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Promets-moi – Emir Kusturica

promets-moi-affiche

Zavet. 2007.

Origine : Serbie / France
Genre : Fol amour
Réalisation : Emir Kusturica
Avec : Uros Milovanovic, Marija Petronijavic, Aleksandar Bercek, Miki Manojlovic…

Elevé par son grand-père, Tsane mène une vie paisible dans la douceur de la campagne serbe. Seul élève de l’école de son hameau, sa vie change brutalement le jour où l’inspection académique décide de fermer l’établissement. C’est alors que son grand-père, se sentant à l’article de la mort, lui demande de se rendre en ville pour y exaucer trois voeux : vendre la vache, lui acheter une icône de Saint Nicolas, et de trouver puis ramener une fiancée. Le moment est venu pour Tsane de devenir un grand garçon.

Chantre d’un cinéma foisonnant et bigarré souvent empreint de noirceur et de poésie, Emir Kusturica apparaît comme un réalisateur très attaché au folklore de son pays, qu’il intègre dans la plupart de ses films. Cela leur confère un petit côté festif que l’on retrouve même dans ses films aux sujets les plus plombants. Promets-moi apparaît comme un pas de côté puisqu’il s’inscrit dans une veine volontiers plus ludique voire cartoonesque. Le voyage de Tsane prend des allures de conte initiatique avec son croquemitaine, sa femme en détresse et une ribambelle de personnages aussi loufoques qu’inquiétants.

Tel le rat des champs, Tsane est invité à se rendre en ville. Par amour pour son grand-père, il quitte le confort de sa petite existence campagnarde pour se frotter à la folie urbaine. Et en terme de folie, il va être gâté ! Emir Kusturica prend un malin plaisir à ne placer sur sa route que des personnages hauts en couleur. De la vieille dame qui passe ses journées assise sous son porche à observer les faits et gestes de ses voisins; à Bajo et ses hommes, belle brochette d’imbéciles aux penchants zoophiles; en passant par ces faux frères siamois adeptes du brigandage; tous se caractérisent par leur exubérance et/ou leur côté décalé. Nimbé dans son innocence et l’esprit rivé sur son triple but, Tsane n’offre guère de prises à la ville et à ses habitants. La folie, il la connaît bien pour l’avoir côtoyée durant toute son enfance en la personne de son grand-père, inventeur farfelu et néanmoins paternaliste. De ce point de vue là, Emir Kusturica se refuse à jouer du décalage entre ville et campagne. Hormis la hauteur des immeubles, la ville n’éblouit pas Tsane et ne l’écrase jamais par son gigantisme. Il s’y sent parfaitement à l’aise et ne souffre nullement du mal du pays. Il faut préciser qu’il bénéficie de l’aide non négligeable de drôles d’anges gardiens en la personne des deux faux frères siamois, fils d’un ami de son grand-père. Grâce à eux, il bénéficie d’un toit pour s’abriter et de toute l’aide nécessaire à ses entreprises de sauvetage : sa vache dans un premier temps, puis Jasna l’élue de son coeur. La maladresse dont fait preuve Tsane découle davantage de son coup de foudre pour Jasna que de son statut de “campagnard descendu à la ville”. Emir Kusturica fait de lui un personnage éminemment positif. L’amour qui l’anime permet à Jasna d’échapper à des perspectives d’avenir bien sombres. A travers elle s’affrontent deux mondes : celui de la campagne et celui de la ville. Le premier embellit les êtres et les laisse s’épanouir en toute liberté, lorsque le second les pervertit et les place sous la contrainte des desiderata d’hommes puissants. Jasna n’est jamais plus rayonnante que dans la simplicité de sa jeunesse, alors que les attributs de l’âge adulte (maquillage outrancier, vêtements chics) le rendent terne et triste.

Dans ce contexte, Bajo fait figure de grand méchant loup de l’histoire, grand tourmenteur de dindons devant l’éternel, et prêt à réduire la jeunesse de Jasna à néant. A l’instar de cette haute figure de la littérature enfantine, il se montre à la fois effrayant et pathétique. Ce personnage permet à Emir Kusturica de jouer sur deux tableaux. Tout film ludique qu’il soit, Promets-moi jette un regard lucide sur la Serbie d’aujourd’hui. Ce pays demeure très marqué par les divers conflits armés qu’il a affronté et souffre d’un certain archaïsme. La ville qui sert de théâtre à l’action ne brille pas par son modernisme. Si ce n’est la présence de téléphones portables, l’histoire pourrait se dérouler trente ans plus tôt qu’on n’y verrait aucune différence. L’ambition de Bajo, qui consiste à accueillir le nouveau World Trade Center dans sa ville, n’en paraît que plus saugrenue quoique révélatrice d’une volonté d’aiguiller le pays sur la voie du progrès. Et puis il y a toujours cette omniprésence de la prostitution, mais une prostitution qui se veut respectable, à l’abri des regards indiscrets. Cela n’en fait pas moins de Bajo un esclavagiste de notre temps, haut représentant de la traite des blanches. En cela, Promets-moi rappelle son Temps des gitans, en moins désespéré toutefois.

Avec Promets-moi, Emir Kusturica ne s’impose aucunes limites. Il réalise un film foisonnant aux péripéties proches du cartoon. Toutes les scènes qui opposent l’infâme inspecteur académique au grand-père de Tsane se concluent inévitablement par des chutes de corps, dignes des plus belles cabrioles de Vil Coyote. A la longue, cela pourrait devenir redondant, mais Kusturica a la bonne idée de les sous-tendre d’une ancienne histoire d’amour dont la flamme se ravive peu à peu. Promets-moi ne raconte pas seulement la quête d’un amour, mais traite également d’une reconquête. Et le film de se clore par une double cérémonie de mariage, contrastant avec un enterrement qui se déroule simultanément, le tout enveloppé dans une pétarade de coups de feu et d’explosions. Tout le cinéma de Kusturica peut se résumer à cette dernière scène : une oscillation constante entre la vie et la mort dans un univers à la folie débridée et à l’énergie débordante. Une véritable bouffée d’oxygène par les temps qui courent.

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