Diary of a Nudist – Doris Wishman
Diary of a nudist. 1961Origine : Etats-Unis
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Dans la cinéma américain, l’érotisme, ou plus simplement la nudité, ont longtemps été écrasés par le dictat du code Hays, datant du début des années 30 et incontournable à partir de 1934 (tout film ne répondant pas à ses exigences ne recevant pas d’approbation et ne pouvant donc être distribué). Particulièrement puritain, ce système de censure devant son nom au sénateur William Hays, parachuté à Hollywood dans les années 20 pour faire le ménage dans ce qui était considéré comme un eldorado du vice, mit un terme à une vision moins pudibonde du cinéma, qui jusqu’alors ne rechignait pas à dévêtir si besoin ses acteurs jusque dans les productions les plus grands-publics (des films de Cecil B. DeMille, de King Vidor, un Tarzan avec Johnny Weissmuler…). Pourtant pas imposé par les autorités politiques, s’apparentant davantage d’un code de déontologie partagé par les studios hollywoodiens, le code Hays fut aveugle aux justifications d’ordre artistique, mises dans le même panier que de simples scènes d’exploitations issues de “sexploitations”. Car oui, les films du genre ont toujours existé, même si l’étendu de leur diffusion se limitait aux bordels. Le code Hays réprima cette existence déjà marginale, mais fut incapable d’y mettre totalement un terme. Des productions clandestines furent tournées, parfois avec des fonds venant du milieu du crime, et d’autres prirent des formes plus légales, essayant de contourner les critères du code. Il y eut d’abord les films faussement éducatifs tels que Sex Madness, plaçant quelques timides scènes déshabillées, et puis il y eut les films destinés à promouvoir le mode de vie nudiste, dont Doris Wishman, réalisatrice de Diary of a nudist, s’est faite l’une des plus prolifiques artisanes.
Par une belle journée estivale, le journaliste et rédacteur en chef Arthur Sherwood (Norman Casserly) est à la chasse et s’apprête à prendre du bon temps. Cependant, il ne retrouve pas l’ami qui devait l’accompagner et il explore les environs à sa recherche lorsque… Mais… Mais… Mais oui ! C’est bien un camp de nudistes qu’il vient de découvrir derrière les fourrés ! Quel scandale ! L’Amérique doit savoir l’horrible vérité, et Arthur réussit à convaincre sa reportrice vedette, Stacy Taylor, de s’inscrire à ce camp en mission d’infiltration. Il espère bien qu’elle va dénoncer cette immoralité criante à la face du monde. Quelle n’est pas sa stupeur lorsqu’il reçoit l’article de Stacy, outrageusement positif. Il va devoir y aller lui-même.
Bien piètre alibi de scénario que celui-ci, direz-vous, et vous aurez bien raison. Que Doris Wishman doive faire passer son film pour un film pédagogique n’excuse pas cette trame rachitique dont le dénouement sous forme de “happy end” est annoncé dès le départ. Contrairement à Sex Madness, ou à Damaged Lives, produits dans les années 30 et devenus des oeuvres connues pour leur décalage, Diary of a nudist ne se veut pas un film faussement scandalisé par ce qu’il montre. Ses nudistes sont de braves personnes, et au final leur mode de vie ne peut que charmer les journalistes, qui se font un point d’honneur d’être impartiaux. Ce qui ne fait pas pour autant du film une oeuvre documentaire militante, bien au contraire. Difficile de concevoir qu’un telle production, ou même que le genre en entier, puisqu’il y a fort à parier que tous ses représentants se ressemblent, ait pu berner la censure. L’aspect pédagogique n’existe tout simplement pas une fois passé le pré-générique et son discours sur les bien-faits du nudisme. Par exemple, tous les nudistes aperçus sont des jeunes gens, principalement des femmes, bien portants et bien charpentés. Pas de vieux, pas d’obèses, quitte à ne pas refléter les réalités démographiques… Isolé en pleine nature, garni de plusieurs piscines, de diverses installations sportives et de petites cabanes douillettes, le camp pourrait faire office de jardin d’Éden avant le péché originel.
