L’Autobiographie de Malcolm X – Malcolm X & Alex Haley
The Autobiography of Malcolm X. 1965Origine : Etats-Unis
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C’est tellement difficile de parler de ce livre ! Et il y aurait tellement à dire ! Oui, tellement que ça mériterait tout un livre ! Alors que dire de ce livre ? Que dire de cette autobiographie écrite en collaboration avec Alex Haley qui prenait des notes en écoutant les récits de Malcolm X. Comment parler de ce livre si on ne présente pas un peu Malcolm X ? Il serait tellement compliqué et tellement long de tout remettre dans le contexte historique de l’époque, le contexte social, politique et économique. Mais comment parler de cet homme si on ne fait pas mention de tout cela ? “Je n’avais jamais raconté mon passé sordide avec tant de détails. Je le fais maintenant, non que je sois fier du mal perpétré, mais parce que les gens posent toujours des questions : pourquoi suis-je devenu ce que je suis? Pour comprendre quelqu’un, il faut retracer toute sa vie, remonter à sa naissance. Notre personnalité résulte de la somme de nos expériences“.
Né en 1925 à Omaha dans le Nebraska, Malcolm Little de son vrai nom connaît une enfance difficile. Difficile car sa famille est sans cesse visitée par le Ku Klux Klan qui un jour incendie la maison des Little, puis tue plus tard le père de Malcolm qui luttait pour l’émancipation des Noirs. L’assistance sociale sépare Malcolm de sa mère ainsi que de ses frères et sœurs. Sa mère deviendra folle, rongée par le chagrin et l’incompréhension, elle finira dans un asile de fous. A l’école, Malcolm est un bon élève, c’est même celui qui a les meilleures notes de tous. Seul Noir, il est attraction de ses camarades blancs. Pourtant plus à même de réussir que ces derniers, un de ses professeurs lui dit qu’il ne pourra jamais devenir avocat, mais que menuisier était un beau métier pour une personne comme lui. Plus tard, Malcolm quitte sa campagne pour venir plus au nord, où il s’installe chez sa demi-sœur dans la banlieue de Boston. La vie de Malcolm va très vite tourner à cette époque. Drogue, cigarettes, alcool, filles (blanches), cambrioleur, parieur, dealer, Malcolm vit de petits trafics rondement bien menés. Sauf qu’un jour (après quelques années), il se fait arrêter et est condamné de 8 à 10 ans de prison.
Voilà comment on pourrait très rapidement résumer la vie de Malcolm avant qu’il devienne le Malcolm X qu’on connaît.
La prison change tout. Complètement toxico, il est contraint à tout arrêter. Ce furent des moments très difficiles et douloureux. Grâce à ses frères et sœurs qui se sont convertis à l’Islam Malcolm, bien que profondément athée et appelé Satan par ses camarades de cellules en raison de sa haine pour la Bible, Malcolm découvre cette religion qu’on lui présente comme étant celle des Noirs. En prison, il écrit à Elijah Muhammad qui a créé la Nation de l’Islam au sein même des Etats-Unis, les membres seront appelés plus tard les Black Muslims. Malcolm choisit alors d’utiliser son temps en prison pour évoluer. Il commence à lire des livres, mais ne comprenant pas le sens de tous les mots, il se met à lire le dictionnaire et à le recopier. Il ingurgite tout ce qu’il peut, il lit sans cesse et ne dort que trois heures par nuit. Il découvre des choses incroyables. Il découvre d’où il vient, ce que c’était être esclave, comment ses ancêtres ont été arrachés à leurs terres (l’Afrique), il découvre des choses qui aujourd’hui nous paraissent évidentes mais qui pour l’époque ne l’étaient pas. L’Histoire était faite par des Blancs et ne prenait pas en compte le destin tragique des Noirs. Malcolm découvre alors qui il est. Il profite de ce temps en prison pour écrire quotidiennement à Elijah Muhammad, sorte de nouveau prophète qui conduira les Noirs des USA à leur totale liberté. Dans son autobiographie, Malcolm dit même que durant ces années en prison, jamais il ne s’était senti aussi libre au contact des livres. Durant huit ans Malcolm change et devient un vrai intellectuel et peut débattre sur n’importe quel sujet. Pour lui, à l’époque, il n’y a aucun doute, le Blanc est le diable, sans exception. Si le Noir en est là, c’est à cause du Blanc.
