CinémaComédie

Chacun cherche son chat – Cédric Klapisch

Chacun cherche son chat. 1996.

Origine : France
Genre : Comédie de quartier
Réalisation : Cédric Klapisch
Avec : Garance Clavel, Zinedine Soualem, Renée Le Calm, Olivier Py, Estelle Larrivaz, Joël Brisse.

Trois ans sans s’accorder de vacances, cela commence à faire long. En ce printemps, Chloé décide de sauter le pas et de s’accorder enfin une semaine de farniente. Reste à trouver une solution pour garder son chat Gris-Gris. Si Pierre accepte l’animal au sein de leur colocation, il refuse catégoriquement d’en assumer seul la responsabilité. Se refusant à l’abandonner comme l’indélicat lui suggère, Chloé prospecte dans son quartier afin de lui trouver un refuge. Les multiples refus qu’on lui oppose tendent à compromettre grandement sa parenthèse enchantée. Heureusement, le bouche-à-oreille la conduit à s’adresser à Mme Renée, grande amatrice de chats – elle en compte une demi-douzaine – et rompue à l’exercice. Chloé part donc en toute quiétude au soleil, bien disposée à se ressourcer. Sauf qu’à son retour, c’est la douche froide. Mme Renée lui annonce que Gris-Gris s’est enfui par une fenêtre restée ouverte. Désemparée, Chloé peut néanmoins compter sur certaines personnes du quartier pour l’aider à le retrouver. Parmi elles, il y a Djamel, un taiseux qui a pris pour habitude de rendre de menus services aux vieilles dames des environs. Retrouver Gris-Gris va dès lors devenir sa mission prioritaire.

Troisième film de Cédric Klapisch, Chacun cherche son chat devait à l’origine être un court-métrage. L’idée était de réaliser un film sur Paris en prenant le prétexte de la disparition d’un chat. Seulement lors de la phase de développement, plein d’idées sont venues se greffer sur ce canevas minimaliste au point que des producteurs ont demandé à Cédric Klapisch de revoir la durée de son film… pour un montant sensiblement égal. De cette contrainte, le réalisateur en a fait une force, retrouvant une forme de spontanéité propre aux premiers films. Cela se retrouve dans sa mise en scène, expurgée de grands mouvements d’appareil au profit d’une caméra mobile et toujours sur le qui-vive pour capter ses personnages au milieu de l’effervescence de la vie de quartier, ses troquets et son marché. Plutôt que s’abandonner au confort des studios, il préfère tourner en décors naturels sous un soleil printanier, plus précisément dans le quartier de la Roquette, dans le 11e arrondissement. Comme il en avait alors l’habitude, il s’attache les services d’une troupe de comédiens issus de tous horizons, dans un savant mélange de nouveaux visages appelés à composer le cinéma français des décennies à venir (Romain Duris, Simon Abkarian, Zinedine Soualem, …) et d’acteurs non professionnels dont l’impayable Renée Le Calm. Il commence également à se constituer une troupe d’acteurs que l’on retrouve de film en film. Cela confère à son cinéma une dimension chaleureuse. Cédric Klapisch aime l’esprit de troupe. Il porte sur ses personnages un regard ni cynique, ni moqueur, qui n’interdit pas une certaine ironie nimbée d’une tendresse non feinte. Il y a une vérité qui se dégage de ces petits riens qui composent le quotidien des habitants du quartier que Cédric Klapisch sait parfaitement saisir. Comme il sait saisir l’air du temps avec une grande acuité.

