Abominator – Michael Armstrong
The Haunted House of Horror. 1969Origine : Royaume-Uni
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Ce n’est pas parce qu’on est jeune et qu’on vit à Londres à la fin des années 60 que l’on s’amuse tout le temps. Parlez-en à Peter, Sheila et à tous leurs amis qui s’ennuient à mourir au cours d’une “party” sans ambiance. Pour en trouver une, ils décident de se rendre dans un manoir abandonné réputé hanté depuis qu’un homme y est devenu fou et y a massacré ses proches. La traque aux fantômes, les séances de spiritisme, voilà de quoi vous pimenter la nuit. C’est du moins ce qu’ils pensaient. Las, pas de spectres à l’horizon. En revanche, un des jeunes est sauvagement assassiné, très certainement par l’un de ses camarades qui se garde bien de revendiquer son geste. Paniqué, tout le monde décide d’enterrer son cadavre et de n’en toucher mot à personne avant de prendre la poudre d’escampette. Quelques jours plus tard, devant les remords éprouvés par certains et devant les suspicions réciproques, ils décident de retourner au manoir. Voilà encore une occasion d’avoir des sensations, et quelques-uns n’en reviendront pas.
Sans aller jusqu’à parler de film maudit, on peut affirmer sans trop s’avancer que Abominator n’a pas de chance. Pour son premier long-métrage tant comme réalisateur que scénariste (il n’avait jusqu’ici réalisé que des épisodes de la série The Troubleshooters), Michael Armstrong a déjà souffert d’une inexpérience criante qui l’a poussé à rédiger une histoire des plus banales, confinant comme nous le verrons au stéréotype. Ensuite ses producteurs, les anglais Tigon (Le Vampire a soif, Le Grand Inquisiteur, La Maison ensorcelée -ce dernier formant avec Abominator un double programme dans les salles américaines-) et surtout américains (la célèbre American International Pictures) lui ont fait beaucoup de misères, le forçant à étirer un rôle pour justifier un Boris Karloff qui finalement ne pourra pas tenir sa place et honorer ainsi le dernier film de son contrat du fait de sa santé déclinante. Mais, pire que tout, Armstrong dût souffrir de voir repasser un autre réalisateur derrière lui pour retourner des séquences additionnelles censées s’insérer dans le nouveau montage et les retouches du scénario tout en adoucissant l’érotisme (pour le coup carrément supprimé) et la violence. Des déboires que Armstrong connaîtra encore avec d’autres producteurs sur son film suivant, la plus connue Marque du diable, et qui le pousseront quelques années plus tard à écrire Eskimo Nell, une satire du monde de la série B. Et enfin, cerise sur le gâteau, la copie d’Abominator en VHS fut notoirement catastrophique en raison de séquences nocturnes (donc les trois quart du film) tout simplement opaques. Je ne vais donc pas tirer sur l’ambulance en attaquant le film sur cet aspect, surtout que paraît-il la copie DVD restaurée propose un film à l’esthétique soignée… Je me disais bien que quand même, Armstrong ne pouvait pas avoir investi un manoir sans essayer de tirer parti de son décor, surtout qu’il a tout de même recours à des effets de zooms pour accentuer tel ou tel bas relief effrayant. Un procédé peu finaud, mais qui ne jure en rien par rapport au reste.
Doté d’un titre français à la fois trompeur (avec un nom pareil, on s’attendrait à un film de barbaque) et adapté à sa naïveté, Abominator est en effet un film qui aurait pu être réalisé par un béotien du film d’horreur, qui se serait amusé à y placer tous ses a-priori sur le genre. Dont certains, il faut bien l’admettre, sont assez fondés, à défaut d’être des généralités… On y retrouve donc la figure archétypale du groupe de jeunes abrutis en quête de frissons, aux réactions dépourvues de toute logique et aux discours insipides. Parmi ces jeunes, la hiérarchie demeure incertaine, ce qui témoigne à la fois du caviardage demandé par l’AIP que de la maladresse du réalisateur pour l’introduction de son film. Le caviardage de l’AIP consiste au développement d’une sous-intrigue complétement hors sujet à propos d’une des jeunes femmes membre du groupe et qui eut la bonne idée de partir du manoir avant le meurtre de Gary. Dans cette rallonge, elle est persécutée par son ancien amant, bien décidé à ne pas accepter la rupture. A part éventuellement désigner un suspect sur les meurtres, cette vague tentative de faire du thriller policier est non seulement inutile, mais elle déplace en outre l’intérêt sur deux personnages qui n’ont en fait pratiquement rien à voir avec l’intrigue. Ils y seront reconnectés un peu plus tard, comme un cheveu sur la soupe, et auront bien contribué à parasiter un film qui avait déjà bien du mal à captiver son auditoire. Si cette sous-intrigue est aussi agaçante que cela, c’est aussi parce que la trame principale est dépourvue de véritable protagoniste principal, ce qui peut parfois être un atout, mais qui ici empêche toute forme de repère. Il y aura bien eu ce couple au début du film, mais leur portée se limite à la seule introduction, et elle s’arrête nette lorsque monsieur est assassiné. Par la suite, malgré les efforts du minet Frankie Avalon pour jouer aux durs et de sa copine mystique en mini-jupe, personne ne prendra véritablement le relais, ce qui explique la focalisation sur la sous-intrigue pirate. Il est même impossible de se contenter d’un simple suspense comme dans n’importe quel slasher (ou proto slasher), puisqu’il n’y a strictement rien de la sorte. Que ce soit lors de leur première ou de leur seconde visite -dont la raison d’être ne m’apparaît pas très évidente-, les jeunes se baladent dans le manoir une bougie à la main, disent des platitudes et se font peur tout seuls. Armstrong se montre en effet friand de ces caricaturaux effets de suspense, dans lesquels quelqu’un entend un bruit ou voit une lumière, se met à stresser pour découvrir qu’en fait c’était un ami à lui. Abominator n’a non seulement rien de surnaturel, mais en plus le tueur qui le hante n’est pas de ceux qui dézinguent à tout va. C’est un discret. Et sans trop en dire, lorsqu’il tombera le masque sans que l’on s’y attende (il le fait au bout d’une heure vingt, il aurait pu le faire trois quart d’heure plus tôt, ça n’aurait rien changé), on se retrouvera avec le énième cliché, celui du gars-avec-un-traumatisme-d’enfance. Doublé par une fascination pour la pleine lune, avec les gros plans convenus qui vont avec…
En fin de compte, il n’y aura eu qu’un seul instant digne d’éveiller l’attention : celui du meurtre initial, plutôt barbare et monté joliment. Le reste, ce n’est que promenades dans un vieux manoir, égarement dans une fausse piste sans queue ni tête et enfin fréquentation intermittente d’un policier (le rôle prévu pour Karloff) qui recherche le disparu dans le dos de tout le monde. Ce qui ne sert pas à grand chose non plus, mais qui permet au moins de voir s’approcher la fin d’un film léthargique. En étant très gentil, on peut toujours supposer que la désastreuse copie VHS empêchant de ressentir l’atmosphère du manoir a joué un rôle dans ce jugement peu amène. Mais enfin, si tout le mérite du film ne reposait que là dessus, ça ne nous aurait pas mené bien loin.