Smiley Face – Gregg Araki
Smiley Face. 2007.Origine : États-Unis
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A peine levée, Jane F. inhale à pleins poumons de grandes bouffées de marijuana, son rituel quotidien. Seulement ce rituel a le don de la mettre en appétit, or il n’y a plus rien à manger dans son appartement. Rien excepté d’appétissants gâteaux confectionnés par son colocataire, et dont il lui est formellement interdit d’y toucher. Trop affamée pour se contenir, Jane brave l’interdit et les dévore avec délectation, ne découvrant que top tard qu’ils contenaient du cannabis. Bien que totalement défoncée, elle met un point d’honneur à réparer son erreur, tout en maintenant le fil de ses activités. Commence alors pour elle un long périple aux allures de spirale infernal.
Jusqu’alors cantonné à la marge, Gregg Araki voit son statut changer à la faveur de Mysterious Skin, film sensible et sobre autour d’un sujet délicat (la pédophilie et ses conséquences pour les victimes), dont les critiques dithyrambiques lui ont valu une meilleure exposition qu’à l’accoutumée. Une fois cet acmé atteint se pose fatalement pour lui la question de l’après. Doit-il poursuivre dans cette voie plus “mature” et émotionnellement dense, ou doit-il tout simplement poursuivre son petit bonhomme de chemin au gré de ses envies ? Le réalisateur choisit la deuxième option. Aussi ensoleillé et décontracté que Mysterious Skin était sombre et torturé, Smiley Face fait office de récréation avec pour seule ambition de divertir. Toujours aussi potache, Gregg Araki se complaît dans la vacuité tout en démontrant certaines limites.
Avec un tel point de départ, Gregg Araki joue la carte de la comédie pure pour laquelle il s’adjoint les services d’Anna Faris, figure incontournable du genre depuis Scary Movie (2000). Jeune femme blonde au physique passe-partout, l’actrice incarne à merveille la “girl next door” dont chaque péripétie pourrait être vécue par tout à chacun. En un sens, Smiley Face pourrait s’apparenter à une version féminine et ensoleillée du After Hours de Martin Scorsese, chaque action de l’un ou l’autre des personnages principaux amenant une péripétie qui les éloigne de leur but. Toutefois, là où Scorsese transformait la nuit mouvementée de Paul Hackett en cauchemar kafkaïen, Gregg Araki cantonne le périple de Jane à une promenade de santé. En fait, tout tient à la personnalité même des personnages principaux. Dès le départ, Jane nous est présentée comme une jeune femme dilettante, apprentie comédienne comme à peu près les trois-quarts de la population de Los Angeles et peu digne de confiance. Elle est du genre à vivre au jour le jour, menant une existence sans réelle ligne directrice autre que le plaisir immédiat (l’achat compulsif du « lit le plus confortable du monde pour seulement 999 $ » !) et le farniente (ses longues séances à fumer à l’aide d’un bang). Autrement dit, même si son état dépasse l’entendement, on ne peut pas dire que cela change véritablement son quotidien. Au contraire, même après s’être rendue compte de la nature psychotrope des gâteaux qu’elle vient d’ingurgiter, elle s’offre une nouvelle pause fumette. Incorrigible, et donc peu à même de nous sensibiliser à sa situation. En outre, que toutes ses tentatives pour remettre les choses en ordre et repartir du bon pied (racheter du cannabis, confectionner des gâteaux avec, payer la note d’électricité et passer son audition) se soldent par des échecs n’apportent aucun dynamisme au récit. Pas plus que ses diverses rencontres avec des personnages tous plus insignifiants les uns que les autres.
Se reposant entièrement sur son postulat de départ et sur son actrice principale, partagée entre hébétude et exaltation, Gregg Araki ne confère aucun sens comique à son récit. Celui-ci ne décolle jamais, au contraire de son héroïne, demeurant d’une désespérante platitude. Même les crises paranoïaques de Jane n’offrent aucune envolée dans l’absurde ou le nonsensique. Le réalisateur reste très terre à terre dans le déroulé de son récit, s’adonnant juste à quelques gimmicks (voix off de Roscoe Lee Browne, un acteur de cinéma et metteur en scène de théâtre à la voix profonde, en guise de narrateur, image légendée annonçant la suite des événements, un smiley dessiné dans le ciel qui s’adresse à Jane) qui ont tendance à désamorcer tout effet de surprise, et partant, toute sensation de voir le monde de Jane s’effondrer progressivement sous ses pieds. Conscient que ce qu’il nous raconte n’a strictement aucun intérêt, Gregg Araki ne fournit aucun effort particulier pour rendre la situation de Jane désespérée. Qu’elle échoue à son audition parce qu’elle est stone ne revêt aucune importance puisque même à jeun elle ne parvient pas à être convaincante. De même, ne pas avoir le temps de refaire les gâteaux avant le retour de son colocataire, ni avoir les moyens de régler la note d’électricité, ne changera en rien ses rapports inamicaux avec celui-ci. En fait, tout du long se dessine une forme de fatalité. Tout ce qu’entreprend Jane est de toute façon voué à l’échec, qu’elle ait ou non ingéré du cannabis. Il en va ainsi de son existence qui avance cahin-caha au rythme de ses démissions.
On peut reconnaître à Gregg Araki une certaine continuité dans ses thématiques. Sous couvert de la comédie (ratée, soit dit en passant), il poursuit son esquisse de la jeunesse américaine, dépeinte à nouveau ici dans toute sa désinvolture et sa vacuité. Par rapport à ses films des années 90, on peut déplorer que son style se soit assagi. Il se montre ici moins rentre-dedans et tape-à-l’œil. Et cela en serait presque regrettable tant Smiley Face paraît fade.