The Green Inferno – Eli Roth
The Green Inferno. 2013Origine : Etats-Unis / Chili
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Fraîchement sensibilisée au sort des femmes dans certaines tribus africaines, Justine intègre un groupe d’activistes qui sévit dans son campus, non sans être attirée par son charismatique leader, le virulent Alejandro. Son premier acte militant s’effectue au Pérou et consiste au blocage d’un chantier de déforestation qui menace la survie d’une tribu ancestrale tout en alertant les médias du monde entier grâce à internet. En dépit d’une grosse frayeur, l’action se solde par une victoire. Une victoire à la Pyrrhus puisque durant le vol du retour, une avarie moteur conduit au crash de leur avion. Les survivants se retrouvent alors à la merci de la tribu qu’ils souhaitaient préserver, une tribu aux penchants anthropophages à même de leur faire passer le goût du militantisme.
Six ans se sont écoulés depuis Hostel 2, sa précédente réalisation. Six années durant lesquelles Eli Roth n’a pas chômé, multipliant les projets mais à d’autres postes que celui de réalisateur. Il a ainsi multiplié les rôles à l’écran, du simple caméo au personnage de premier plan, notamment pour Quentin Tarantino (Boulevard de la mort, Inglourious Bastard), la production (Le Dernier exorcisme et sa suite – ce n’était donc pas le dernier – , The Sacrament, L’Homme aux poings de fer) voire tout ça à la fois (Aftershock, l’enfer sur terre). Comme ragaillardi par le tournage de ce dernier, Eli Roth a retrouvé la motivation nécessaire pour repasser derrière la caméra. C’est donc accompagné de la même équipe technique (Guillermo Amoeda à l’écriture, Antonio Quercia à la photographie et Manuel Riveiro à la musique) et d’une partie de la distribution (Lorenza Izzo, Ariel Levy, Nicolas Martinez, Ignacia Lopez et Matias Lopez) qu’il s’est lancé dans un hommage aux films de cannibales, et plus particulièrement à Ruggero Deodato dont le Cannibal Holocaust figure toujours – à tort ou à raison, tout cela est affaire de goût – comme le mètre étalon du genre. Un projet qui lui tient à cœur et pour lequel il endosse le rôle de passeur, proposant un bref historique des films de cannibales italiens (ses préférés ?) pour les courageux qui patientent devant leur écran jusqu’à la fin du générique. Et de la patience, il leur en a fallu, la sortie de The Green Inferno étant sans cesse repoussée, la faute aux problèmes financiers rencontrés par le distributeur américain. Ce n’est donc qu’en 2015, après avoir arpenté les festivals, que le film obtient enfin la possibilité de toucher un plus large public, désormais distribué par la firme de Jason Blum (les Paranormal Activity, les Insidious). En France, il a néanmoins fallu se contenter d’une sortie en VOD, surprenante compte tenu du « pedigree » du réalisateur.
Tout hommage qu’il soit, The Green Inferno demeure avant tout un film d’Eli Roth. Fidèle à ses habitudes, il prend donc le temps de poser son intrigue, laquelle s’articule autour de sempiternels étudiants à la confondante naïveté. Il convient d’accompagner le basculement de Justine dans l’altermondialisme tout en tissant quelques interactions entre certains personnages, qui n’auront au final que très peu d’importance. Ainsi, Justine rejoint les activistes autant mue par de soudaines convictions idéologiques que par une certaine attirance pour Alejandro. Ce que Kara, la fiancée de ce dernier, voit d’un très mauvais œil au point de souhaiter le pire pour la jeune femme. Quant à Jonah, il profite de cette action militante pour se rapprocher de Justine, dont il s’est épris. Voilà qui suffit à meubler la première demi-heure du film en attendant que le réalisateur se décide à entrer dans le vif du sujet. Un côté soap heureusement pas très appuyé mais qui esquisse une jeunesse inconséquente, toujours plus encline à se regarder le nombril qu’à regarder réellement autour de soi. A la manière de Ruggero Deodato qui dans Cannibal Holocaust dénonçait avec force l’exploitation commerciale de la violence, Eli Roth teinte son film d’un sous-texte politique en raillant l’activisme de circonstance de jeunes altermondialistes plus préoccupés par le retentissement de leurs actions que par les causes qu’ils défendent. Pour sincère que puisse être la démarche de Justine, celle-ci se heurte au cynisme du leader du mouvement, lequel ne l’a accueillie au sein de son groupe que dans l’unique but d’exploiter sa filiation avec un avocat des Nations Unies le moment venu. Pour mieux appuyer son propos, Eli Roth s’appuie malicieusement sur Kaycee, meilleure amie de Justine, dont le mauvais esprit apparent se révélera a posteriori d’une grande lucidité quant à la nature de ses contemporains. Une fois ceci posé, il peut doucement entrer dans le cœur de son projet, la confrontation entre ces jeunes altermondialistes et cette tribu péruvienne à l’appétit dévorant.
