Porco Rosso – Hayao Miyazaki
Kurenai no buta. 1992Origine : Japon
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A la fin des années 20, la mer Adriatique est le théâtre de ballets aériens incessants opposant une coalition de bandits au mercenaire Porco Rosso. Ce dernier, héros de la première Guerre Mondiale, vit à l’écart sur une île déserte afin d’éviter que la police fasciste ne mette la main sur lui. Et c’est aussi un bon moyen pour se mêler le moins possible à la population, lui qui arbore comme une vilaine cicatrice un faciès porcin, semble t-il corollaire de ses années de combat. L’arrivée de Curtis dans la région, un jeune blanc-bec américain désireux de lui prendre le statut de meilleur pilote d’avion, va contre toute attente provoquer bien des bouleversements dans la vie de Porco Rosso.
Sixième film de Hayao Miyazaki, Porco Rosso est le premier à bénéficier d’une sortie internationale, deux ans après sa réalisation. A cette époque -la première moitié des années 90- il était rare qu’un dessin animé japonais (un manga) sorte par chez nous. Avant Porco Rosso, seul Akira de Katsuhiro Otomo avait eu les honneurs du grand écran et c’était en 1989. Pour les amateurs de manga, le petit écran demeurait le meilleur allié. Et c’est d’ailleurs grâce au petit écran que nombre d’entre nous (grosso modo, la génération 1975 – 1985) ont fait sans le savoir la connaissance de Hayao Miyazaki, bien avant que les distributeurs ne s’intéressent à ses œuvres, via notamment les séries en dessins animés Heidi et Les Aventures de Sherlock Holmes sur lesquelles il a travaillé. Porco Rosso témoigne, et ce de manière encore plus évidente que lors de ses films précédents, de l’incunable passion que le réalisateur voue aux machines volantes de toutes sortes. Son œuvre en fourmille, et il paraissait donc naturel qu’il en arrive à placer l’aviation au cœur de l’un de ses récits.
Hayao Miyazaki n’est pas du genre à tergiverser, et il n’a pas son pareil pour rentrer dans le vif du sujet à peine les dernières notes du générique jouées. Il lui suffit d’une scène -la première- pour tout à la fois nous situer l’action du film dans le temps (l’année 1929, date figurant sur la couverture d’un magazine), nous indiquer la nature mélancolique de son récit avec l’utilisation de la chanson “Le Temps des cerises” qui passe à la radio, ainsi que la solitude et les activités du personnage titre (il vit sur une île déserte et on l’appelle lorsqu’on a besoin de ses services). De prime abord, il ne s’agit pas d’un personnage fort sympathique. Bourru et bougon, il apparaît surtout aigri du fait de sa condition porcine dont on ne saura pas grand-chose des origines. En creux se dessine une possible malédiction liée à sa volonté de se mettre en marge d’un monde dans lequel il a perdu toutes ses illusions. Dés lors, il a choisi de vivre en solitaire, de ne prendre parti pour rien ni qui que ce soit d’autre que lui-même. Pourtant, le monde ne l’oublie pas. Il y a tout d’abord Gina, veuve de l’un de ses compagnons d’arme et amie d’enfance, la seule qui se souvienne de lui avant sa malédiction. Elle tient un bar, lui aussi sis sur une île, dans lequel se retrouvent tous les aviateurs de la région, pirates compris. Chanteuse à l’occasion, elle attendrie tout son monde de sa voix suave et jouit d’une douce autorité sur tous ces mâles qui la dévorent des yeux. Porco Rosso aime également venir l’écouter, mais seulement le soir, lorsque la pénombre réduit le champ visuel de ses contemporains. C’est que sous ses dehors porcins bat le cœur d’un homme, un homme qui vit mal sa situation et qui préfère se faire discret lorsqu’il doit côtoyer la population. Et comme tout homme, il a des besoins que la solitude ne fait qu’exacerber, ce qui explique son manque d’enthousiasme lorsque la jeune et accorte Fio souhaite l’accompagner jusque sur son île. Au fil du temps, il s’est forgé une carapace qui comporte tout de même quelques fêlures. Et puis il y a ce vieux compagnon d’arme qui aimerait le voir quitter sa vie de mercenaire pour embrasser à nouveau l’armée. Mais Porco Rosso n’en a cure, lui qui met un point d’honneur, lors de ses vols commandés, à ne jamais tuer quiconque. Du sang, il en a trop fait couler durant la guerre et il ne veut plus se salir les mains au profit de nouveaux dirigeants dont il goûte fort peu la nouvelle inclination.
