Recherche Susan désespérément – Susan Seidelman
Desperately Seeking Susan. 1985.Origine : États-Unis
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Recherche Susan désespérément. C’est par l’intermédiaire de ces trois mots que Roberta Glass (Rosanna Arquette) va drastiquement bouleverser son quotidien. Femme au foyer délaissée, elle trompe son ennui en parcourant les petites annonces du journal. Elle s’intéresse ainsi de très près à la relation à distance qu’entretiennent la dénommée Susan (Madonna) et Jim. Lorsqu’elle s’aperçoit que les deux tourtereaux se sont donnés rendez-vous non loin de chez elle à New York, sa curiosité l’emporte. Elle veut voir Susan ! Le jour dit, un improbable concours de circonstances l’amène à perdre la mémoire et à croire qu’elle s’appelle… Susan.
Durant les années 80, la pop avait son roi – Michael Jackson – et sa reine, Madonna. En l’espace de seulement deux albums (Madonna en 1983 et Like a Virgin en 1984), la jeune chanteuse gagna ses galons de star internationale. En 1985, alors que le premier se contentait pour le moment d’inonder le petit écran de ses nombreux clips, sa seule prestation cinématographique se limitant à l’époque à un rôle grimé dans The Wiz de Sidney Lumet datant de 1978, soit avant son accession au trône, sa consœur commença sérieusement à s’intéresser au 7e Art. Le cinéma, elle y avait déjà touché durant sa période de vaches maigres avec l’obscur A Certain Sacrifice de Stephen Jon Lewicki, film qui connut une fugace ressortie des limbes à la faveur de son nouveau statut et de la sortie imminente de Recherche Susan Désespérément. Réalisé par Susan Seidelman dont c’était le deuxième film après Smithereens, Recherche Susan désespérément bénéficia d’une belle campagne promotionnelle, tournant bien évidemment pour l’essentiel autour de Madonna alors même que le rôle principal échut à Rosanna Arquette, actrice à la visibilité jusqu’alors majoritairement télévisuelle.
Sous couvert d’une vague intrigue policière à base de bijoux volés et d’un homme de main violent aux trousses de la détentrice desdits bijoux, Recherche Susan désespérément est avant tout l’histoire d’une émancipation. L’émancipation de Roberta, femme délaissée par un mari plein aux as et imbu de lui-même à un point critique (il organise une réception dans le seul but que les convives assistent à la première diffusion d’un spot publicitaire qui le met en vedette). Insidieusement, l’ennui finit par gagner le quotidien de Roberta dont les journées se limitent à des sorties shopping ou coiffeur en compagnie de sa belle-sœur, et à gérer l’intendance de la maison. Face au désintérêt grandissant de son époux, elle se raccroche aux branches d’un romantisme épistolaire, voyant dans l’échange de petites annonces entre deux inconnus la pincée de sel qui manque cruellement à son existence. En somme, et sans même la connaître, Roberta a tôt fait de s’identifier à Susan dont l’incroyable attraction qu’elle semble exercer sur son compagnon la fascine. Roberta joue donc les apprenties détective afin d’approcher au plus près l’objet de sa fascination. Elle s’adonne à la filature et ne la lâche plus d’une semelle. Elle pousse le vice jusqu’à racheter la veste que Susan vient de vendre à un fripier dans un parfait souci de mimétisme. Loin d’être anodin, cet achat constitue la première pierre à l’édifice des multiples quiproquos qui s’ensuivront à la faveur de l’improbable amnésie qui amène Roberta à devenir Susan. La jeune femme habituée à un train de vie grand luxe dans une banlieue cossue se retrouve soudain à arpenter les bas-fonds de New York à la suite de Dez, son ange-gardien improvisé. Roberta marche ainsi dans les pas de Susan lorsque cette dernière effectue le chemin inverse puisque en bonne opportuniste, elle profite que Gary Glass cherche sa femme pour s’incruster à leur domicile sous prétexte de l’aider dans son entreprise. Dans ce contexte, le recours à l’amnésie relève du gimmick. Au moment de sa rencontre avec Dez (le transparent Aidan Quinn) Roberta est une terre vierge qui accueille son nouvel environnement avec détachement. En somme, lavée de tout souvenir, elle trouve une seconde jeunesse. Dommage que les péripéties qui découlent de cette amnésie souffrent de l’approche beaucoup trop sage de Susan Seidelman, laquelle ne sait jamais trop sur quel pied danser.
Polar, comédie de mœurs, le film louvoie d’un genre à l’autre sans trouver de réel équilibre. Ainsi, le passage de l’autre côté du miroir qu’effectue Roberta n’a rien d’une descente aux enfers. Il est seulement prétexte à une série de quiproquos à vocation humoristique qui amène Roberta à s’encanailler gentiment (elle dort à même le sol chez son bon samaritain, devient l’assistante d’un magicien ringard dans la boîte miteuse où Susan a ses habitudes, et fait un bref séjour derrière les barreaux). L’aspect polar se résume à l’enquête mémorielle qu’entreprennent Roberta et Dez ainsi qu’à la présence récurrente de Nolan, homme déterminé (il n’hésite pas à tuer – hors champ – ceux qui lui barrent la route) mais maladroit et dont la menace qu’il représente sera annihilée de manière nonchalante, presque sur le ton de la plaisanterie. Par ailleurs, Susan Seidelman brocarde mollement l’American Way of Life à travers le quotidien aseptisé et monotone du couple Glass. Gary y est dépeint comme un gentil macho un peu benêt, incapable de comprendre que l’argent ne fait pas forcément le bonheur. Si sur le plan matériel Roberta ne manque de rien, sur le plan des sentiments, c’est le vide. Il n’y a pas de place pour la passion chez les Glass, ou tout du moins pour une passion partagée car de son côté, Gary s’aime beaucoup. Tellement que cela en devient indécent. Pour autant, Susan Seidelman ne fait pas œuvre féministe. Elle perpétue une vision très romancée du bonheur à base de prince charmant volant au secours de sa belle néanmoins adaptée aux contingences contemporaine. En gros, le prince charmant s’est fait larguer, vit dans la misère et chevauche un scooter de livraison de nourriture à domicile.
Et Madonna, dans tout ça ? Et bien c’est sur ce point précis que le film parvient à surprendre. Contre toute attente, la reine de la pop se cantonne à un rôle de guest-star, à la fois central au récit en terme d’enjeu mais à sa périphérie en terme de présence. Sans trop forcer sa nature, elle joue une fille un peu bohème, adepte de la débrouille et de l’arnaque minuscule. Elle se fond avec aisance dans cette romance édulcorée avec juste ce qu’il faut de vulgarité malicieuse pour ne pas se renier et ainsi risquer de déplaire à son public. En ce qui la concerne, la sortie du film se double d’une opération commerciale puisque le morceau inédit Into the Groove qui accompagne le générique de fin offrira l’occasion à sa maison de disque de ressortir Like a Virgin agrémenté dudit morceau. Il n’y a pas de petits profits.