Je ne dirai pas que le film est hypocrite, car cela sous-entendrait que Wishman a effectivement voulu réaliser un film documentaire et non un film d’exploitation, mais je ne manquerai pas de m’étonner que la censure ait laissé passer un film aussi ostensiblement peu pédagogique. Peut-être que cela est dû au fait qu’a côté de Diary of a nudist, de plus en plus de films moins innocents pointaient le bout de leur nez et que les tenants du code Hays avaient d’autre chats à fouetter que ce genre de chose, qui tout en se voulant un film d’exploitation n’est en rien provocant. Car l’érotisme ne se définit pas par la nudité mais par le contexte dans lequel elle apparait, qui peut difficilement être moins asexualisé qu’ici. Nous parlons bien d’un film dont le scénario se limite aux promenades sans but de nudistes, hermétiques aux tentations offertes par la simple nudité. De temps à autre Wishman consent à un retour au sujet journalistique, qui prend la forme soit d’une rencontre entre Stacy et son chef, soit celle d’un des deux journalistes face à sa machine à écrire et dont les écrits sont retranscrits en voix off, mais ce n’est certainement pas cela qui émoustillera qui ce soit. Autant dire que si l’on apprend rien sur le nudisme, on en assiste pas pour autant à un film jouant avec les réglementations du code Hays, sans même parler de prendre distinctement ses distances avec lui, comme l’avait fait Russ Meyer dès 1959 avec L’Immoral Mr. Teas. Il n’y a même pas une once d’humour pour faire passer la pilule de ce grand Rien indigeste à tous les niveaux. Et comment pourrait-il y avoir de l’humour alors que même les dialogues sont inexistants ?
Stacy et Arthur ont beau s’immerger parmi les nudistes, s’y faire des amis, jouer et rire avec eux, personne ne se parle, ou du moins les propos qu’ils échangent n’ont pas été jugés dignes de parvenir à nos oreilles. Par conséquent, les dialogues audibles -outre ceux entre les deux journalistes- ne vont jamais au delà des présentations ou du simple “bonjour”. Pas d’interviews détournées, pas de débats sur ce mode de vie, juste une musique jazz non-stop. Il n’y a pas non plus d’humour burlesque façon muet… Et ce pour une bonne raison : tout film de nudiste qu’il soit, Diary of a nudist se refuse à montrer les entrejambes. Du coup, les acteurs ne peuvent vraiment bouger à leur aise (bonjour la crédibilité), tandis que de son côté la réalisatrice place des caméras aux endroits adaptés, c’est à dire souvent derrière les personnages lorsque ceux-ci se meuvent. Ou alors, elle leur demande de placer leurs jambes comme il faut ou de placer un accessoire cache-sexe (ballon de plage, serviette, journal). Et pour les parties de volley ball, elle va jusqu’à opposer le camp des culs-nus à ceux qui portent un short, la caméra étant bien entendu placée derrière les culs-nus. Évidemment, ce genre de procédés n’est pas sans rappeler un gag d’Austin Powers, mais qui cette fois ne serait pas perçu comme un gag et qui courrait sur l’intégralité du film, non sans donner l’impression que ce film nudiste est en réalité fort prude (après tout, c’est un peu comme la feuille de vigne dans certaines représentations du jardin d’Eden). Pour être mauvaise langue, je dirais que le travail de Doris Wishman (qui a pourtant fini par faire un porno dans les années 70) n’a pas consisté à faire autre chose. Ah si, tout de même, elle est visiblement très fière d’une séquence sous-marine, dans laquelle une jeune femme fait des figures acrobatiques… en réussissant à dissimuler ses parties intimes (scène dont la réalisatrice est tellement fière qu’elle l’utilise également pour le générique).
Bien sûr, il faut se souvenir qu’en 1961, la nudité dans le cinéma américain était pour ainsi dire inexistante, et que le simple fait de voir des jeunes femmes nues, même partiellement, même sans aucun contexte évocateur, était déjà un progrès. Compte tenu du chemin accompli depuis, il est normal que Diary of a nudist apparaisse comme extrêmement daté. Mais quand bien même, on se demande comment un film montrant des nudistes en train de batifoler dans une piscine, de jouer au volley, de lire sur l’herbe ou tout simplement de marcher pouvait éviter de donner un sentiment de lassitude (en 2011, il s’agit d’un ennui profond). Concernant Doris Wishman, peut-être faudrait-il regarder Nude on the moon et son alibi science-fictionnel, certainement plus amusant que l’alibi journalistique ici employé.