Eli Roth a toujours eu jusqu’à présent une approche très potache de l’horreur, laquelle ne saurait se marier avec le dégoût teinté de malaise généralement suscité par les films de cannibales italiens. En outre, les réalisateurs transalpins ne reculaient devant aucunes atrocités (le massacre d’animaux) et s’autorisaient tous les excès (pourtant pas le plus choquant dans sa démarche, La Montagne du dieu cannibale nous gratifiait d’une orgie dantesque dans sa dernière partie). Rapidement, l’évidence saute aux yeux, Eli Roth n’a pas du tout eu l’intention de changer sa manière de procéder. Du gore, il y en a, bien entendu. Plutôt généreux même, grâce au travail fourni par les infatigables Howard Berger et Greg Nicotero, mais ce n’est que ça, du gore donc grotesque à l’image du premier démembrement. The Green Inferno ne cède pas à la complaisance de ses aînés. Au contraire, on note une certaine retenue, notamment lors des sévices perpétrés sur ces demoiselles, lesquelles seront humiliées de façon à ce qu’on imagine plus qu’on ne voie. D’ailleurs, l’une d’elles sera carrément trucidée hors-champ. Autre faute de goût, l’utilisation de CGI lors du supplice des fourmis. Et comme si cela ne suffisait pas, Eli Roth désamorce constamment le climat de tension susceptible de s’installer par des grivoiseries. Ainsi, l’une des prisonnières souffrira d’une crise de chiasse aiguë sans que cela ne laisse de traces sur ses sous-vêtements, preuve du caractère totalement gratuit et anecdotique de ladite scène. Un autre glissera son sachet de marijuana dans un cadavre prêt à la consommation, propice à un trip hallucinogène de toute la tribu. Et puis il y a Alejandro, qui pour soulager son stress se permet un petit moment d’onanisme devant le cadavre encore chaud d’une de ses compagnes d’infortune. La grande classe de la part d’un personnage qui concentre soudain les pires maux de la société à lui tout seul (cynisme, égoïsme, mesquinerie). Ennemi de la subtilité, Eli Roth n’hésite pas à charger la mule au point qu’en comparaison les autres prisonniers font figure d’angelots. Au fond, ils n’en sont pas si éloignés que ça. Ils ne commettent aucun acte répréhensible, ne témoignent pas de suffisance vis à vis des péruviens, bref, ce sont de sympathiques individus qui payent au prix fort leur idéalisme naïf. Pourtant, leur devenir importe peu tant le film tourne rapidement à la farce. Et les cannibales dans tout ça ? Ils sont joliment peinturlurés, préfèrent la viande humaine bien cuite plutôt que saignante et en consomment davantage par gourmandise que par nécessité. Sinon comment justifier le nombre de corps qu’ils délaissent aux alentours de la carcasse de l’avion, transpercés par de longs pieux ? Réponse, par un énième hommage à Ruggero Deodato teinté de pudibonderie, les dépouilles demeurant toujours affublés de leurs habits.
On ne peut nier à Eli Roth un véritable goût pour le cinéma d’exploitation. Néanmoins, en pur produit de son époque, il ne parvient pas à transcender les genres qu’il investit, se bornant à les affadir à grand renfort d’humour gras. Il ose même ici l’utilisation de deux conventions du cinéma d’horreur (la fausse fin suivie de la fin ouverte) en totale inadéquation avec le film de cannibales. Par ailleurs, il délaisse totalement la jungle, dont la dangerosité n’est jamais réellement exploitée, autrement que pour la blague, une fois encore. Au final, The Green Inferno n’est qu’une évocation édulcorée d’un genre autrefois porteur de mille fantasmes, un gentil film gore qui en oublie de bousculer le spectateur et ses certitudes.