Le Projet Blair Witch – Daniel Myrick & Eduardo Sánchez
The Blair Witch Project. 1999Origine : Etats-Unis
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Le “buzz”. Le monosyllabisme bourdonnant du mot correspond parfaitement à l’irritante vacuité du concept qu’il désigne. Le “buzz”, et je me refuse à retirer les guillemets, est un peu à la publicité ce que la participation à la télé-réalité est à la célébrité. Un “truc” éphémère, popularisé par les nouvelles technologies, et basé sur rien du tout. Le “buzz” a investi plusieurs secteurs d’activités, c’est dans sa forme la plus inoffensive un gag de bêtisier devenu centre d’intérêt, et dans sa forme la plus nauséabonde une façon de réduire la vie publique au niveau du caniveau où croupit la presse à ragots (dite “people”, et elle aussi parfois dotée d’un nom débile). Happée par la folie du “buzz”, la vie politique tend ainsi de plus en plus à se limiter aux petites phrases d’untel ou untel. Et puis il y a la culture, aussi, et principalement le cinéma, dont l’aspect artistique est fortement tributaire de son marketing, donc de sa capacité à faire parler. Le “buzz” est alors un moyen pratique et économique, décliné par le “marketing viral”. Mais encore faut-il savoir comment créer un “buzz”, qui doit être suffisamment court et attirer au-delà du cadre des simples amateurs de cinéma. Et c’est dans ce domaine plus que dans tout autre que Le Projet Blair Witch a fait sensation. En vendant le film comme une histoire vraie après l’avoir fait passer pour une vidéo personnelle façon Youtube, ses distributeurs ont réussi à “faire le buzz”, alors que le terme n’existait même pas encore. Et pourtant, les deux réalisateurs n’avaient pas travaillé dans cette optique. Leur première étape fut de tourner un faux documentaire de 8 minutes dressant les grandes lignes de ce que deviendra le film définitif. Bien qu’il ait été monté en épingle, Le Projet Blair Witch n’est pas à l’origine une œuvre purement marketing, et n’a pas été tourné comme tel. Toutefois, pouvait-on exploiter autrement un film conçu entièrement comme un documentaire ? Le scénario parle de lui-même :
A l’automne 1994, Heather, Joshua et Mike, trois étudiants, disparaissaient dans la forêt de Burkittsville, Maryland, où ils tournaient un projet de documentaire. Une forêt de sinistre mémoire que celle-ci, ayant abrité un tueur d’enfants dans les années 40 en plus d’être le théâtre de la légende de la sorcière de Blair, sur laquelle les trois disparus travaillaient.
Et bien entendu, Le Projet Blair Witch n’est autre que ce qui a été tourné par les trois étudiants, dont le film a été retrouvé un an plus tard. Un argument faisant furieusement penser à Cannibal Holocaust, à ceci près que ce dernier jouait la carte de la répulsion plutôt que celle de la peur, et surtout qu’il accompagnait sa partie “caméra à l’épaule” d’une véritable signification née des personnages et des divers à côtés. Cannibal Holocaust traitait du voyeurisme et des médias. Le Projet Blair Witch ne traite de rien du tout. Daniel Myrick et Eduardo Sánchez ont pour seule ambition de faire un film de terreur “pure”, et leurs personnages n’ont pas d’autre rôle que de participer à cet objectif. Ainsi, si Le Projet Blair Witch se veut un documentaire amateur, c’est à dire ce qui se fait de plus poussé en matière de réalisme, Heather, Josh et Mike ne se départissent paradoxalement jamais d’un comportement très artificiel. De la certitude absolue d’être capables de se repérer dans les bois et de faire leur travail, ils passent ensuite par le doute, l’appréhension, les tensions puis, suite à la disparition d’un d’entre eux, à la peur confinant dans les dernières minutes à l’hystérie. Ou comment des jeunes gens civilisés et sûrs d’eux-mêmes ont été ébranlés dans leurs certitudes par une suite d’évènements forcément rattachés à la légende de la sorcière résumée tout au début, lorsque les trois étudiants s’entretenaient avec des habitants de Burkittsville. Une progression allant d’un extrême (la vanité affichée par Heather, la dérision des autres sur les habitants du coin) à l’autre (la terreur) ne laissant aucune place à la surprise ou à la simple originalité. Pour les deux réalisateurs, le documentaire était un moyen de placer le spectateur au côté des personnages, et plus ceux-ci tombent de haut plus le spectateur, pensent-ils, fera de même. Il convient donc de grossir le trait, de mettre à genoux des personnages quitte à en passer par des scènes qui avec un peu de recul sont consternantes (le fameux monologue d’Heather en fin de film, dont le cadrage foireux repris sur l’affiche