hauteur. On remarquera tout particulièrement l’interprétation de la jolie Gwyneth Paltrow, très bien dans le rôle de Michelle, et surtout la présence de la toujours sublime Isabella Rossellini, tout simplement parfaite dans le rôle de la mère de Léonard.
Cependant, malgré ces évidentes qualités, le film n’est pas exempt de maladresses. Ses défauts se retrouvent principalement au niveau du rythme, qui souffre peut-être d’une demi-heure de trop. Cela se ressent surtout en milieu de métrage. En outre on n’échappe pas à quelques tunnels de dialogues longuets et d’un intérêt plus que relatif. Mais si ces défauts plombent quelque peu le déroulement de l’intrigue, toute la partie finale se révèle suffisamment passionnante et maîtrisée pour relever le niveau. Et on ne va pas bouder notre plaisir pour quelques longueurs, d’autant que la mise en scène est assez travaillée et recèle de très belles choses. Comme par exemple ces conversations téléphoniques entre Léonard et Michelle, filmées depuis la cour intérieure de leur immeuble sous un tas d’angles intéressants qui dynamisent le champ/contrechamp et dont le son nous parvient à chaque fois du téléphone de la personne qui écoute. Ou encore cette splendide scène d’introduction où la caméra suit le personnage principal dans sa tentative de suicide sous-marine. Gray exploite avec bonheur une large échelle de plans et ne se prive jamais de jouer de manière discrète avec le son. Enfin de manière générale le film bénéficie d’un très grand soin apporté à la photo, toute en teintes grisâtres et brunes. Le très bon travail du directeur de la photo Joaquín Baca-Asay (qui avait déjà occupé ce poste sur La Nuit nous appartient) donne au film une esthétique de polar nocturne et réaliste qui n’est pas pour rien dans sa réussite et qui vient brillamment se substituer aux dialogues pour prendre une part active dans la narration.
Bref, sans être un chef d’œuvre, Two lovers se révèle être un petit film tout à fait intéressant tant par les thèmes qu’il développe que par l’approche originale dont il fait preuve. On aurait bien tort de s’en priver.