Né pour l’enfer – Denis Héroux
Born for hell. 1976Origine : Canada / R.F.A. / France / Italie
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Fraichement démobilisé du conflit au Vietnam, Cain Adamson (Mathieu Carrière) se retrouve coincé à Belfast, à court d’argent pour se payer une place sur un navire qui le ramènerait chez lui, aux États-Unis. Réfugié dans un foyer de paumés, il a tout loisir de contempler la décrépitude de la capitale de l’Irlande du nord, en plein conflit opposant loyalistes et républicains. Une situation qui affecte la vie quotidienne de huit jeunes infirmières vivant dans un pensionnat, obligées de se rendre à l’hôpital sous escorte. Non sans avoir préalablement établi un premier contact avec deux d’entre elles, auprès desquelles il a quémandé de quoi manger, Cain s’introduit une nuit dans leur pensionnat et se met à les séquestrer sous la menace d’un couteau. Son seul but est dit-il de leur voler suffisamment d’argent pour rentrer chez lui. Il ne va cependant pas résister à l’envie de les torturer.
Réalisé par un canadien francophone (Denis Héroux), co-écrit par le même accompagné d’un allemand et d’un hongrois (le réputé Géza von Radványi), interprété par des acteurs allemands, américains, français, italiens, québécois et co-produit par des financiers venus de quatre pays, tourné en partie en Irlande du nord, Né pour l’enfer est une parfaite illustration de l’internationalisme qui caractérisait le cinéma d’exploitation des années 60 et 70, basé sur la collaboration internationale. Une méthode favorisant à la fois la maturation d’artisans du cinéma venus de pays à l’industrie cinématographique balbutiante et les finances d’investisseurs expérimentés pouvant ainsi profiter de fonds, de techniciens, de décors, d’acteurs, de marchés et de divers autres avantages supplémentaires. Ceci dans le but bien entendu de s’imposer dans un créneau créé par le relâchement de la censure et laissé libre par les gros studios hollywoodiens, frileux par nature. Mais encore fallait-il réussir à se distinguer, car lors de cet âge d’or du cinéma d’exploitation, la concurrence était rude. Quoique ce ne soit certainement pas là-dessus que son sort s’est joué, Né pour l’enfer a ceci d’original qu’en plus des représentants de trois pays souvent associés dans les productions internationales (la R.F.A., la France et l’Italie), sa dominante est issue du Canada, pays dont l’industrie cinématographique était vampirisée par sa rivale américaine. Cependant, dans les années 70, sous l’influence gouvernementale cherchant à développer ce secteur artistique -notamment via des avantages fiscaux- une nouvelle génération commença à apparaître. Certaines personnalités ayant démarré leur carrière à cette époque et dans le cadre du cinéma d’exploitation allaient plus tard se faire un nom aux États-Unis. C’est le cas d’Ivan Reitman qui réalisa Cannibal Girls bien avant les SOS Fantômes et de David Cronenberg, dont le succès a permis à Frissons, Rage et Chromosome 3 de ne jamais tomber dans l’oubli. Les francophones frères Héroux sont de la même génération, mais sont loin d’avoir obtenu la même notoriété. Claude s’est surtout fait remarquer pour avoir produit Cronenberg a plusieurs reprises, tandis que Denis a connu une carrière de réalisateur et de producteur pour le moins hétéroclite, mais sans qu’aucun titre ne marque les esprits. Ne serait-ce que pour la réputation du cinéma d’exploitation canadien, et canadien français de surcroît (c’est peut-être ce qui lui a valu ses partenaires européens), son Né pour l’enfer aurait pourtant largement mérité qu’on se souvienne de lui. Inscrit dans la mode du “shocker”, ces films d’exploitation réputés pour leurs aspects malsains, il flirte avec des films tels que La Dernière maison sur la gauche, Avere vent’anni ou encore La Maison au fond du parc. Flirte mais ne copie pas. Car là où l’essentiel de ces films, principalement celui de Wes Craven, le plus influent d’entre tous, jouaient la carte du désenchantement face à l’échec du flower power, Né pour l’enfer embraye sur ce qui suit logiquement : le nihilisme.