Chacun cherche son chat partage quelques points communs avec Riens du tout, le premier film de Cédric Klapisch. Au grand magasin Les Grandes Galeries se substitue le quartier de la Roquette avec dans les deux cas tout un panel de personnages qui s’active dans un but commun. Plus futile qu’un plan de sauvetage économique et donc d’emplois, la recherche du chat disparu revêt cependant une dimension allégorique. Pour Chloé, retrouver Gris-Gris revient à se trouver elle-même. Jeune femme un peu paumée, elle erre dans sa vie comme déconnectée du monde qui l’entoure. Ses tentatives d’interaction se soldent le plus souvent par des échecs (ses sorties nocturnes dans les bars, sa rencontre avec le batteur indélicat) ou des incompréhensions (Rachid puis la barman qui pensent qu’elle est ouverte à une relation alors qu’elle est juste gentille). Par ailleurs, elle partage un appartement avec Michel qui l’accueille “uniquement si c’est cool, sinon…”, et dont la valse des petits amis la renvoie à sa propre détresse affective. Chloé se sent seule. Cédric Klapisch accentue cette solitude en la mettant souvent face à elle-même, que ce soit à travers un reflet de fenêtre ou celui d’un miroir. L’affection, elle la trouve uniquement quand son chat vient se blottir contre elle. En son absence, elle finit par se chercher un substitut, allant jusqu’à solliciter son colocataire pour lui apporter un peu de chaleur humaine. Ne sachant plus trop où se situer sur la carte des sentiments, Chloé va jusqu’à demander l’impossible à Michel. Un moment plus touchant que pathétique que Cédric Klapisch filme à bonne distance. Sous ses dehors bourrus, Michel n’est pas un mauvais bougre et peut aussi se montrer compréhensif. Ce qui n’est pas le cas de son dernier amant, lequel agit immédiatement en terrain conquis et qui regarde Chloé comme si c’était elle la pièce rapportée. Cette scène de petit-déjeuner à la banalité apparente distille insidieusement moults signes de la part du nouvel arrivant d’une détestation aussi irraisonnée qu’immédiate. Elle tend à confirmer que l’appartement n’est plus cet havre de paix où Chloé aimait à se réfugier. Heureusement, à quelque chose malheur est bon. La recherche de son chat la force à sortir de l’infernale routine du métro-boulot-dodo. A devoir ainsi arpenter son quartier en tout sens, elle apprend à mieux le connaître ainsi que les habitants qui le peuplent. Elle sort de son cocon à mesure que le récit se déploie, animée d’un regard plus curieux et intéressé sur les choses et les gens qui l’entourent. Désormais, elle ne fait pas que passer dans les rues. Elle prend le temps, s’attarde devant cette chorale qui égaye le marché hebdomadaire ou accompagne un moment ces danseurs brésiliens qui transforment les ruelles en piste de danse. Ce changement passe aussi par les lieux qu’elle fréquente. Au revoir le Pause Café et son caoua à 10 francs, bonjour Le Taillandiers et ce même breuvage pour la modique somme de 4 francs. Lieu de brassage ethnique et générationnel, ce troquet respire la convivialité. Les tables ne sont plus ces zones protégées où chaque groupe se replie sui lui-même. Ici, tout le monde parle à son voisin, les consommateurs ne formant plus qu’un seul groupe d’où personne n’est exclu. Cet endroit constitue une sorte d’ilôt de résistance, le dernier bastion populaire dans un quartier en pleine mutation.

Pour minimaliste qu’il soit, le cheminement de Chloé s’inscrit dans les mutations de la Roquette, lesquelles répondent à une tendance générale des grandes villes. Le quartier qu’elle découvre appartient déjà en partie au passé. Tout n’est que chantier et destruction. La gentrification est en marche, et les premières à en pâtir sont ces vieilles dames, souvent seules, sur la tête desquelles pèsent des menaces d’expulsion. Avec elles, c’est un peu de l’histoire du quartier qui s’en va. Lors d’une promenade, Mme Renée regrette la disparition de tous ces commerces de proximité qui créaient de l’animation et du lien social. Ce liant qu’elles perpétuent entre elles au profit de Chloé, se faisant passer l’information sur la disparition du chat afin de mieux quadriller le quartier. Par ce bouche-à-oreille, Chloé entre en contact avec des personnes dont elle ignorait l’existence, mémoires vivaces – même si parfois chancelantes – des us et coutumes du Paris d’autrefois. Le discours pourrait paraître passéiste, il n’est que factuel. Cédric Klapisch rend compte de ces bouleversements sans chercher à opposer les catégories sociales. Il ne milite pas tant pour un retour en arrière que pour le maintien de la mixité sociale, regrettant une tendance au repli sur soi. Cette vie de quartier, il ne l’idéalise pas, sachant pointer du doigt les mesquineries de tout à chacun (le racisme ordinaire de Mme Dubois, les désagréments permanents engendrés par ce batteur du dimanche incarné par Romain Duris, ou cette vieille dame ostensiblement snobée par ses paires sous prétexte qu’elle serait trop pipelette). En revanche, il apprécie l’énergie qui s’en dégage et cette solidarité non feinte qui peut s’y déployer. Tout ça, Chloé le découvre en même temps que nous et commence à y trouver du plaisir. Son visage qui exprimait une insondable mélancolie s’illumine enfin. Elle trouve même peut-être l’amour dans les bras de ce peintre qu’elle observait nuitamment à travers la verrière de son appartement oeuvrer à ses toiles. Un amour encore inexprimé mais palpable dans ces au revoir qui n’en finissent pas. Le film s’arrête sur cette promesse et la course folle de Chloé sur fond du Glory Box de Portishead. Chloé revit. Elle est prête à embrasser la vie, prête à aimer.

Tout Cédric Klapisch est déjà là, cet oeil bienveillant sur les individus et ce regard aiguisé sur les changements de la société. Non sans une certaine nonchalance qui lui confère ce charme buissonnier, il réussit son pari en dépassant la futilité du postulat de départ, propice au court-métrage, pour aboutir à ce long-métrage solaire et amusant. A l’époque de la sortie de Chacun cherche son chat, Cédric Klapisch était encore un réalisateur peu connu. La reconnaissance viendra juste après, à la faveur de Un air de famille sous l’égide du duo Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, mais surtout de L’Auberge espagnole, film charnière qu’il déclinera en trilogie avant de lui trouver un prolongement en série télé, Salade grecque, dont la diffusion est annoncée au cours de cette année 2023.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.