L’Enterré vivant – Roger Corman
Premature Burial. 1962Origine : États-Unis
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Un peu vexé de ne pas recevoir plus sur les profits substantiels réalisés par les deux premiers films du cycle Poe, Corman s’en allât bouder. Il prit la décision de ne pas réaliser le troisième opus pour le compte de l’American International Pictures, et démarcha lui-même Pathé Lab, qui jusqu’ici se contentait de développer les films de l’AIP et quelques fois de fournir un peu de rallonge budgétaire. Lorsque Jim Nicholson et Sam Arkoff apprirent la trahison de leur poulain, ils ne restèrent pas les bras croisés : d’une part, ils interdirent à Vincent Price, sous contrat avec eux, de jouer dans ce nouveau Corman et d’autre part, ils menacèrent Pathé de rompre leur partenariat. Tant et si bien que L’Enterré vivant fut cédé à l’AIP, un peu trop tard toutefois pour que Vincent Price n’intègre son casting. Et les deux rigolos de chez AIP de venir annoncer la bonne nouvelle à Corman sur le plateau de tournage, eux qui d’habitude n’y mettaient jamais les pieds…
Depuis qu’il a découvert le cadavre d’un homme qui de toute évidence avait été enterré vif, Guy Carrell est obsédé par l’idée de subir le même sort. Cela lui pourrit la vie, et c’est pourquoi il avait décidé de rompre les liens avec sa fiancée Emily. Mais la belle rousse ne lâche pas si facilement, et promet d’aider Guy à surmonter ses craintes. Leur mariage est donc célébré pour le plus grand désespoir de la sœur de Guy… Mais Emily a peut-être sous-estimé la phobie de son conjoint, sur lequel le sort s’acharne constamment en lui remémorant la nuit funeste où tout a commencé.
Après un Roderick Usher ultrasensible persuadé de la fin prochaine de sa lignée et un Nicholas Medina torturé par le passé inquisiteur de sa famille dont il pense payer le prix fort, voici venu Guy Carrell qui se croit sujet à la catalepsie et se voit déjà enterré vif comme le fut selon lui son père. Pour la troisième fois de rang, Roger Corman met en avant un homme torturé qu’une santé mentale vacillante conduit à vivre environné par des idées de mort, de malédiction, de souffrance, perturbant ainsi le quotidien de ses proches immédiats… Et là encore, l’excès macabre est tel qu’il conduit à l’humour noir. L’Enterré vivant est souvent perçu comme étant le vilain petit canard du cycle Poe. Non seulement parce qu’il constitue une indéniable répétition scénaristique des films précédents, qu’il se situe dans les mêmes décors qu’eux, mais en plus et surtout parce que la figure et la voix de Vincent Price y font cruellement défaut. Son aura plane en effet lourdement sur le personnage, conséquence de la mémorable outrance de prestations antérieures au niveau desquelles Ray Milland peine vraiment à se hisser. Il n’est pas un mauvais acteur, il ne joue pas faux, il y met de la conviction… Mais il ne véhicule pas la même dérision et ne parvient pas à faire preuve de la même théâtralité. Sans oublier sa voix, loin d’être aussi sépulcrale que celle de son collègue. Tout le film pâtit donc de ce remplacement malvenu, et le second degré perd ce qui faisait son ressort principal. Mais l’humour reste malgré tout présent, essentiellement véhiculé par un scénario qui s’acharne avec délectation sur le pauvre Guy. Nombreuses sont ses bonnes résolutions au cours du film : il promet de se changer les esprits, de penser à vivre, de cesser de tourner le dos à sa femme, mais rien n’y fait, il ne se passe pas cinq minutes avant qu’un nouvel événement vienne le replonger dans ses vieux démons. Et Corman aime bien user de ces événements plus ou moins futiles : les diverses occurrences de la mélodie de “Molly Malone”, la balade irlandaise que sifflaient les deux profanateurs tordus (dont Dick Miller en blond avec des dents avariées) le soir où il a découvert le cadavre d’un enterré vif, un chat coincé derrière une cloison, un chien que l’on croit mort dans les bois… De quoi vous rendre fou. Et Guy n’est pas loin de le devenir, lui qui fait construire une crypte dans laquelle il invente une masse de stratagèmes visant à prévenir une inhumation prématurée. Géniale est cette scène où, de l’ouverture intérieure du cercueil à la dynamite pour faire sauter la porte de la crypte en passant par les rations de nourriture en cas de nécessité, il dévoile à sa femme et à son médecin médusés tout ce qu’il a pu inventer pour prévenir le sort qu’il attend. Typiquement le genre de scènes très réussies, mais dans lesquelles l’absence de Vincent Price se fait sentir.
Au delà de ça, et bien pas grand chose n’a changé depuis La Chute de la maison Usher et La Chambre des tortures. Richard Matheson est remplacé au scénario par Charles Beaumont (lui aussi écrivain, lui aussi scénariste régulier de La Quatrième dimension) et Ray Russell (écrivain aussi, mais pas de séjour chez Rod Serling) sans que cela ne vienne supprimer le côté psychanalytique que Corman a toujours voulu mettre en avant dans son cycle Poe. Cas d’étude intéressant qu’est effectivement ce Guy Carrell qui se créé lui-même un traumatisme -la mort de son père en catalepsie- consécutive à un traumatisme originel, et qui à force de se dire lui-même cataleptique risque bien de le devenir effectivement par la seule force de l’auto persuasion. Sans compter qu’en ayant peur d’être enterré vivant il finit effectivement par s’enterrer lui-même en refusant de quitter sa mortuaire demeure, voire même sa crypte aux malices. Tout son environnement évoque l’idée de la mort, à commencer par sa sinistre sœur suivie de près par les alentours brumeux et désolés de son manoir. C’est à peu près la même rengaine que pour Roderick Usher, si ce n’est que le film est peut-être un peu plus sombre et statique. Le médecin et ami de Guy n’est pas loin d’être désespéré par la situation et par l’inutilité de ses propres efforts, réduits à rien en un rien de temps par des détails malvenus. C’est à y perdre sa science… Ou alors… Corman laisse la porte ouverte à tout : la maladie mentale de Guy aussi bien que le coup monté. Mais par qui ? Rien ne transparaît, aucun personnage n’est plus accusable qu’un autre. La sensuelle Emily semble très attentionnée, le médecin ne ménage pas ses efforts pour le sortir de cette mauvaise passe, sa sœur est en retrait et les deux profanateurs sifflotant “Molly Malone” ont tout des hallucinations d’un paranoïaque en pleine crise. Corman fait planer le mystère, l’intensifie, l’orne de ses oripeaux habituels (la cave et ses secrets, les séquences oniriques à base d’images colorées, déformées, remplies de fumigène…) et entretient sa propre vision du cinéma d’épouvante gothique, héritée plus que littéralement adaptée d’Edgar Poe. Et tout cela de mener jusqu’à un dénouement en forme de pétage de plombs faisant écho à Roderick Usher orchestrant sa propre chute.
L’Enterré vivant est effectivement décevant. Les qualités affichées jusqu’ici dans le cycle Poe s’y expriment avec moins de panache, donnant l’impression que Corman commence à tourner en rond malgré l’arrivée d’un nouvel assistant réalisateur nommé Francis Ford Coppola. Le public de l’époque ne s’y trompa pas et l’examen des recettes laissait transparaître une certaine lassitude. La leçon a bien été retenue par Corman, qui pour le film suivant, L’Empire de la terreur, prit le parti du film à sketchs marqué par un humour plus ouvert et par une relative mise de côté des personnages de persécutés déments.