Attention, les enfants regardent – Serge Leroy
Attention, les enfants regardent. 1978Origine : France
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Quatre demi-frères et sœurs passent leurs vacances dans la maison familiale sise en bord de mer. Leurs parents absents -tous deux sont retenus par un tournage en Irlande-, il revient à la gouvernante espagnole de les garder. Et de temps en temps, ils reçoivent la visite express de Mademoiselle Millard, la secrétaire de leurs parents. Les enfants occupent leurs journées en allant se baigner ou en regardant la télévision, tout en témoignant bien peu de respect à l’égard de leur gouvernante. Lorsque celle-ci vient à se noyer par accident, les quatre marmots ne s’en émeuvent guère, voyant tout de suite le profit qu’ils peuvent tirer de la situation. Mais dans l’ombre, se cache un mystérieux individu qui n’a rien perdu de la scène, et qui tourne avec insistance autour de leur demeure…
L’enfance, voilà une période bien difficile à appréhender à laquelle pourtant le cinéma se confronte souvent avec plus ou moins de bonheur. De prime abord, période de tous les possibles (ah, les douces vertus de l’insouciance !), la liberté dont peut jouir un enfant apparaît bien vaine face à la somme des interdits qui jalonnent cette partie de son existence, et dont la bande-son serait cette fameuse chanson de Jacques Dutronc aux sempiternelles sentences « Fais pas ci, fais pas ça ! » déployées comme un leitmotiv. Pour Marlène, Dimitri, Marc et Laetitia, c’est Adelita qui tient le rôle du rabat-joie de service. Il lui revient la lourde tâche de les arracher à la télévision à chaque fois que l’heure du repas sonne, ou que l’heure du couvre -eu approche. Ce rôle, conjugué à l’absence parentale et à ses difficultés pour s’exprimer en français, amène les enfants à la prendre en grippe et à ne plus supporter le moindre de ses ordres. Contre elle, ils en oublient les petites rancoeurs internes au groupe pour faire front commun contre l’envahisseur espagnol. Personnage totalement déconsidéré (les enfants la surnomment Avocados et Mademoiselle Millard l’appelle « l’espagnole »), Adelita meurt dans le plus strict anonymat, seulement pleurée par son amant auquel les enfants ont simplement annoncé un brusque départ. Travailleuse immigrée peu insérée dans sa société d’adoption, elle n’obtiendra ni fleurs ni couronnes à la fin du film, sa mort n’étant utile à l’histoire que pour son rôle déclencheur. Son séjour prolongé dans les fonds marins ne fait qu’accroître son anonymat, lui effaçant jusqu’aux moindres traits de son visage, la rendant ainsi méconnaissable et impropre à toute identification. Les gens ne s’intéressant guère à elle, les enfants n’éprouvent alors aucune difficulté à faire croire en son départ (entre autres choses) dans la mesure où celui-ci conforte les idées étriquées du pékin moyen à propos des immigrés, ces « gens feignants et inconséquents ». Mais revenons-en aux quatre enfants, que sa mort laisse livrés à eux-mêmes.
