Le Carnaval des âmes – Herk Harvey
Carnival of souls. 1962Origine : Etats-Unis
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Le Carnaval des âmes est le seul film que réalisa le pourtant productif Harold “Herk” Harvey. En fait le réalisateur est également l’auteur de centaines de documentaires à l’usage d’entreprises ou d’associations diverses.
L’idée du film lui vient à la fois de la nouvelle An occurrence at Owl Creek Bridge de Ambrose Bierce et de la visite d’un parc d’attraction situé près de Salt Lake City dont l’atmosphère le marque. Et même si pour écrire le script et réaliser le film il s’entoure de collaborateurs variés (dont son ami John Clifford), Le Carnaval des âmes reste un film très personnel et intime : Herk Harvey en est ainsi le scénariste, le réalisateur, le producteur et il y joue même le rôle de l’homme mystérieux qui poursuit l’héroïne.
Le film nous conte donc l’histoire de la jeune Mary, qui se trouve embarquée dans une course entre la voiture conduite par ses amies, jeunes délurées typiques des années 60, et une voiture conduite par des garçons fiers et moqueurs. Mais la course tourne au drame quand la voiture des filles fait une embardée et finit sa course dans l’eau boueuse d’une rivière profonde.
Les témoins s’affolent et les secours se démènent, très vite des recherches sont organisées et on drague l’eau de la rivière, sans succès. Seule Mary finit par réapparaître à la surface, le visage couvert de boue et l’air hébétée.
Organiste d’église, elle quitte la ville une fois remise, à la recherche d’un autre endroit ou vivre et travailler. Mais une fois sur la route elle se sent poursuivie et devient la témoin d’apparitions fantomatiques de plus en plus fréquentes…
Une histoire bien étrange, que Herk Harvey tournera en 3 semaines avec un budget de seulement 30 000 dollars. De l’écriture à la production, il ne se sera écoulé que 2 mois. Le film est tourné en 16 mm (mais sera gonflé en 35 mm pour l’exploitation en salles) et en noir et blanc, pour des raisons budgétaires principalement. Mais le noir et blanc lui donne aussi un aspect surréaliste et stylisé, proche de l’expressionnisme cher aux cinéastes allemands. Et finalement bien plus que le scénario ou l’interprétation, c’est cette mise en scène pertinente et inspirée qui fait de ce film un des chefs d’œuvres les plus marquants de l’histoire du cinéma.
En véritable chef d’orchestre sûr de son talent, Herk Harvey donne naissance à une atmosphère nimbée de mystère et d’épouvante qui s’insinue insidieusement d’abord parmi les personnages du film, puis très vite parmi les spectateurs. Telle une construction implacable et subtile, cette ambiance se nourrit de tous les éléments du film. Le scénario, qui bénéficie d’une narration limpide et parfaitement huilée, laisse planer beaucoup de zones d’ombres aptes à laisser courir notre imagination. Il contient également bon nombre de trouvailles narratives et visuelles particulièrement habiles (le dénouement notamment avait fait son petit effet à la sortie du film en 1962). Mais paradoxalement la force principale du scénario c’est sa capacité à nous faire progressivement oublier le déroulement strict de l’intrigue au profit de l’inquiétante étrangeté de l’histoire. Arrivé à un certain stade du film, ce qui importe ce n’est plus comment l’histoire va finir, mais au contraire qu’elle ne se finisse pas. Que le charme bizarre qui se dégage des images ne cesse pas, et que ça continue. Le Carnaval des âmes est assurément un film très envoûtant, qui nous emporte tout entier avec lui pour ne jamais totalement nous laisser repartir. Envoûtante, la musique l’est aussi. Les partitions d’orgues qui nimbent le film d’un air lugubre et bizarre participent aussi à l’élaboration de cette atmosphère pleine de charme et de maléfices. Cette mélopée étrange, en plus du symbolisme très fort lié à son rôle dans l’histoire, joue un rôle voisin dans la réalité dans la mesure ou elle envoûte aussi le spectateur et le plonge véritablement dans le film.
Les acteurs sont là pour donner corps à cette étrange fantasmagorie. La jeune Mary est campée par Candace Hilligoss qui pousse son jeu jusqu’au bord de la folie. Enfin toutes les créatures fantomatiques qui s’imposent à elles impressionnent par leur maquillage (visage blafard, yeux soulignés de noir). Mais c’est surtout la mise en scène qui leur donne une présence réelle et inquiétante. Ces scènes où on les voit s’approcher inexorablement de la caméra, les yeux comme braqués sur nous, ne sont pas simplement hypnotiques, mais diffusent un sentiment de terreur pure qu’on a bien du mal à contrôler. Herk Harvey a réussi à créer avec ces êtres des sortes de fantômes universels et inhumains, leurs mouvements glacés et leur silence inquiétant terrifient encore plus de 40 ans après la sortie du film.
La mise en scène et le caractère surréaliste du film créent une ambiance irréelle, et brouillent les frontières entre fantasmes et réel. Dans cette zone ambiguë, perdue entre deux mondes que tout oppose, n’importe quoi peut arriver, et l’apparition de ces êtres étranges qui semblent échapper à toute définition devient vraiment inquiétante.
Bref, Le Carnaval des âmes est une de ces œuvres rares, où chaque élément du film se révèle pertinent et utile. C’est un film qui, malgré le budget et le peu de temps de tournage, témoigne d’une incroyable maîtrise de la mise en scène et de la narration. Un film sans doute très cher à son auteur, qui y insuffle quelque chose d’indéfinissable et de novateur, ce qui explique l’impact qu’il a eu sur le cinéma en général. Les oeuvres de Polanski, Burton, et surtout Lynch lui doivent énormément. La présence qu’ont à l’écran des personnages tels que Dennis Hopper dans Blue Velvet ou l’homme mystérieux de Lost Highway est directement héritée du film de Harvey. Romero s’en inspire aussi pour ses zombies dans La Nuit des morts-vivants, et Shymalan reprend certains principes narratifs pour son Sixième sens. Ce film continue de fasciner encore aujourd’hui et sans doute malgré le talent des réalisateurs qui s’en inspirent ne sera-t-il jamais égalé tant son impact demeure encore fort…
Enfin, à titre informatif uniquement signalons que ce chef d’oeuvre à donné naissance en 1998 à un encombrant remake, réalisé par Adam Grossman et produit par Wes Craven, qui n’a retenu que très peu d’aspects de l’original et qu’il est recommandé d’éviter comme la peste.