Hollywood Chainsaw Hookers – Fred Olen Ray
Hollywood Chainsaw Hookers. 1988Origine : États-Unis
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Détective privé à Los Angeles, Jack Chandler est à la recherche d’une jeune et jolie donzelle nommée Samantha, signalée comme fugueuse par sa famille. Son enquête patinant, il se rend à tout hasard au commissariat où la police vient d’arrêter une femme soupçonnée d’être à l’origine des démembrements à la tronçonneuse récemment constatés. Car telle semble être la mode criminelle ces derniers temps, à Los Angeles ! L’inculpée n’est finalement pas Samantha, mais malgré tout Jack tient une piste sérieuse.
Si tant est qu’il peut y avoir quelque chose de sérieux dans un film nommé Hollywood Chainsaw Hookers (“Les putes à tronçonneuse de Hollywood”) réalisé et écrit par Fred Olen Ray. Fidèle à ses valeurs, celui-ci n’a d’autre ambition que de pondre une nouvelle série Z. A ce sujet, arrêtons-nous un instant pour s’interroger sur ce qui distingue la série B de la série Z. Certains pourront mettre en avant les budgets, encore plus faméliques dans le Z que dans le B. D’autres avanceront que la série Z n’existe pas à proprement parler, et qu’il s’agit d’un simple synonyme de “nanar” (donc potentiellement une série B ratée à tous les niveaux). Pour ma part, et bien qu’il faille se garder des catégorisations abusives, je dirais que la différence tient dans les intentions des réalisateurs : usant forcément d’un petit budget, les séries Z misent sur le racolage à outrance (en terme de nudité, de sexe, de violence…), non seulement à des fins d’exploitation commerciale, mais aussi dans le but d’aboutir à quelque chose de volontairement débile. Pas uniquement comique, mais bien tout à fait débile : c’est même ça qui débouche sur l’humour. Une définition qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui permet ainsi de distinguer des ambitions artistiques différentes. Bien que les tournages ne soient pas forcément des parties de plaisir, les séries Z peuvent être certaines que de toute façon, leurs défauts -et ceux de leurs réalisateurs- ne seront pas retenus contre elles. Voire ils passeront pour des qualités ! Il s’agit d’une sorte de fuite en avant où les réalisateurs assument complétement l’inanité de leur œuvre, et la poussent même dans ses derniers retranchements. Une manière d’avouer leurs propres lacunes, et de les tourner en dérision. Jusqu’à la potentielle consécration : recevoir l’épithète désormais galvaudé de “culte”… Il y a clairement un public pour ce genre de productions, et il est vrai qu’elles peuvent parfois être sympathiques (certains Troma, par exemple). Fred Olen Ray a pratiquement dès ses débuts assumé de jouer sur ce registre. Les quelques tentatives pour aller au-delà n’ont guère été reluisantes (se voulant un film d’épouvante, Scalps est quasi irregardable, principalement parce qu’avant même d’être incohérent, il est d’un vide abyssal). Alors Olen Ray s’est fait une spécialité de faire dans le guignolesque, convoquant au passage bon nombre de noms connus dans le milieu de la série B, que ce soit des acteurs (Forrest J. Ackerman, Dick Miller, John et David Carradine, Jeffrey Combs, Russ Tamblyn) venus cabotiner ou encore plus souvent des actrices, notoirement désignées comme “scream queens” et amenées à se dessaper pour un oui ou pour un non. Le décollage de cette carrière démarra à peu près avec Le Mystère de la pyramide (1986), pourvu de Cameron Mitchell et John Carradine d’un côté, et de Sybil Danning, Kitten Natividad et Michelle Bauer de l’autre. Le début d’une réputation !
