The God of Cookery – Stephen Chow & Lee Lik-Chi
The God of Cookery. 1996Origine : Hong Kong
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The God of Cookery est un cuisinier génial dont la réputation n’est plus à faire et qui jouit d’une aura grandissante dans les médias et auprès du grand public. Avec sa belle toque jaune et blanche et sa médaille du France Cuisine Club (assurance de sommets gastronomiques, s’il en est), il apparait toujours souriant, amusant et drôle mais aussi intraitable lorsqu’il s’agit de donner une note à des concurrents lors d’un concours culinaire. Zéro, c’est la plus haute note qu’il leur assigne, non sans ironiser en plus sur les défauts de leurs plats ou leurs tares physiques. Zéro car personne, évidemment, ne peut rivaliser avec lui ni même lui arriver à la cheville : il n’y a qu’un dieu de la cuisine et c’est lui.
Mais the God of Cookery est un pur produit marketing (je parle du personnage, pas du film), un cuisinier monté en épingle pour faire du commerce et vendre à des masses crédules des produits estampillés à son image. Âpre au gain, cynique, arrogant, c’est en fait un fieffé connard qui traite ses subordonnées avec morgue et n’hésite pas à les humilier. Derrière les effigies en carton qui ornent les échoppes, tout comme derrière les étiquettes qui fleurissent sur les barquettes de nouilles chinoises, c’est un être humain absolument détestable qui se cache. Quelqu’un qui s’est vendu pour faire du fric, qui règne sur un petit empire de la malbouffe, un Tricatel chinois, en quelque sorte !
Comme souvent avec Stephen Chow, les personnages hautains et méprisables qu’il interprète se cassent assez vite la gueule et tombent de leur piédestal pour connaître une période de rédemption avant de “renaître” et de reprendre pied dans la société, de nouvelles valeurs chevillées au corps. Ici, sa dégringolade sera vertigineuse, provoquée par un concurrent imprévu (un ennemi de l’intérieur en quelque sorte), et il partira du plus haut, une terrasse dominant Hong-Kong et sur laquelle il règne en potentat sur une armée de cuisiniers toqués, pour finir au plus bas, littéralement dans le caniveau, la tête au ras du bitume, en clochard démuni et passé à tabac.
Comme souvent encore avec Stephen Chow, la providence mettra sur son chemin une femme dont l’amour le portera et lui donnera la possibilité de retrouver goût à la vie. Mais attention, on n’est pas ici dans une romance quelconque mais bien dans une comédie et la femme en question est une vendeuse ambulante de petits plats chinois pas bien fins, une Karen Mok enlaidie au possible avec balafre et dents proéminentes, une représentante du sexe faible qui manie le hachoir comme personne et n’a pas peur de rabattre le caquet d’hommes deux fois plus forts qu’elle, en apparence du moins.
L’humour du film vient justement de ses personnages multiples et volontairement outranciers interprétés par des acteurs ayant pour mission de forcer le trait, caricatures vivantes filmées régulièrement en gros plan. Il vient aussi du décalage entre les situations mises en scène et les références auxquelles elles renvoient: l’univers de la série des God of Gamblers (Le Dieu du jeu, interprété par Chow-Yun Fat et mis en scène par Wong Jing, et déjà parodié par Chow dans All For the Winner) pour le tournoi culinaire; la gastronomie, son faste, ses pompes et son arrogance, aussi; l’imposture médiatique et publicitaire qui fait et défait les réputations; le capitalisme impitoyable (pléonasme, me direz-vous), incarné ici par un fidèle du Chow-System, Ng Man-Tat (l’entraîneur de Shaolin Soccer) roi de la nourriture industriel et du coup bas; l’univers du kung fu et du temple de Shaolin, ici volontairement parodié et parfois ridiculisé.
S’agissant d’une comédie, tout est un peu (trop) traité à la légère et on pourra reprocher à Stephen Chow et à Lee Lik-Chi, son co-réalisateur, leur manque de rigueur et de profondeur. Pour filer la métaphore culinaire, on pourrait dire que les ingrédients ne sont pas mauvais (les acteurs, en particulier, dont certains qu’on a plaisir à retrouver de film en film autour de Stephen Chow), que la présentation est correcte sans plus (la mise en scène ne brille pas par son audace ni par sa virtuosité), que le tout est bien saucé puisqu’on sourit régulièrement mais que l’ensemble manque cruellement d’épices (on ne rit que trop peu) et que les cuisiniers ne se sont pas franchement dépassés. C’est sympathique mais ça ne vaut clairement pas trois étoiles au Michelin.