Dangereuse sous tous rapports – Jonathan Demme
Something Wild. 1986Origine : États-Unis
|
Charlie Riggs (Jeff Daniels) est un type bon chic bon genre qui se complaît dans le conformisme. Un travail où il excelle et une vie de famille pépère semblent grandement le satisfaire. Tout au plus s’accorde t-il un petit écart de temps en temps en quittant un restaurant sans payer la note, histoire de pimenter son quotidien. Un quotidien qui va fortement s’épicer avec l’irruption dans sa vie de Lulu (Mélanie Griffith). Cette belle brune aux faux airs de Louise Brooks l’accoste dans la rue, lui propose de le raccompagner à son travail, pour finalement l’emmener dans un motel. Là, elle le menotte aux montants du lit et lui fait l’amour. On comprend qu’après ça, Charlie n’ait plus vraiment envie de la quitter. Il nage en plein conte de fées jusqu’à l’irruption du grand méchant loup, Ray Sinclair (Ray Liotta).
La trajectoire de Jonathan Demme avait tout de la “success story”. Formé comme tant d’autres à l’école Roger Corman (5 femmes à abattre, Crazy Mama), il a par la suite rapidement œuvré pour des grands studios, dirigeant quelques grands noms (Peter Fonda pour Colère froide, Roy Scheider pour Meurtres en cascade), sans pour autant connaître un rayonnement international. Pour cela, il lui faudra patienter jusqu’au début des années 90 où coup sur coup Le Silence des agneaux et Philadelphia, tous deux primés aux Oscars, l’imposeront sur le devant de la scène. A l’époque de Dangereuse sous tous rapports, il était encore méconnu, notamment en France, mais plus pour longtemps. Son savant mélange de conte initiatique mâtiné de polar trouve un retentissement inattendu, porté par des comédiens en devenir qui séduisent un public aux anges.
Avec ce film -son huitième- Jonathan Demme nous convie à une petite virée au royaume des faux-semblants à la suite de ses deux personnages principaux qui vont connaître une évolution croisée. Dangereuse sous tous rapports est le récit d’une rencontre improbable, de celle qui bouleverse une vie. Sous une apparence un peu guindée, Charlie cache un “petit quelque chose de sauvage” que sa rencontre avec Lulu va révéler, faisant office d’étincelle. A son contact, il parvient enfin à s’émanciper. Il s’amuse comme un petit fou, retrouvant l’insouciance de son adolescence. Sa mésaventure lui offre l’occasion d’une grande remise en question quant à ses choix passés et ceux à venir, mais toujours sur un ton léger. Rompu aux films d’exploitation, Jonathan Demme ne s’embarrasse pas de sous-texte psychologisant. Son film est avant tout un divertissement qui va droit à l’essentiel, sans fioriture. Un jeu de dupes qui se transforme en histoire d’amour, et au cours duquel Charlie gagne suffisamment en assurance pour s’opposer à Ray qui tente de lui ravir Lulu. Lulu qui va elle aussi tomber le masque au sens propre -sa perruque à la Louise Brooks disparaît, révélant une blondeur immaculée de fille sage- comme au figuré. A mesure que Charlie se détache de son côté falot, Lulu apparaît beaucoup plus fragile que ce qu’elle laissait entrevoir. Les rôles tendent ainsi à s’inverser au cours du récit, lequel retrouve une configuration beaucoup plus classique, voir un brin désuette. Comme pour son film suivant, Veuve mais pas trop, Jonathan Demme nous conte la naissance d’une passion basée sur le mensonge et les non-dits tout au long d’un récit riche en rebondissements. Ici, les deux personnages principaux partagent ce sentiment d’avoir raté quelque chose dans leur vie. Leur rencontre va être l’occasion de corriger le tir, non sans risquer de tout perdre. Les personnages marchent constamment sur le fil du rasoir, au gré des révélations, de leur vécu et de leurs sentiments.
En grand amateur de musique, Jonathan Demme enrichit son film d’une belle bande-son, profitant d’un carnet d’adresses fourni. Ainsi David Byrne -leader des Talking Heads, groupe autour duquel le réalisateur a signé le documentaire Stop Making Sense– voisine avec Fine Young Cannibals et le groupe new-yorkais The Feelies. Ce dernier offre d’ailleurs une prestation live sur la scène de la fête des anciens du collège. A la faveur de cette bande-son fournie, Dangereuse sous tous rapports s’apparente à une balade musicale au rythme parfois irrégulier, mais toujours agréable, grâce notamment à un trio d’acteurs formidables.