Au-delà des ballets aériens qui jalonnent le film, et qui bénéficient d’une animation fluide et dynamique, Hayao Miyazaki n’oublie pas d’évoquer en filigrane les soubresauts d’une période trouble pour l’Italie. Qu’on ne se méprenne pas sur l’identité des réels méchants de l’histoire. Il ne s’agit nullement des membres de la coalition des pirates, dont la caractérisation simpliste (la plupart ont le visage bardé d’une grande cicatrice) et un comportement pour le moins enfantin en font des bandits d’opérette. Dans une Italie complètement exsangue, ils symbolisent tout bonnement la détresse du peuple italien qui, pour pouvoir se nourrir, s’adonne au brigandage. Eux non plus ne tuent pas, jouant sur l’effet persuasif de leurs armes plutôt qu’en s’en servant d’agents de la mort. Porco Rosso ne les hait pas, et il leur serait d’ailleurs plutôt reconnaissant puisque c’est grâce à eux qu’il gagne sa vie. Quant à Curtis, il ne s’agit que d’un exalté, une grande gueule pas méchante qui ne rêve que de gloire et de reconnaissance. Et, si possible, d’un beau mariage avec une belle femme, Gina par exemple …ou Fio. Non, le véritable méchant se tapit dans l’ombre, personnifié par ces hommes qui suivent sans relâche l’aviateur porcin. Ces membres de la police fasciste dont le chef absolu a accédé au pouvoir sept ans plus tôt et qui règne d’une poigne de fer sur le pays. Non content de réaliser un film parfaitement maîtrisé d’un point de vue formel (si le trait peut paraître simpliste, le dessin fourmille de détails, ce qui donne du relief à chacune des scènes), Hayao Miyazaki n’occulte pas le fond, n’hésitant pas à prendre comme théâtre de l’action une période sombre de l’histoire de l’humanité. C’est qu’il se refuse à ne s’adresser qu’aux enfants, sous prétexte qu’il œuvre dans le dessin animé. Il réalise des films qui s’adressent avant tout au plus grand nombre, toujours dotés de différents niveaux de lecture, sources de leur richesse. Porco Rosso n’est donc pas un héros purement positif, sa malédiction pouvant aussi se lire comme une preuve de lâcheté de la part d’un homme qui ne veut plus se confronter au monde, préférant la liberté que lui procure ses envolées à bord de son fidèle hydravion. Un homme tellement tourné sur lui-même qu’il ne s’aperçoit pas que Gina le regarde avec des yeux de chimène. En ce qui les concerne, Hayao Miyazaki ne déploie jamais tout l’arsenal digne de la belle et la bête. Jamais Gina ne montre de répulsion pour l’état de son ami, ni aucun autre personnage d’ailleurs. Il ne joue pas sur le registre de l’intolérance, car si Porco Rosso ne se terrait pas comme un ermite, il aurait tout à fait sa place dans la société. Gina fait un peu figure de princesse du récit, celle que tout le monde convoite, mais qu’un seul homme peut conquérir. Hayao Miyazaki s’amuse de cette figure en la parasitant par un autre personnage féminin -Fio- qui pourrait lui aussi briguer ce statut. Et notre homme, un brin malicieux, de laisser en suspend l’issue de cette romance après que le seul baiser échangé ait eu lieu entre la jeune Fio (17 ans seulement !) et un Porco Rosso tout cabossé. Ce n’est pas chez Disney qu’on verrait ça !
A l’aune de la carrière imposante, en terme de qualité, de Hayao Miyazaki, Porco Rosso demeure en retrait du Château dans le ciel et de Princesse Mononoke, que je considère tous deux comme ses plus beaux films. Ici, il manque ce brin d’émotion qui nous entraîne à corps perdu sur les pas des héros. Le spectacle reste de qualité, mais pas toujours très enthousiasmant même si, de ci de là, le talent de Miyazaki pour croquer les personnages secondaires et les rendre immédiatement attachants parvient à éclater. Finalement, ce fut plutôt une aubaine pour les spectateurs qui ont découvert l’homme avec ce film : le meilleur restait à venir.