L’Homme qui en savait trop – Alfred Hitchcock
The Man Who Knew Too Much. 1956.Origine : États-Unis
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Petite précision avant de commencer : j’ai visionné le film en version française, dans laquelle les prénoms de la femme et du fils du Dr McKenna diffèrent de la version originale. Des prénoms francisés que je reprendrai à mon compte tout au long de mon texte. Ceci posé, nous pouvons entrer dans le vif du sujet.
A la faveur d’une maladresse de son fils dans le car qui les conduit à Marrakech, le Dr. Benjamin McKenna sympathise avec Louis Bernard, un négociant français aussi avenant que mystérieux. Ce dernier se propose de les convier le soir même, son épouse Dorothée et lui, dans un restaurant typique, puis de les accompagner le lendemain au souk. Or le soir arrivé, il se désiste brusquement, prétextant un rendez-vous qu’il avait oublié. Benjamin doit convenir que son épouse avait raison, ce français se comporte d’une bien étrange façon. Et quelle n’est pas sa surprise de le retrouver au souk grimé en arabe, exhalant son dernier souffle dans ses bras, non sans lui avoir communiqué quelques informations sur un assassinat à venir. Désormais détenteur d’un savoir dont il se serait bien passé, Benjamin est en outre victime de chantage. Il ne devra sous aucun prétexte révéler ce qu’il sait à la police sous peine de ne plus revoir son fils, kidnappé par un couple de touristes sur lesquels sa femme et lui pensaient pouvoir compter.
Pour la première et seule fois de sa carrière, Alfred Hitchcock réalise le remake de l’un de ses films, en l’occurrence L’Homme qui en savait trop réalisé en 1934. Un remake que le producteur David O. Selznick avait déjà envisagé du temps où il avait le réalisateur sous contrat, et qui se fera finalement sous l’égide d’un grand studio – la Paramount – durant la période la plus fastueuse du réalisateur. Ce qui ne va pas sans quelques compromissions de sa part – la présence de Doris Day, chanteuse devenue actrice, lui est ainsi imposée – dont il saura néanmoins s’acquitter avec la malice qui le caractérise.
Comme à son habitude, la résolution de l’intrigue importe moins à Hitchcock que la manière dont ses personnages vont triompher de l’adversité. Le complot visant à abattre l’ambassadeur est traité avec une telle légèreté qu’il relève du simple MacGuffin, propice aux morceaux de bravoure. Ainsi, l’un des clous du spectacle se déroule au prestigieux Royal Albert Hall à Londres – à l’image de son modèle – dont l’orchestre symphonique est dirigé par nul autre que Bernard Herrmann en personne, dans l’un de ses clins d’œil dont Alfred Hitchcock raffole. Près de 10 minutes durant lesquelles la musique occupe tout l’espace, le coup de cymbale devant sonner le glas de l’ambassadeur, moment choisi pour masquer la détonation de l’arme du tueur. Alors que les enjeux sont quasi nuls – les McKenna agissent davantage pour sauver leur fils que pour déjouer le complot – Alfred Hitchcock n’hésite pourtant pas à considérablement étirer la scène usant de subterfuges grossiers (si la scène est muette, les personnages n’en parlent pas moins entre eux) jusqu’au cri libérateur et salvateur de Dorothée qui se mêle au coup de cymbale tant attendu. C’est qu’Alfred Hitchcock ne rechigne guère à sacrifier au seul plaisir de sa mise en scène un semblant d’implication de la part du spectateur. Le suspense apparaît ici dans toute son artificialité mais trouve un prolongement autrement plus ludique dans la scène suivante qui se déroule à l’ambassade. Là, Alfred Hitchcock réussit à entremêler les desideratas du studio – la présence de Doris Day inclut une chanson, qui glanera d’ailleurs un Oscar (« Que sera, sera ») – à la résolution de son intrigue. Loin d’être gratuit, le passage chanté sert de pont entre la mère et son fils, dont la complicité avait été explicitée au détour d’une scène à Marrakech. Hitchcock nous invite alors à suivre littéralement le son de la voix de Dorothy, laquelle parvient par palier successif jusqu’à son enfant séquestré non loin en un fil invisible que Benjamin n’aura plus qu’à remonter. Pour facile que soit la résolution de tout cet imbroglio finalement bien inoffensif – le film se conclut d’ailleurs de manière abrupte par un gag –, elle repose néanmoins sur une belle idée de mise en scène à l’étincelante simplicité. En fait, L’Homme qui en savait trop n’est jamais meilleur que lorsqu’Alfred Hitchcock délaisse l’écheveau un peu lâche du complot pour insister sur l’essence de ses personnages.
Coutumier du fait, Alfred Hitchcock se plaît à envoyer deux pékins au cœur d’une situation qui les dépasse. Un effet qu’il accentue en plaçant les McKenna dans un contexte étranger où brille leur inadaptation aux mœurs locales. Tout participe, jusqu’aux transparences abondantes dans la partie à Marrakech – résultat de passages refilmés en studio, à ce que les McKenna apparaissent en total décalage avec leur environnement. Néanmoins, Dorothée conserve un ascendant sur son mari dans le sens où elle jette un regard moins naïf sur ce qui l’entoure, pressentant quelque anguille sous la roche. De tout le film, elle s’imposera comme l’élément le plus réfléchi du couple, et au jugement le plus sûr, au contraire d’un époux impulsif et à la gaucherie qui vire souvent au burlesque (le point d’orgue : James Stewart qui se débat avec son corps de grand échalas pour s’asseoir au restaurant). Alfred Hitchcock donne libre court à sa fantaisie tant que l’intrigue se déroule à Marrakech, avec au passage une petite pique de rigueur contre les français et leurs goûts culinaires particuliers (ah, les escargots !), puis se perd quelque peu dans la résolution de son intrigue prétexte, peu aidée par l’insignifiance de l’adversité.
Titre-phare de la carrière américaine d’Hitchcock, au même titre que les Fenêtre sur cour, La Mort aux trousses et autre Psychose, L’Homme qui en savait trop déçoit plus qu’il n’éblouit. L’indéniable savoir-faire du réalisateur tourne ici à la boursouflure (la version américaine dure tout de même près d’une heure de plus que le film original), et fait regretter « l’amateur de talent » du film original.