le dispute à l’imbécilité de son mea culpa). La manipulation du procédé entretient peu de rapport avec le documentaire, trahissant ainsi la superficialité du “projet”… mais cela aurait quand même pu fonctionner. Encore aurait-il fallu que les réalisateurs, sans pour autant abandonner l’esprit documentaire, soient prêts à utiliser des techniques cinématographiques un minimum professionnelles, plutôt que de donner la caméra à leurs acteurs et de les laisser vadrouiller avec un minimum d’indications spatiales sous le prétexte qu’ils se sont perdus et que l’on doit en avoir conscience. Et pendant qu’on y est, ajoutons que l’amateurisme supposé de Heather n’excuse en rien le fait qu’elle filme n’importe quoi n’importe quand, ce qu’un de ses amis, fin psychologue, explique par une soi-disant prise de distance avec la réalité via la caméra, mais qui ne cache pas le fait qu’avant même d’être dans la mouise, la Heather gâchait déjà honteusement sa pellicule. Mais il faut croire que cette dernière est inépuisable, puisqu’elle parvient à filmer tout son séjour dans les bois, alors qu’il aura duré beaucoup plus longtemps que ce qu’elle avait prévu. L’amateurisme de Myrick et Sánchez trahit celui de leurs personnages, détruisant au passage toute la foi que l’on aurait pu apporter à ce qui est censé être un documentaire authentique. Le hic, c’est que c’est là-dessus que repose tout Le Projet Blair Witch…
Ce que l’on ne voit pas effraie plus que ce que l’on voit, entend-on souvent. L’imagination occupe une très grande place dans le sentiment de peur, c’est indéniable. Mais il ne faudrait pas non plus que cette constatation devienne un lieu commun à l’aune de laquelle serait conçu ou jugé n’importe quel film d’épouvante. Ainsi, quoique considéré comme l’un des films les plus effrayants jamais tournés, si ce n’est le plus, L’Exorciste ne rechigne pas aux effets spéciaux et aux effets de maquillage. Si ce n’est pour une dent sanglante floue et mal cadrée, Le Projet Blair Witch est vierge de toute concrétisation. Cela en fait-il pour autant une œuvre terrifiante ? Que nenni ! Nous avons là l’exemple type du film qui cherche à faire peur sous la contrainte. J’entends par là cette exacerbation artificielle des sentiments éprouvés par les personnages et l’obligation pour le spectateur de s’y conformer par le biais de cette immersion documentaire, ainsi que les questions spatiales et temporelles (aucune indication de temps n’est donnée) faites pour désarçonner le public. Des méthodes grossières pour titiller l’imagination, palliant au manque total d’éléments surnaturels. Même dans les films d’épouvante qui cédaient le moins au spectaculaire (type La Maison du diable), il planait toujours cette sensation d’être confronté à l’inconnu sans échappatoire possible. Il n’en est rien dans Le Projet Blair Witch. Si ce n’est pour les quelques maigres signes ésotériques rencontrés en chemin, rien ne permet véritablement de sentir la véracité des menaces censées peser sur les trois apprentis journalistes. Difficile de se sentir concernés par une légende aussi vaseuse exposée tout au départ et qui est toujours censée être à l’esprit alors que les personnages crapahutent dans les sous-bois en s’effrayant de choses que l’on ne voit pas et que l’on entend pas ou prou. Du reste, compte tenu du manque total d’éléments rattachés au fantastique, on pourrait aussi bien considérer que la sorcière n’est pas la responsable de cette mésaventure… Il n’est pas exclu que les gens du coin y soient mêlés ou qu’ils soient de mèche avec au moins un des deux amis de Heather. Myrick et Sánchez se sont tellement adonnés au hors champ que l’on peut tirer toute sorte de conclusions sur les évènements vécus par les trois personnages. Pour ma part, j’y vois surtout trois gus caricaturant la peur par la faute de réalisateurs qui ne semblent eux-mêmes pas bien avoir compris les mécanismes du film d’épouvante, et qui ne se reposent que sur le cliché simpliste du “hors-champ”.
Le Projet Blair Witch est un film au sujet duquel les réactions ont de fortes chances d’être radicales. Il ne tient que par sa capacité à entraîner le spectateur dans le sillage des personnages. Lorsque c’est le cas, on peut au moins espérer que cela fasse son petit effet (et encore, pas sûr, du moins sur la durée). Lorsque ce n’est pas le cas, et pour toutes les raisons exposées ça ne le fut pas du tout pour moi, il n’y a plus rien à en sauver. Ne reste alors plus qu’un “buzz” étiré sur une heure vingt et encore moins effrayant que les vidéos de pseudo-fantômes remplies de grosses ficelles disponibles à foison sur Youtube.