La Planète des singes – Franklin J. Schaffner
Planet of the Apes. 1968Origine : Etats-Unis
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Quatre astronautes sont envoyés dans une mission à travers l’espace. Vitesse de la lumière et hibernation artificielle aidant, ils traversent les siècles durant leur sommeil. A leur réveil, l’un d’eux est mort, et le vaisseau tombe en mer sur une planète inconnue. Les trois survivants partent explorer la planète, et seront bientôt victimes du régime en place, dominé par les singes, qui considèrent les humains comme des bêtes. Seul l’un des trois homme, Taylor, parviendra à résister aux singes. Avec l’aide d’une femme-singe scientifique, il cherchera à prouver que les Saintes-Ecritures simiesques, justifiant le statut inférieur des hommes, est erroné…
Blockbuster de son temps, La Planète des singes fut le film auquel le plus de budget fut alloué aux effets spéciaux de maquillage : 17% du budget parti ainsi entre les mains du maquilleur John Chambers, pour un résultat il est vrai époustouflant, les faciès simiesques étant quelque chose ayant toujours posé problème. Heureusement, en ce temps-là, à la fin des années 60, l’étalage d’effets spéciaux ne prenait que rarement le dessus sur le scénario, et si La Planète des singes apparaît aujourd’hui comme un classique, c’est bien pour sa globalité. Adapté du génial livre de Pierre Boulle, le film prend l’apparence d’un film de science-fiction mâtiné d’aventures, et les évènements vécus par le personnage de Charlton Heston se dérouleront en trois temps : la découverte de la planète, sa séquestration par les singes et enfin, sa rebellion. Un schéma dont la première partie fait place à l’inconnu total, et qui à ce titre ressemble fort à de la science-fiction classique, où les personnages découvrent un nouveau monde. Les deux dernières, quand à elles, sont bien plus originales et permettent à Schaffner de faire de son film un grand moment de science-fiction intelligente, où la réflexion sur l’humanité domine. Le comportement des singes évoque en effet le comportement de l’humanité elle-même, de ce qu’elle a été au moyen-âge et au-delà : pseudo-science guidée par de soit-disantes Saintes Ecritures incitant au mépris et au racisme. Les singes se considèrent en effet supérieurs culturellement et biologiquement, comme l’homme lui-même autrefois.
A ce titre, la civilisation des singes marie à la fois le côté médiéval (pour le côté idéologique) au modernisme (la science), et couvre ainsi les différents attitudes des hommes au court de l’Histoire. Le scénario parvient à faire ressentir toute la puanteur de ces comportements en inversant les positions du spectateur : il le force à s’identifier à Taylor, à l’humain, et ainsi percevoir de façon plutôt virulente ce que c’est que de se retrouver dans la peau de “l’espèce inférieure”. Le film devait au départ suivre le livre de Pierre Boulle et montrer la civilisation simiesque comme l’équivalent de la civilisation occidentale dans les années 50. Mais, le budget ne permettant pas de construire tant de décors, les singes furent donc placés dans un cadre plus médiéval. On peut s’en féliciter, puisqu’en plus de permettre une référence à l’Humanité sur une période bien plus générale, cela permet d’accentuer encore le côté primitif d’une société marquée par l’obscurantisme forcé, décidé par une poignée d’individus (Zaius notamment) au mépris totale de la vérité, qu’ils savent être différents des Saintes Ecritures. L’une des scènes les plus réussies du film sera ainsi le procès de Taylor et de ses singes qui le défendent, Zira et Cornelius : un jugement pour le moins partial, où les trois accusateurs sont aussi les juges, qui dans un plan très révélateur se cachent les yeux, la bouche, les oreilles (“je ne vois rien, ne dit rien, n’entend rien”). Avec tout ça, prend-on pour autant en pitié Taylor ? Non, pas vraiment.
Car si le film se montre très dur vis-à-vis de l’Humanité à travers la métaphores des singes, il cherche intelligemment à éviter toute forme d’hypocrisie. Taylor est quelqu’un qui a fuit la Terre pour trouver une meilleure civilisation ailleurs. Chose très compréhensible, sauf que lui-même est quelqu’un de suffisant, comme le prouve la domination qu’il exerce dans un premier temps sur ses deux camarades astronautes, puis sur Nova, femme de cette planète des singes réduite à l’état sauvage. Son manque d’égards pour ses défenseurs Zaius et Cornelius est aussi criant, et pour finir, malgré son jugement négatif sur l’Humanité terrienne, il finira lui aussi par considérer les singes comme inférieurs, cherchant à prouver que leur civilisation est inférieure à l’humanité, dont l’Histoire sur cette planère reste mystérieuse. La fin, énorme moment de cinéma devenu mythique, lui décochera une révélation funeste en pleine poire, lui renvoyant l’absurdité totale du genre humain et le légitime combat des singes et des Saintes Ecritures, obscurantistes pour mieux éviter un progrès civilisationnel du même style que celui des humains. Le dénouement est sans pitié et laisse le spectateur totalement sans espoir, entre un monde des singes dominé par une idéologie douteuse et le passé d’une civilisation humaine tout aussi intolérable, si ce n’est plus…
Nous avons là une oeuvre majeure de la science-fiction américaine, aussi formellement réussie qu’intelligente. Et même si on n’adhère pas volontiers aux propos du film, l’audace avec laquelle ils sont véhiculés reste très marquante et justifie à elle seule la réputation du film. C’est bel et bien un incontournable.