Sans rémission – Edward James Olmos
American Me. 1992.Origine : Etats-Unis
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Los-Angeles, juin 1943. Les États-Unis sont en guerre, et le climat sur l’ensemble du territoire se révèle extrêmement tendu. Des marins de l’armée américaine, échaudés par l’agression d’une poignée des leurs par des “Latinos”, s’en prennent violemment à deux couples de Mexicains, tabassant les hommes et violant les femmes. Plusieurs mois plus tard, l’un de ces deux couples devient les heureux parents d’un petit garçon, Santana. Intégrant très vite un gang, ce dernier finit en prison dès l’âge de 16 ans. Là-bas, il se fait un nom et devient le leader charismatique du gang des Mexicains, dirigeant la prison d’une main de maître, mieux que s’il en était le directeur. C’est son histoire qui nous est ici contée.
Le film de prison est un sous-genre cinématographique (sans connotation péjorative) qui répond à toute une série de codes l’amenant à se banaliser. Matons antipathiques, absence de personnages féminins importants, et violence exacerbée en constituent les éléments fondamentaux. Répondant en partie à un soucis de véracité, il est très difficile de passer outre. Et pourtant, il est encore possible de surprendre avec ce genre ultra balisé. Edward James Olmos souhaite réaliser Sans rémission depuis le milieu des années 70. Grâce au rôle du Lieutenant Martin Castillo dans la série Miami vice et au statut de vedette que cela lui a conféré, il parvient à mettre son projet à exécution après avoir patienté une quinzaine d’années. Il s’agit de sa première réalisation (pour le cinéma) et ce film lui tient tellement à cœur qu’il ne laisse le soin à personne d’autre qu’à lui-même d’interpréter le rôle principal. Pour compléter la distribution, il occulte toute tête d’affiche pour s’entourer de comédiens solides tels William Forsythe (Il était une fois en Amérique, Dernières heures à Denver) et Pepe Serna (Scarface, L’Aube rouge).
Sans rémission se présente sous une forme testamentaire. Du fond de sa cellule, Santana égrène les principaux moments de son existence en s’attardant essentiellement sur ses retrouvailles avec le monde extérieur. C’est un monde qu’il connaît finalement peu. Son existence s’est toujours apparentée à celle d’une sorte de reclus. Il n’a jamais joui d’une totale liberté, les carcans du monde carcéral s’étant substitués à ceux du monde des gangs. Il a mené une vie dont tout sentiment devait être exclu, les lois du gang pouvant amener l’un de ses membres à tuer son propre frère. Le devenir du gang passe au-dessus de celui de l’individu. Santana ne dispose d’aucun passe-droit. Tout leader qu’il est, le moindre fléchissement peut lui être fatal.
La vie carcérale décrite par Edward James Olmos ne diffère pas tellement du tout venant. On assiste à la cohabitation de différents clans établis sur des caractères raciaux, aux diverses combines pour passer de la drogue en douce, … Toutefois, il se démarque de ses prédécesseurs en faisant fi de tout angélisme. Il n’y a pas de réelle amitié possible en prison, et il n’est pas rare qu’un détenu se fasse assassiner par un homme qu’il considérait comme son ami. La peur et le respect sont étroitement liés. Plus Santana inspire la peur, plus lui et son gang se feront respecter. Tuer l’un des siens apparaît comme un signe fort adressé aux autres gangs. Par cet acte, on leur signifie à quel point on tient à ce que l’ordre règne même, et surtout, au sein de ses troupes. Dans cet univers, le personnel pénitentiaire se limite à de vagues silhouettes. La prison se retrouve entièrement sous la coupe de Santana et des siens.
Pour Santana, l’emprisonnement représente une véritable promotion. Son long séjour à Folsom lui a permis d’asseoir son autorité plus rapidement que s’il était resté dans les rues de Los-Angeles. Son mode de vie n’a guère changé. Comme à l’extérieur, il traîne tout le temps avec sa bande, fait des parties de squash improvisées avec ses potes et deale de la drogue. Ce n’est que lors de sa libération, assortie de sa rencontre avec Julie, qu’il se rend compte à quel point il n’a rien vécu. Il ignore tout des plaisirs d’une balade nocturne au bord de la plage, ou du bonheur simple éprouvé en passant du temps avec sa petite amie. Il ne conçoit que le rapport de force et introduit la violence jusque sous les draps, lui qui n’a connu que les brutales étreintes entre codétenus. Julie fend son armure en lui faisant découvrir tout ça. Santana s’ouvre alors aux sentiments, paraphant par la même occasion son arrêt de mort.
A travers le destin de Santana, Edward James Olmos met en lumière l’impasse vers laquelle se dirige les “Latinos” membres d’un gang. Il n’y a pas d’espoir possible pour ces gens là. Pensant lutter au nom de leur peuple, ils ne font que le marginaliser davantage aux yeux de la société. Le gang forme une micro-société qui vampirise ses adeptes, et qui s’en débarrasse sans s’en émouvoir. La vie de Santana prend parfois des airs shakespeariens qui l’ancrent pleinement dans la fiction. Mais sa mort n’est pas à considérer comme la punition relative à tous ses crimes. Sa disparition s’inscrit dans la logique du système des gangs. Les chefs (tré) passent, la violence demeure. La nouvelle génération se révèle bien souvent pire que la précédente. C’est un engrenage parfaitement huilé dont Olmos s’est proposé d’en montrer certains rouages par le biais d’un film parfaitement maîtrisé, et qui n’embellit jamais les faits. Sans rémission est un film à la sobriété exemplaire, calquée sur l’interprétation de son acteur-réalisateur.