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Le Faubourg – Boris Barnet

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Окраина. 1933

Origine : U.R.S.S. 
Genre : Comédie dramatique 
Réalisation : Boris Barnet 
Avec : Aleksandr Chistyakov, Nikolai Bogolyubov, Sergei Komarov, Yelena Kuzmina…

En 1914, dans un faubourg non nommé d’une ville de la Russie tsariste, la vie suit tranquillement son cours. Les ouvriers de la cordonnerie, seule industrie du patelin, sont en grève. Mais rien de bien méchant, les ouvriers profitant de la grève pour passer du bon temps et narguer leurs patrons. La guerre qui éclate et les appels à l’unité nationale par-delà la lutte des classes mettent fin au conflit social, et conscrits comme volontaires partent presque la fleur aux fusils sous les acclamations. Mais la guerre suivant son cours et étant bien plus dure que prévu, le climat va se dégrader, autant dans le village que dans les tranchées.

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Premier film parlant de Boris Barnet, ex boxeur reconverti en 1927 comme réalisateur, Le Faubourg (que l’on trouve encore parfois en France sous le titre Okraina) est assez peu conventionnel par rapport à certains films produits sous Staline. Si ce n’est pour un dénouement couru d’avance nous présentant la victoire des bolchéviques sous une musique digne des chœurs de l’armée rouge, synonyme de sauvetage pour le prolétariat, il est difficile d’y retrouver des traces de propagande aussi explicites que dans dans les célèbres Cuirassé Potemkine ou Octobre de Eisenstein. Le Faubourg est un film que l’on sent moins intéressé par la glorification du communisme que par la volonté de son réalisateur de célébrer la paix et de condamner la guerre. Un film pacifiste, donc, qui démarre en contredisant ce que l’on pourrait attendre d’un film soviétique de l’époque : loin de décrire la tyrannie du régime de Nicolas II et de la bourgeoisie en voie d’affirmation, Barnet donne un aperçu presque frivole de la vie de l’immédiate avant-guerre. Le conflit de classe est bien là, mais le prolétariat qu’il dépeint, surtout composé de jeunes, ne semble pas particulièrement agressif. Même au travail, la bonne humeur ne se dément jamais. Et lorsque la grève éclate, certains grévistes profitent de leurs heures libres pour draguer la minette… Les patrons n’ont pas l’air d’impressionner grand monde, malgré leurs menaces de licenciements et malgré leurs discours pompeux. Nous sommes en ce début de film dans un monde ressemblant plus à ceux décrits par Gogol dans ses nouvelles, avec le même subtil humour rural, qu’à celui que l’on imagine à la lecture de Lénine. Il faut bien admettre que la décontraction et l’auto-dérision n’a jamais été la caractéristique la plus connue du cinéma soviétique, généralement associé aux expérimentations techniques d’avant-garde, aux dissertations politiques, philosophiques ou historiques… D’où la surprise initiale. Il ne faudrait pourtant pas voir là une marque de dissidence de la part de Barnet, lui-même soldat de l’armée rouge en 1918. Car si l’aspect propagandiste de son film n’est pas énorme, il n’en reste pas moins que le réalisateur illustre malgré tout des préoccupations bolchéviques typiques, surtout pour l’époque où se déroule l’intrigue. Ardents opposants à la première guerre mondiale, à laquelle ils mirent d’ailleurs un terme après avoir pris le pouvoir (pour mieux être entraînés dans la guerre civile par les anciens alliés de Nicolas II et les russes blancs), les communistes ont gagné un prestige certain auprès de la population entre 1914 et 1918. Les raisons de cet engouement sont justement celles qui sont traitées par Barnet, et qui se tournent dans le sens de l’apologie du pacifisme plutôt que dans celui du raisonnement politique. Démarrer le film avec légèreté n’est pas une façon de dire que l’on pouvait s’amuser sous le tsarisme, mais bien un moyen de montrer ce que la guerre, voulue par le Tsar et la bourgeoisie, a coûté au peuple. Éclatée entre plusieurs tableaux se recoupant occasionnellement, la narration ne dispose pas d’un personnage principal, mais de plusieurs individus aux destins brisés par la guerre. Il y a d’abord le vieux Kadkin, esseulé depuis que ses deux fils sont partis au front, et qui peine à accomplir son travail de cordonnier sans assistance. Il y a le bourgeois Greshin, qui par devoir nationaliste coupe violemment les ponts avec son ami allemand. Il y aussi la fille de Greshin, qui en raison de la haine générale envers les allemands ne peut entretenir la relation qu’elle désirerait avec le prisonnier Müller. Enfin, il y a les deux frères Kadkin, dans leurs tranchées, qui se rendent compte qu’ils sont finalement bien loin de profiter d’une partie de plaisir (ce qu’envisageait l’aîné facétieux) ou de pouvoir enfin démontrer leur bravoure (ce que pensait faire le cadet en quête d’affirmation personnelle). Petit à petit, la farce tourne à l’aigre, et le film de devenir de plus en plus noir. Bourgeois comme prolétaires souffrent de la guerre, mais la différence est que les premiers, sagement à l’abri, se confortent dans leur bellicisme et entretiennent une haine qui ne vise en fait qu’à servir leurs propres intérêts. Le cas de Müller est le plus révélateur de tous les tableaux du film : aimant et aimé d’une russe, lui-même prolétaire et cordonnier (embauché par Kadkin), il va pourtant devenir l’ennemi de tous, dénoncé par Greshin père, qui encourage les hommes à le brimer pour venger ceux qui sont tombés au front. Ironiquement, sans que personne ne le sache, Müller doit sa condition de prisonnier à l’un des fils Kadkin, qui l’a sauvé en plein milieu d’un bombardement… Cet allemand est le dénominateur commun à tous les personnages du film, et sa simple présence suffit à rappeler que Le Faubourg est un film profondément pacifiste, et qu’il n’est pas un film anti-communiste. Dans la logique bolchévique au cours de la première guerre mondiale, la fraternisation des soldats russes avec les soldats allemands était naturelle, tous étant des prolétaires manipulés par leur bourgeoisie respective, qui sous couvert de défendre la mère-patrie cherchait en fait à accentuer leur impérialisme. Il n’est pas exclu que Barnet se soit senti concerné par ce thème (inspiré par une histoire du scénariste Konstantin Finn) en raison de sa propre vie, lui qui est d’origine anglaise. Il était temps pour lui, en tout cas, puisqu’il n’est pas sûr qu’il aurait pu livrer le même film quelques mois plus tard… Car pendant qu’il tournait Le Faubourg, Hitler était porté au pouvoir en Allemagne, obligeant bientôt Staline à rechercher (en vain) une entente provisoire avec les puissances capitalistes dans la lutte contre le fascisme allemand. Pas sûr que rappeler la fraternisation avec les soldats allemands au cours de la première guerre mondiale aurait été apprécié.