Que ce soit en littérature (Sa majesté des mouches, The children are watching dont ce film est tiré) ou au cinéma (Maman j’ai raté l’avion), la figure de l’enfant placé face à ses responsabilités du fait de l’absence d’un adulte fascine. Dans un premier temps, Marlene et consort n’ont qu’une idée en tête, faire tout ce qui d’habitude leur est interdit. Ainsi, nous les voyons se goinfrer de cochonneries devant la télévision, boire à même la bouteille et fumer. Chacun fait ce qui lui plaît, dans les limites de sa propre imagination. Cependant, la réalité reprend très vite ces droits. Face à cette situation nouvelle, il leur faut rapidement prendre des dispositions pour que l’absence de Adelita ne soit connue de personne. Jouant de son droit d’aînesse, Marlène s’attribue le pouvoir décisionnaire et indique la marche à suivre aux autres. Elle s’octroie le rôle de la maman et donne celui du père à Dimitri, le plus mature après elle, alors que Marc et Laetitia conservent tous deux leur statut d’enfants. L’absence d’interdits n’aura duré que l’espace d’une soirée. Mis à part son régime définitivement relégué aux oubliettes, Marc dispose d’encore moins de liberté qu’avant puisque les sorties en groupe lui sont désormais proscrites. Marlène met un point d’honneur à ce qu’ils vivent tous les quatre en vase clos, le plus loin possible des autres habitants pour ne pas risquer de vendre la mèche. Ils partagent un lourd secret qui ne doit absolument pas être éventé au risque de retomber sous la coupe d’autres adultes. Car dans le fond, ce n’est pas tant l’autorité qui les indispose que le fait qu’elle soit dispensée par des personnes étrangères à la famille. Tous fruits d’un mariage différent, ils vivent mal l’éloignement avec leurs parents. Ils se sentent délaissés et c’est ce sentiment qui les a poussé à se comporter de manière odieuse avec Adelita, ou à tenir à distance le plus possible les adultes qui gravitent autour d’eux. On sent un profond mal être chez eux qui se matérialise par leur addiction au petit écran, seul lien qui subsiste avec leurs parents via les enregistrements vidéo qu’ils leur envoient. Dès lors, la télévision devient leur plus sûre nounou devant laquelle ils restent sages comme des images. Celle-ci ne leur impose rien, se contentant juste de les accompagner tant qu’ils le désirent. Contrairement à leurs parents, la télévision ne leur a jamais fait faux bond et est à leur disposition à chaque fois qu’ils en ont besoin. En corollaire on obtient ce profond détachement face à la mort bien réelle de Adelita, mais qui paraît bien trop douce comparée aux nombreuses morts violentes qui agrémentent les programmes télé dont ils se repaissent. Néanmoins, il ne s’agit pas pour Serge Leroy d’accuser les méfaits de la télévision, mais plutôt de pointer du doigt tous ces parents qui s’en remettent trop facilement à elle pour éviter de s’occuper de leurs enfants. Il ne cherche pas vraiment à ouvrir le débat, juste à évoquer ce fait au détour d’un film qui, pris dans sa globalité, s’apparente davantage à un conte pour enfants.
Car ne l’oublions pas, durant toute cette première partie qui voit les quatre gamins livrés à eux-mêmes plane l’ombre de plus en plus menaçante de ce curieux personnage interprété par Alain Delon, incarnation du grand méchant loup de l’histoire. Dans un tel contexte, il n’est guère question d’approfondir plus avant ce personnage qui n’existe que pour sa dangerosité. On ne sait rien de lui, si ce n’est qu’il dispose de peu d’argent et qu’il semble chercher un port d’attache duquel il peut à tout moment vaquer à ses activités qu’on soupçonne peu catholiques. Les dialogues laissent entendre qu’il a des enfants, quelque part, mais cette information n’apporte rien à l’histoire, si ce n’est d’apporter une justification (peu nécessaire) à son mépris envers les gamins. Une fois le loup dans le poulailler, il n’a plus guère besoin d’en rajouter dans les menaces, sa seule présence suffisant à calmer les ardeurs des enfants qui, bon gré mal gré, vaquent à leurs activités comme si de rien n’était. Alain Delon s’est visiblement beaucoup amusé à camper ce personnage pour lequel il n’a pas eu à s’embarrasser de quelconques considérations d’ordre professionnel. On le retrouve tel qu’en lui-même, tout à la fois charmeur et colérique, avec cette sévérité dans le regard prompte à calmer les garnements les plus turbulents. On peut néanmoins regretter son déficit de méchanceté profonde. En l’état, il ressemble davantage à un squatteur qu’à une réelle menace. Mais après tout, cela correspond bien au rôle ingrat que les contes attribuent souvent à la figure maléfique dont la présence se borne à servir de révélateur aux gentilles têtes blondes. Serge Leroy se garde bien d’introduire une morale à tout ça, concluant son film sur un plan à l’hypocrisie réjouissante. Bien qu’aux prises avec des événements hors normes, ces quatre enfants demeurent jusqu’au bout des rois de la comédie, toujours aussi habiles pour faire passer des vessies pour des lanternes. Une chose est certaine, ils n’oublieront jamais leurs vacances de cet été 1977.