Après Le Mystère de la pyramide, il n’aura pas fallu longtemps à Olen Ray pour trouver ses marques dans le Z. Il est vrai que le principe qu’il adopte n’est guère exigeant : rincer l’œil du spectateur et afficher avec lui, présumé fan d’horreur, une certaine connivence qui se retrouve par exemple dans le choix de Gunnar Hansen (interprète de Leatherface dans le Massacre à la tronçonneuse d’origine) pour incarner le gourou d’une secte dans laquelle la tronçonneuse purifie les chairs des pêcheurs. Ou encore dans celui de Linnea Quigley, qui comme dans Le Retour des morts-vivants trouvera moyen de placer une scène de danse horrifico-sexy… Olen Ray aime clairement le cinéma d’épouvante, et il le montre aussi subtilement qu’il montre les charmes de Quigley ou de Michelle Bauer (ici nommée Michelle McLellan, le patronyme de son mari). C’est à dire avec ce côté bourrin qui confine fièrement au paillard. Le plus bel exemple en est encore cette avalanche de jeux de mots tous plus foireux les uns que les autres en rapport avec le prénom du personnage libidineux de Bauer : Mercedes. La carrosserie, les pare-chocs, et tout ce qui va avec. Les airbags auraient été en vigueur à l’époque que l’on n’y aurait pas coupé (…coupé Mercedes ! Film de tronçonneuses ! Rires !… C’est à peu près de ce niveau). Il était inévitable d’en arriver là, puisque tout à sa volonté de faire dans le graveleux, Olen Ray fait de sa scream queen une disciple de Gunnar Hansen chargée d’appâter le vicieux et de le découper. D’où son tempérament aguicheur à l’égard du moindre routier de passage, comportement dupliqué par une ou deux collègues un peu moins mises en valeur que Michelle Bauer elle-même. Qu’on ne s’y trompe pas : le réalisateur scénariste n’a jamais prétendu rendre crédible le culte de la tronçonneuse, ni même rendre sordides les agissements de ses adeptes. Outre Gunnar Hansen, qui n’a lui-même pas trop l’air de savoir ce qu’il fait là (si ce n’est du fait de sa filmographie), les stars du métrage sont ces donzelles lascives attirant le chaland pour mieux le démembrer. Des femmes à poil, un outillage approprié, et voilà tout le concept de Hollywood Chainsaw Hookers. L’exemple parfait de cette volonté de faire dans le débile. Mais, bien que le film ne soit en fait qu’une succession de scènes illustrant cette philosophie, il faut malgré tout au réalisateur trouver le moyen de lier tout ça. Et bien entendu, ce qu’il dégotte s’inscrit dans la même veine de la crétinerie ouverte. Piochant là encore dans sa culture cinématographique, Olen Ray imagine donc un détective privé sur la trace d’une disparue. Ce qui lui permet de faire d’une pierre deux coups : d’une part il convoque l’imagerie du film noir (le clopeur solitaire qui traîne dans les milieux interlopes de Los Angeles), et d’autre part il reprend la narration sous forme de voix off. Ce qui s’avère bien pratique pour raconter un semblant d’histoire sans s’embarrasser de scènes de transition. Un petit coup d’explication en voix off est grandement suffisant ! Et puis cela permet d’en rajouter une couche sur l’humour bas du front, notre détective (Chandler de son nom évocateur) ne brillant pas spécialement par son intellect et le faisant bien comprendre dans ses interventions orales. C’est d’ailleurs tout inopinément qu’il retrouvera la trace de la disparue, via le numéro de téléphone d’une des “chainsaw hookers” retrouvé sur une boîte d’allumettes. Il va sans dire que l’on se soucie comme d’une guigne du drame humain qui potentiellement se jouait là. Nous ne sommes pas dans le Hardcore de Paul Schrader, et Linnea Quigley n’a rien de la jeune fille en perdition. Elle n’est guère plus reluisante que sa consœur Michelle Bauer, avec laquelle sa rivalité se retrouve moins dans l’opposition entre leurs personnages qu’entre leur capacité à se trémousser dans le plus simple appareil. D’ailleurs chacune a droit à son instant de gloire, chacune à une extrémité du film, et à un duel tronçonneuse à tronçonneuse anti-spectaculaire au possible, tant les deux vedettes peinent à manier leur outil d’ailleurs fort mal utilisé (la fumée artificielle pour faire croire que l’engin est en route) et de toute façon mal cadré par le réalisateur. Et cela sous le regard bovin de Gunnar Hansen. Et c’est là le climax ! Ce qui nous amène au véritable point faible d’un film qui prétendait pourtant faire taire les reproches en assumant sa bêtise.