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Outre son discours pacifiste, Boris Barnet profite également de son premier film parlant pour oser plusieurs expérimentations sur le son, notamment au cours des scènes de guerre. La cruauté des batailles de tranchées se fait davantage ressentir par l’intensité sonore que par les explosions visuelles. Les bruits accompagnant chaque lancé d’obus sont très particuliers, faisant plonger ces quelques instants dans un surréalisme inquiétant reflétant l’état d’esprit des personnages, qui pour leur part sont encore profondément marqués par les gestuelles du cinéma muet. Chose assez surprenante, il n’y a finalement que peu de paroles dans Le Faubourg, et Barnet semble avoir davantage conçu le progrès technologique du parlant comme un moyen d’accentuer encore la recherche de mise en scène plutôt que comme une facilité pour permettre à ses personnages de tout retranscrire par la parole. Suivant les préceptes d’Eisenstein, le réalisateur juge que le sens d’un film découle de sa conception, de sa mise en scène, de son montage (qui affiche ici quelques trouvailles), bref de sa technique. Le réalisateur doit dominer véritablement le film, il en est le garant. Sans quoi, le scénariste pourrait aussi bien être considéré comme le véritable auteur. Quant au Faubourg, c’est un bon exemple parmi tant d’autres de l’importance que revêt cette époque charnière du muet au parlant -et pas qu’en URSS-, qui a contribué à façonner le cinéma.

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