A sa sortie de prison, il se joint à la Nation de l’Islam à laquelle on reproche (à juste titre) son racisme anti-blanc. Elle prône une séparation stricte entre les Blancs et les Noirs, un territoire où les Noirs gouverneraient et se débrouilleraient d’eux-mêmes. Malcolm devient Malcolm X, pasteur de la Nation de l’Islam, pasteur d’Elijah Muhammad. En quelques années, grâce au talent d’orateur de Malcolm X, de nombreux Noirs deviennent Musulmans à leur tour. Malcolm X commence à être connu à travers tout le pays, la presse l’interroge, déforme ses propos, il débat à la radio, à la télévision, il est la voix de la Nation de l’Islam, il est aussi fortement diabolisé par ses détracteurs (aussi bien Blancs que Noirs). Peu à peu, les jalousies vont apparaître. Il prend trop de place. Pourtant, dans son autobiographie, Malcolm X se défend d’avoir voulu prendre la place d’Elijah Muhammad qu’il aimait comme son père et qu’il vénérait comme un leader dans son droit. A la suite de la mort de Kennedy il tient les propos suivants : “Chickens coming home to roost“, qu’on pourrait traduire ainsi : la violence de l’homme blanc a fini par se retourner contre lui (on récolte ce que l’on sème). La Nation de l’Islam l’exclut provisoirement pendant 90 jours, il n’a plus le droit de parler en public. De plus, Malcolm X apprend qu’Elijah Muhammad aurait eu des relations sexuelles avec ses secrétaires, des relations d’adultères qui sont fortement punies par la Nation de l’Islam. Elijah Muhammad se défend en expliquant qu’il suit la route de tous les prophètes de la Bible.
Tout va très vite se transformer. Malcolm X décide de faire le pèlerinage à La Mecque. Il en revient changé. Il est étonné de voir des Blancs, des Jaunes et des Noirs prier ensemble. Il est étonné par tant de générosité. Il est d’autant plus étonné qu’il voit là-bas des tas de Musulmans fumer alors que la Nation de l’Islam interdisait toutes ces sortes de choses. Il revient changé et quitte la Nation de l’Islam à laquelle il reproche son racisme anti-blanc. Il prend alors conscience que les Blancs ne sont pas tous des diables, mais que la société américaine est raciste dans ses structures politiques et économiques et qu’il ne peut jeter la pierre à tous les Blancs. “En 1964, l’attitude de Malcolm envers l’homme blanc changea. Ce changement contribua à la rupture avec Elijah Muhammad et ses doctrines racistes. L’éruption météorique de Malcolm X sur la scène nationale lui permit de fréquenter des Blancs qui n’étaient pas les “diables” qu’il avait cru. Très demandé dans les universités de l’Est, il parlait toujours respectueusement et avec un certain étonnement des réactions positives qu’il obtenait des étudiants blancs. Ses horizons s’élargissaient à mesure que grandissaient ses doutes sur l’authenticité de la version muhammadienne de l’Islam. Plus tard, ces doutes devinrent des certitudes. Les pratiques extra-religieuses d’Elijah Muhammad au quartier général de Chicago ont profondément choqué Malcolm (…)” ( Notes sur Malcolm X. p 325).
“Pourtant, ce n’est pas l’Américain blanc qui est raciste, c’est l’atmosphère politique, sociale et économique qui nourrit le racisme. L’homme blanc n’est donc pas congénitalement mauvais, c’est la société américaine raciste qui le pousse à commettre des crimes diaboliques. Cette société produit, nourrit, un état d’esprit qui favorise l’épanouissement des instincts les plus bas, les plus vils“( p 295).
A propos de Martin Luther King, son avis va aussi changer. Malcolm X avait critiqué fortement la marche sur Washington (Il avait dit que c’était une manifestation “menée par les Blancs devant une statue d’un président mort depuis cent ans et qui ne nous aimait pas lorsqu’il était en vie”). “Ma voix n’est qu’une voix parmi d’autres, mais notre but a toujours été le même. Certes mes méthodes sont radicalement opposées à celles du Dr Martin Luther King, apôtre de la non-violence (doctrine qui a le mérite de mettre en relief la brutalité du Blanc à l’égard des Noirs). Mais dans l’atmosphère qui règne actuellement en Amérique, je me demande laquelle de ces doctrines “extrémistes” : le “violent” Malcolm X ou le “non-violent” Dr King, sera mort le premier“. (p 299) A propos de la violence de Malcolm X, il faut aussi mettre en frein, lui-même met le terme ” violent ” entre guillemets. Malcolm X n’a jamais appelé ses ” frères ” aux émeutes, au contraire, plus d’une fois, il en a évité, mais il faisait peur aux Blancs car on voyait en lui quelqu’un capable de créer une émeute à lui tout seul, ou de l’arrêter. Les propos de violence sont malgré tout mesurés. Il dit simplement que si un Noir attaque un Blanc, ce dernier a le droit de se défendre, et si un Blanc s’en prend à un Noir, il ne verrait pas pourquoi il n’aurait pas le droit de se défendre à son tour. “Et c’était un homme dangereux. Nul n’a jamais engendré comme lui la haine et la peur chez l’homme blanc. Car l’homme blanc savait que Malcolm n’était pas à vendre“. (Notes sur Malcolm X par M.S. Handler, journaliste du New York Times. p 323).
Voilà ce qu’on peut dire de Malcolm X après avoir lu son autobiographie. Ce n’est pas vraiment une critique. C’est un court résumé de sa vie. Très court. Mais il fallait passer par là. Comment parler d’un homme si on explique pas qui il est ?
