Le Faucon maltais – John Huston
The Maltese Falcon. 1941Origine : Etats-Unis
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Une jolie femme engage deux détectives, Sam Spade et Archer, pour suivre un certain Floyd Thursby afin de retrouver, soi-disant, sa sœur. Au cours de la nuit, Archer est abattu alors qu’il piste Thursby, lequel subit peu après le même sort. Sam enquête sur les deux meurtres, d’autant qu’il est très intrigué par sa cliente qui se donne le nom de Brigid O’Shaughnessy. Il découvre bientôt qu’elle gravite autour d’une bande assez louche qui compte un Levantin parfumé, Joel Cairo, un jeune gangster peu futé, Wilmer, et un énorme poussah, Gutman. Tous cherchent une statuette d’une valeur inestimable : un faucon d’or qui faisait partie du trésor des chevaliers de Malte…
Le Faucon maltais est considéré comme l’un des meilleurs thrillers de l’histoire du cinéma. Il a été le prototype du film noir des années 40, un modèle d’écriture cinématographique dont s’inspira toute une série de films policiers où l’on retrouvait Sidney Greenstreet et Peter Lorre.
John Huston s’attaquait pour la première fois à la réalisation, après avoir travaillé dix ans comme scénariste pour la Warner. Durant cette période, il avait collaboré au scénario de nombreux films, dont L’Insoumise (Jezebel, 1938), Juarez (1939), La Grande évasion (High Sierra, 1941), qui fut aussi le premier film dans lequel Bogart jouait le rôle principal.
Pour Huston, qui durant sa jeunesse avait été successivement soldat, vagabond, boxeur, figurant et écrivain, il n’allait guère être difficile de s’entendre avec l’auteur du roman. Comme Huston, Dashiell Hammett avait exercé de nombreux métiers : crieur de journaux, commis, agent publicitaire et détective pour le compte de l’agence Pinkerton. Il s’était même occupé du meurtre dans lequel avait été impliqué Fatty Arbuckle. Atteint de tuberculose, Hammett s’était ensuite tourné vers l’écriture de romans policiers où il fit montre d’un grand talent littéraire.
Le Faucon maltais offrit à Huston une situation dramatique à laquelle le réalisateur eut recours dans ses autres films : un groupe hétéroclite de personnages ambigus qui cherchent passionnément un trésor qui, on le saura à la fin, n’a jamais existé. Le roman d’Hammett avait déjà connu deux adaptations cinématographiques. La première en 1931, par le réalisateur Roy del Ruth, avec Bebe Daniels et Ricardo Cortez ; la seconde en 1936, sous le titre Satan Met a Lady, une réalisation de William Dieterle, avec Bette Davis et Warren Williams. Mais seule l’adaptation de Huston est passée – de façon méritée – au rang de grand classique du cinéma. Le rôle du détective Sam Spade avait été proposé à George Raft, mais l’acteur n’osa pas risquer sa réputation avec un réalisateur débutant. Huston accepta donc d’utiliser Bogart. Depuis plus de dix ans, celui-ci était confiné dans les rôles de gangsters. Pour ses 34 premiers films produits par la Warner, Bogart avait été par neuf fois bagnard, il était mort huit fois sur la chaise électrique ou par pendaison, treize fois, enfin, il avait fini criblé de balles. Le Faucon maltais permit à Bogart de se dégager de cette image stéréotypée et de camper un personnage complexe, à la fois cynique et romantique du détective, moderne aventurier de la jungle urbaine.
Huston aimait à dire : “La chose décisive, c’est de confier le bon rôle aux acteurs appropriés“. Le Faucon maltais en fut la plus parfaite démonstration. Pour le rôle de Brigid, Huston avait choisi Mary Astor, alors âgée de trente-cinq ans, qui avait déjà vingt ans de carrière derrière elle mais se trouvait, à cette époque, un peu en perte de vitesse. La comédienne aborda son rôle avec beaucoup d’intelligence. “Brigid était une menteuse congénitale, un peu psychopathe aussi. Mais il arrive que ce genre de menteur puisse parfaitement feindre la sincérité ; pourtant, par mille petits signes, on peut s’apercevoir qu’ils sont en train de mentir… par exemple ils ne peuvent pas s’empêcher de respirer un peu plus vite. Mais moi aussi, très souvent, je respirais plus vite avant de jouer une scène“. Peter Lorre, d’origine hongroise, qui avait fui l’Allemagne nazie, était un acteur très connu en Amérique et en Grande-Bretagne depuis qu’il avait interprété M le Maudit (1931), Sidney Greenstreet, après une brève période durant laquelle il avait été planteur de thé à Ceylan, avait entamé une carrière théâtrale. C’est avec ce film qu’à l’âge de soixante-deux ans il décida, avec quelque appréhension, de faire ses débuts au cinéma. Pour sa première apparition à l’écran, on le vit dans le rôle de Gutman alors qu’il raconte à Sam Spade l’histoire du faucon de Malte tout en guettant les effets de la drogue qu’il a versée dans le verre du détective. Walter Huston, le père du réalisateur, fit une apparition dans le rôle du marin qui entre en chancelant dans le bureau de Spade, lui remet le faucon puis s’écroule, raide mort. Le vieil Huston eut ensuite l’occasion de se plaindre de cette brève scène, qu’il avait dû répéter pendant toute une journée. Les innombrables chutes qu’il avait été obligé de faire lui avaient aussi donné des bleus sur tout le corps.
Le nombre de prises, en général, est peu important dans les films réalisés par Huston. Celui-ci préparait en effet très soigneusement le scénario et le plan de travail, si bien que le tournage se faisait rapidement. Pour Le Faucon maltais, il n’y eut ni changements ni improvisations durant les prises de vues, et le film finit donc par coûter moins cher que prévu. Mary Astor se souvient que pour une scène compliquée, toute une journée de travail avait été prévue. Mais Huston parvint à la tourner en sept minutes, avec une seule répétition. Le tournage suivit pratiquement la chronologie de l’histoire, ce qui permit aux acteurs d’en comprendre l’intrigue assez complexe.
Dès ce premier film, le style de Huston, concis et linéaire, est évident. On peut même dire que ce qu’il y a de meilleur dans le travail du réalisateur, c’est le naturel avec lequel il met en relief les éléments d’une scène et compose un plan. Pour filmer un dialogue animé, la caméra se rapproche et agresse presque les acteurs durant la prise de vue ; s’ils conversent tranquillement elle s’éloigne afin de ne pas créer une tension inutile. Huston ne se sert pas de la caméra de façon rhétorique, il ne cherche pas à tout prix le beau cadrage. Mais parce qu’il s’en sert avec la détermination d’un lutteur qui prépare ses coups, il parvient à créer une grande quantité de plans inoubliables. C’est peut-être cette capacité qu’a Huston d’utiliser les techniques de tournage les mieux adaptées aux buts qu’il se fixe, sans tenir compte des modes, qui permet à ses meilleurs films de supporter l’épreuve du temps. Le Faucon maltais en fait tranquillement partie.