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A vif – Neil Jordan

a-vif-affiche

The Brave One. 2007

Origine : États-Unis / Australie
Genre : L’auto-justice au féminin
Réalisation : Neil Jordan
Avec : Jodie Foster, Terrence Howard, Nicky Katt, Naveen Andrews…

Une nuit, alors qu’ils se promenaient en amoureux dans Central Park, Erica Bain et son fiancé sont violemment agressés par une bande de jeunes désœuvrés. Sortie du coma au bout de trois semaines, Erica apprend que son compagnon n’a pas survécu à ses blessures. Traumatisée, elle reste des jours durant enfermée chez elle avant de se décider à sortir de nouveau. Par sécurité, elle s’achète une arme, dont elle a l’usage à l’occasion d’une agression dans une supérette. De plus en plus à cran face à l’apathie de la police, elle songe de plus en plus sérieusement à se faire justice elle-même.

Après un Breakfast on Pluto éminemment personnel, Neil Jordan étonne son monde en s’adonnant au genre casse-gueule par excellence du film de vigilante. Sous-genre idéal pour voir aussitôt fuser les accusations de fascisme, le film de vigilante dispose de sa figure de proue en la personne de Charles Bronson, dont la saga du Justicier dans la ville a fortement contribué à sa piètre réputation au sein de l’intelligentsia. Pour les amateurs de cinéma de genre, et au-delà de toutes considérations politico sociales, il peut résulter un certain plaisir à la vision de ces films basés sur l’auto justice, même si leur canevas un peu trop balisé conduit immanquablement à une certaine lassitude. Néanmoins, cette impression de déjà vu n’est pas une fatalité pour peu que les films en question enrichissent leur postulat de départ, à l’instar du Légitime violence de John Flynn par exemple, qui mêle astucieusement l’auto justice au trauma post guerre du Vietnam. La présence de Jodie Foster en tête d’affiche constitue déjà en soi une petite curiosité, la femme étant généralement cantonnée dans ce genre de films au simple statut de victime, dont la mort ou le viol se trouve à l’origine de la quête vengeresse d’un proche. A ne pas confondre cependant avec le sous-genre voisin dit du “rape and revenge” dans lequel des femmes violées se vengent de la gent masculine. Avec son héroïne muette et doublement souillée, L’Ange de la vengeance de Abel Ferrara en est un beau représentant.

C’est donc avec curiosité qu’on aborde le film de Neil Jordan, pour assez vite déchanter face à une telle absence d’originalité. Finalement, le parcours de Erica Bain s’avère par trop identique à celui de Paul Kersey, même si Jodie Foster se montre moins monolithique que Charles Bronson. Femme oblige, Neil Jordan s’appesantit dans un premier temps sur sa fragilité, sa mise en scène créant une forme de chaos autour d’Erica lorsqu’elle tente de sortir de chez elle, saisie par la peur de l’extérieur et de ses dangers. Il joue également beaucoup sur son isolement. L’isolement physique tout d’abord. Dès le début du film, il apparaît clairement que toute la vie d’Erica tourne autour de David, son fiancé. Elle prétend ne pas avoir de famille, et lorsqu’elle rend visite à une amie, c’est pour mieux la délaisser après qu’elle ait été rejointe par son chéri. Erica et David vivent dans une bulle de bonheur et d’amour, presque hermétique au monde extérieur. David décédé, c’est une partie d’elle-même qui a disparu. Erica se retrouve désormais seule pour affronter le monde, et compte tenu de sa profonde détresse, on peut même s’étonner qu’elle n’ait pas envisagé le suicide. D’aucuns pourraient arguer que ce n’est pas dans son tempérament. Certes, mais de ce point de vue là, tuer des gens ne l’était pas non plus. A croire que le suicide est un sujet bien plus choquant que l’idée de vouloir se faire justice soi-même. Donc à défaut de songer à mettre fin à ses jours pour rejoindre l’être aimé, Erica reste longtemps prostrée chez elle à ressasser les souvenirs de son idylle violemment interrompue, pour autant de courts flashbacks d’un amour tendre et charnel en guise d’illustrations. Et puis il y a l’isolement moral. Personne ne peut véritablement comprendre les tourments par lesquels passe Erica. Elle ne bénéficie de soutien psychologique d’aucune sorte, et ne peut guère compter sur les efforts de la police pour apaiser son esprit, dont le professionnalisme de façade cache mal une certaine impuissance. Les croisades justicières des films de vigilante résultent justement de l’incapacité des forces de l’ordre à protéger les innocents et à leur rendre justice. Neil Jordan n’hésite d’ailleurs pas à en rajouter une couche. Dans A vif, non seulement la police se montre impuissante à coffrer les méchants (l’Inspecteur Mercer avoue même à Erica Bain qu’en restant dans la légalité, il ne pourra jamais arrêter certains contrevenants), mais en plus traite les victimes comme du bétail, dispensant le même discours creux en guise de sollicitude. Cette attitude ne fera que conforter Erica dans son idée que les honnêtes citoyens ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour se défendre. La police ne pouvant (voulant) rien faire pour elle, il ne lui reste plus qu’à se procurer une arme pour enfin pouvoir se sentir en sécurité.