Cela n’a pas été très évident de lire cet ouvrage. Beaucoup de choses circulent dans notre esprit à la lecture de ces lignes. Le discours de Malcolm X est très critiquable. Souvent, je n’ai pas été d’accord avec lui. Sur la Marche de Washington par exemple. Bien sûr, je vous invite à aller plus loin pour vous faire votre avis, consulter le passage concernant cet événement dans son livre. Car oui, je vous invite à feuilleter cet ouvrage qui se lit très bien et très vite. Peut-être même trop vite, et ça sera vraiment le point négatif de cette autobiographie. Par manque de temps sans doute, peut-être aussi parce qu’il n’en sentait pas le besoin, Malcolm X a laissé passer certains sujets qui m’auraient intéressés. Je pense à ses rapports avec Muhammad Ali et sa rencontre avec Castro. Néanmoins, Malcolm X réussit à nous parler de ses nombreux voyages où il a rencontré des chefs d’état, il était toujours bien reçu (sauf à son second voyage en France où on lui a prié de repartir très rapidement). Il était devenu le symbole de l’émancipation Noire dans les pays Musulmans. Et aux Etats-Unis, son prestige grandit largement lorsqu’il quitte la Nation de l’Islam (comme Muhammad Ali au début des années 80). Et puis surtout, Malcolm X a gagné en liberté. Malcolm X était un homme complexe, mais pas complexé. Dans cette autobiographie, il se livre, il parle du pire et assume ses erreurs. Il regrette ses attitudes racistes, de s’être fourvoyé aux côtés de la Nation de l’Islam en laquelle il croyait tant et à laquelle il reprochera son ” inactivisme “. Lire cette autobiographie, c’est entrer dans l’esprit d’un homme qui a évolué, qui a tenu des propos durs, peut-être fondés, qui s’est laissé prendre dans une propagande qui ressemblait à une vérité pour lui, un échappatoire, une solution pour que les Noirs puissent vivre dans la dignité. Pour lui, il n’est pas question que de Droits Civiques, il est question de dignité humaine et de reconnaissance, d’égalité. On regrettera que cette autobiographie se termine si vite quand on voit ce qu’il était en train de devenir.
Alex Haley, qui s’est chargé d’écrire cet ouvrage en prenant des notes nous livre là un livre dans lequel il essaie d’enlever toute passion, tel que lui avait demandé Malcolm X : “Quand il eut signé le contrat pour ce livre, Malcolm X me jeta un regard dur. “Je veux quelqu’un qui écrive et non quelqu’un qui interprète”, dit-il. J’ai essayé d’écrire une chronique sans passion. Mais c’était l’homme le plus chargé d’électricité que j’aie jamais rencontré, et je n’arrive toujours pas à croire qu’il est mort. Il me semble seulement qu’il est passé à un autre chapitre, qu’écriront les historiens“. (Notes sur Malcolm X par Alex Haley. p 321) Oui, Alex Haley le dit très bien, mais ce livre sent la passion, on ne peut être objectif et insensible face au destin d’un homme comme Malcolm X. Pourtant, Haley réussit à nous livrer là une œuvre très intimiste dans laquelle Malcolm X n’est pas ” déifié “. Il retranscrit les idées, les doutes, les erreurs d’un homme qui aura voué la seconde partie de sa vie à son peuple noir.
Pourtant, il ne fit pas l’humanité, même après sa mort. Cette note qui se trouve dans son autobiographie est très intéressante et montre bien que les limites de la bêtise et du racisme n’existent pas : “Si Malcolm X n’était pas un Noir, son autobiographie n’aurait d’intérêt que pour les psychiatres. C’est l’histoire d’un cambrioleur, vendeur de came, toxicomane et prisonnier, avec des antécédents de folie dans la famille, qui a fini par se prendre pour un Messie et prêcher à l’envers, la religion de la “haine fraternelle “. (Notes sur Malcolm X par Alex Haley, il cite là le magazine Saturday Evening Post. p 320) Heureusement, même certains Blancs américains adhéraient à ses idées.
“Les balles des assassins ont mis fin à la brève carrière de Malcolm juste au moment où il venait de reconnaître que les Noirs étaient partie intégrante de la collectivité américaine -conception diamétralement opposée aux doctrines séparatistes d’Elijah Muhammad. Malcolm était arrivé à un tournant. Il était en train de redéfinir ses idées sur les Etats-Unis et sur les rapports entre Noirs et Blancs. Il n’attaquait plus les Etats-Unis mais une partie des Etats-Unis, que représentaient ouvertement les suprématistes blancs du Sud, et sournoisement, les suprématistes blancs du Nord. Malcolm entendait diriger les militants noirs vers de nouvelles victoires dans la lutte contre les suprématistes blancs du Nord et du Sud. Au cours des derniers mois de se vie, le problème noir, dont il avait toujours dit que c’était un problème blanc, avait pris, à ses yeux, une nouvelle dimension “. (Notes sur Malcolm X par M.S. Handler, journaliste du New York Times. p 325.)
Il meurt assassiné le 21 février 1965. Il ne s’appelait plus Malcolm X (le X remplace le nom de famille qui lui vient du propriétaire d’esclave) mais El Adj Malik El Shabazz. On ne sait toujours pas qui a commandité ce meurtre.