Olen Ray ne prétend pas s’adresser aux exégètes du cinématographe. L’imbécilité montrée ici relève du parti pris, voire de l’étendard, et à charge pour le spectateur d’y adhérer ou non. Pourtant, et même en y mettant de la bonne volonté, difficile de se laisser convaincre. Tout simplement parce que même sous ces auspices il existe des passages techniques obligés pour ne pas rendre l’ensemble indigeste. Scalps était le degré zéro : il ne s’y passait rien, si ce n’est quelques scènes horrifiques maigrichonnes de temps à autre. Avec Hollywood Chainsaw Hookers, Olen Ray a beau charger la mule et convoquer tronçonneuses, pinups et humour gras, il ne montre guère de progrès en terme de dynamisme. C’est mou ! Mais d’un mou ! Tant et si bien que lorsqu’arrivent les scènes “croustillantes”, il est difficile de se sortir de la torpeur instaurée par une totale fadeur technique (montage, mise en scène, éclairage, fumigènes bleuâtres, musique…). Avec une semblable platitude, Olen Ray aurait bien pu inventer toutes les incongruités possibles et imaginables qu’il ne serait pas parvenu à rendre son film plus palpitant. La conséquence de cet absence de savoir-faire est que tout tombe à plat, le réalisateur étant incapable de faire naître l’esprit “festif” que l’on retrouve dans les meilleurs Troma (il n’y en a pas non plus 50 il est vrai), dans certaines kitscheries revendiquées du Roger Corman des années 50 (Not of this Earth, par exemple) ou encore dans un film comme le Rocky Horror Picture Show (il est vrai doté de moyens bien supérieurs, mais qui ne joue pas moins la carte du grotesque outrancier). Ne doutons pas que les intentions soient bonnes vis à vis d’un public potentiellement réceptif. Mais sans maîtrise aucune, et même avec Linnea Quigley à poil agitant sa tronçonneuse comme Gunnar Hansen chez Tobe Hooper avant elle, nous sommes bien loin du compte. D’autant que même sur ce qui devrait être ses points forts, Olen Ray ne remplit pas tout à fait les termes du contrat. Ainsi, bien que le film mette en scène des massacres à la tronçonneuse et des morceaux de cadavres qui volent, il réussit le triste exploit de ne pas se montrer foncièrement gore. Coupé à l’eau, le faux sang jeté aux visages des actrices ne tâche guère (pas de quoi protéger le poster d’Elvis comme le fait Michelle Bauer dans l’une des scènes !) tandis que la tronçonneuse n’attaque les chairs que lors d’un très furtif plan. Tout se fait en hors-champs ! Les censeurs seraient en droit de se montrer sceptiques. C’est d’ailleurs également un peu la même chose vis à vis du contenu sexuel : les actrices se dandinent nues, d’accord, mais le film n’est pas spécialement “cru”. Sur ce point comme sur les autres, il reste globalement bon enfant et s’avère à des coudées des films allemands cradingues de la décennie suivante (comme le Premutos de Olaf Ittenbach). Il est comme ça, Fred Olen Ray : il veut faire dans le Z, mais il reste malgré tout bien trop proche des séries B classiques pour véritablement franchir le Rubicon. Encore que son véritable problème, et celui qui rend rédhibitoire un film comme celui-ci, reste de réussir à rendre vivant un long métrage qui ne peut se résumer à un concept rigolo sur le papier (… ou plus exactement ici dans le titre). Sans cela, quelle que soit l’orientation choisie, il ne réussira à rien. Enchaîner les expériences restait alors son meilleur gage d’amélioration. Et ça tombe bien : à partir des années 90 il allait se mettre à tourner à la chaîne ! Mais il existe des cas désespérés. En est-il ? Cela reste à voir !