On le sait, la grande accessibilité des armes aux États-Unis est un débat sans fin qui redouble d’ampleur à chaque fois que survient un drame du type Columbine. Et curieusement, les films d’autodéfense ne s’en font jamais l’écho. A cela, une raison simple : leurs protagonistes ne tuent que des sales types, ou présentés comme tels. Ils revêtent les atours de justiciers du quotidien, s’attirant de la part de la population bien plus de sympathie que de courroux. Toujours cette volonté toute américaine de se créer des héros. Erica en aura la preuve lors d’une émission –elle est animatrice radio– pour laquelle sa patronne l’a plus qu’encouragée à laisser les auditeurs s’exprimer à propos des crimes commis dernièrement. Les siens. A son grand désarroi, son action est plutôt bien acceptée, voire plébiscitée. Toutefois, cette scène ne vise pas tant à justifier les actes d’Erica qu’à l’humaniser davantage en lui faisant prendre la pleine mesure de son action. Erica est quelqu’un qui doute, qui déteste la femme qu’elle est devenue, mais qui semble prise au piège d’une spirale de violence qui la dépasse. Elle est même à deux doigts de se rendre à la police, avant de se raviser in extremis. Neil Jordan veut bien qu’on comprenne qu’elle ne prend aucun plaisir à tuer. D’ailleurs, son parcours relève au début davantage du malheureux concours de circonstances que du démasticage réfléchi de voyous. Ce parti pris ne se formalise guère des grossières absurdités aux frontières du risible qu’il induit. Ainsi, pour sa première émission après le drame, Erica avoue naïvement à ses auditeurs n’avoir jamais jusqu’à aujourd’hui ressenti toute la dangerosité des rues de New York à la nuit tombée. Or depuis son agression, la pauvre joue vraiment de malchance puisque où qu’elle aille, elle est témoin ou victime d’une agression. Le procédé parait un peu gros, mais Neil Jordan n’a visiblement pas souhaité s’embarrasser d’une quelconque subtilité. Pire, il rend par instant le parcours de son personnage totalement illogique. Je m’interroge encore de la soudaine confiance aveugle de Erica envers un inconnu alors que précédemment, elle sursautait à la moindre personne passant un peu trop près d’elle dans la rue. Là, sous prétexte de s’acheter une arme de toute urgence, elle suit un inconnu dans une ruelle isolée au mépris de toute prudence, en en oubliant totalement ses peurs. Il faut croire que rien que l’idée de posséder une arme lui procure un sentiment de sécurité. En tout cas, cette scène démontre qu’elle connaît mieux qu’elle ne le prétend le New York interlope puisqu’elle dispose comme par enchantement de la somme nécessaire à son achat en liquide. C’est ce qui s’appelle être prévoyant.

Difficile de savoir ce que Neil Jordan a réellement essayé de faire passer avec ce film. A-t-il voulu rendre hommage au genre ? C’est probable. Tous les ingrédients sont là, à commencer par le meurtre initial, aussi violent que révoltant par sa gratuité qui confine au lynchage. Il y ajoute même une donnée supplémentaire par l’intermédiaire de la vidéo (l’un des agresseurs filme toute la scène) sans pour autant que cet élément ne se retrouve au cœur d’une quelconque réflexion sur la violence et sa dérive vers le grand spectacle. Ladite vidéo ne joue qu’un rôle strictement dramatique, sa découverte servant à rallier définitivement l’Inspecteur Mercer à la cause d’Erica. Là encore, il est question d’une collusion entre la “justicière” et la police, quoique celle-ci se joue ici à un niveau plus personnel. L’inspecteur et l’animatrice radio s’apprivoisent tout au long du film pour finalement devenir assez proche (on évite tout de même la romance à l’eau de rose) au point de s’entraider. Il n’est donc plus question de la police au sens large qui fermerait les yeux sur les actes du justicier, car en un sens ceux-ci lui mâchent le travail, mais d’un seul individu agissant en son âme et conscience. Demeure toujours cette désagréable sensation d’impunité qui accompagne le bras vengeur de l’auto justice. A ce titre, A vif reste très ambigu quant à ses intentions, à tel point qu’on peut se demander si Neil Jordan a réellement un avis sur la question. Et comme sur le strict plan du divertissement, le film cède trop aux facilités et aux clichés, le bilan définitif ne peut être que négatif. Hommage ou tentative de réflexion autour de la violence, peu importe au fond. Neil Jordan a échoué sur toute la ligne, rendant une bien mauvaise copie.

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