Le monde est pourri, surtout à travers les yeux de Cain Adamson. En plus d’avoir eu une enfance difficile à l’origine de sa complexe relation avec les femmes (sans parler de sa propre épouse, engrossée par son meilleur ami), il a donc été envoyé au Vietnam où il manqua se faire tuer, rata son suicide et d’où il repartit pour se retrouver bloqué dans la grisaille de Belfast au milieu de ce qui s’apparente à une guerre civile. Tout est là pour lui rappeler sa triste condition et celle du monde. Les actualités ne parlent que de massacres aux quatre coins du monde, dans la rue les enfants jouent à la guerre, une vieille prostituée s’offre à lui avec vulgarité et les habitants de Belfast ne manifestent pas un sens de l’hospitalité très marqué. Seule deux infirmières semblent compatir en lui donnant des provisions, mais est-ce par générosité ou par peur face à ce qu’il est devenu, c’est à dire un simple rôdeur ? Il faut moins d’une demi-heure à Héroux pour dresser un constat totalement noir à la fois du monde et de son personnage principal, ce Cain Adamson dont le nom évoque bien sûr Caïn, le fils d’Adam meurtrier. Héroux n’ouvre jamais la porte de l’espoir, ni ne cherche à établir le pourquoi d’une telle situation, dont Cain hérite comme d’une malédiction inéluctable. Se référant à la fois au monde dans lequel il doit vivre et aux actes qu’il va bientôt commettre et qui le voueront à un sinistre destin, “Né pour l’enfer” est l’inscription du tatouage de Cain. Cela pourrait également être “No future”, puisque ce nihilisme a tout de la philosophie des premiers punks, avant que ce mouvement ne devienne un phénomène de mode puis une forme de militantisme. Héroux n’en a certainement pas eu conscience, mais son film peut être considéré comme l’un des tous premiers films punks, car outre son pessimisme forcené, on y retrouve aussi des caractéristiques tels le minimalisme et la simplicité corrosive… En musique, cela prenait la forme d’un retour aux sources du rock’n’roll, considéré comme une musique primaire, énergique et directe, pouvant être joué par n’importe qui pourvu des instruments rock standards. Au cinéma, cela se concrétiserait comme ici, c’est à dire via un style réaliste jusqu’à ressembler à un documentaire, sans fioritures techniques et reposant sur un scénario violent et direct, laissant le soin aux spectateurs d’interpréter des faits livrés bruts. Né pour l’enfer répond exactement à ces qualificatifs, son scénario étant même une retranscription de l’affaire Richard Speck, un marin qui envisagea le simple cambriolage d’un pensionnat de huit infirmières et qui finit par les torturer, les violer et les tuer une à une. Pas plus que Héroux ne développait le personnage de Cain il ne développe les infirmières, qui nous sont aussi étrangères qu’elles ne le sont au tueur. Il ne les chosifie pas non plus : elles ne sont pas des bimbo hurlantes et si ce n’est via des caractères plus ou moins affirmé, toutes sont sur un pied d’égalité et réagissent logiquement. Tout juste le réalisateur cède-t-il à la facilité d’inclure une lesbienne. Même chose pour les tortures d’ordre essentiellement sexuel, puis par répercussion psychologique : nous ne sommes pas dans le premier Ilsa, et on a déjà vu des choses beaucoup plus cruelles à l’écran. L’objectif du réalisateur est de montrer des choses réalistes, ne cédant ni au spectaculaire ni au romanesque. Quasiment dépourvu de musique, Né pour l’enfer veut montrer des choses vraisemblables tout en gardant le détachement froid du documentaire. C’est ainsi que Héroux illustre sa vision foncièrement noire du monde, en l’ancrant dans le réalisme. L’histoire qu’il raconte et le cadre qu’il a choisi sont après tout directement issus de l’actualité.
Un regard superficiel porté sur Né pour l’enfer pourrait laisser croire en un simple jeu de massacre avec plein de filles nues et un tueur pervers. Mais ce serait faire peu de cas du style employé par Héroux, qui donne à ce sujet effectivement léger une toute autre dimension et qui prouve que pour racoleur qu’il soit, le cinéma d’exploitation peut se montrer aussi réfléchi que n’importe quelle autre forme de cinéma.