Gen d’Hiroshima, tome 2 – Keiji Nakazawa
Hadashi no Gen
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Le tome 2 de Gen d’Hiroshima reprend exactement là où le premier tome s’était arrêté. On aurait pu penser que face à l’horreur des images de sa famille bloquée sous les décombres de leur maison, l’auteur se permettrait une ellipse, il n’en est rien. Le père hurle à sa femme et à son fils Gen de partir immédiatement avant de se faire rattraper par l’incendie, et Gen reste impuissant à regarder son frère, sa sœur et son père brûler vifs.
Alors que le premier tome mettait l’accent sur le quotidien d’une famille misérable d’Hiroshima qui se faisait rejeter par l’ensemble de la population à cause de ses idées pacifistes, le second nous montre l’horreur des premières heures qui ont suivi l’explosion de la bombe à Hiroshima, le 6 août 1945. Gen et sa mère enceinte ont survécu. Des zombies marchent dans les rues dévastées de la ville sinistrée. Ils sont brûlés, leur peau tombe en lambeaux et coule littéralement le long de leur corps. Certains perdent des membres, d’autres meurent de leurs blessures, c’est une véritable hécatombe et l’auteur, à travers son témoignage, ne nous épargne absolument rien.
Ainsi, alors que l’incendie fait rage, les survivants se ruent dans le fleuve pour éviter les flammes. Les cadavres s’empilent et Gen et sa mère sortent de l’eau pour se reposer. Sauf que la mère va accoucher, et Gen doit l’assister dans cette terrible entreprise. Il fouille dans les décombres pour voir s’il ne trouve pas de quoi donner un peu de confort à sa mère. Le bébé naît, c’est une petite fille. Mais le manque de nourriture dû aux privations de la guerre ne permet pas à la mère d’allaiter son bébé. Gen décide de partir à la recherche de riz à travers Hiroshima. Cela va être l’occasion pour l’auteur de nous montrer l’étendue des dégâts, autant matériels que moraux.
La cité est devenue une ville fantôme. Des silhouettes traînent la patte à travers la fumée, la poussière et les ruines. Ils sont défigurés, sur le point de mourir. Gen croise des mères protégeant leurs enfants, pétrifiés par le rayon atomique, morts sur le coup.
Gen traverse la ville à la recherche de nourriture pour sa mère et sa sœur. Il rencontre des survivants, mais aussi des hommes chargés de récupérer les corps morts et de les brûler. Gen, qui fait un malaise est pris pour l’un d’entre eux et échappe de peu aux flammes. Un des hommes décide de l’amener jusqu’à un poste de secours pour qu’il se fasse soigner. Mais l’homme commence à perdre ses cheveux, il est victime des radiations à force de manipuler les corps morts, il ne le sait pas. Il finit par mourir très rapidement. De son côté, Gen continue son chemin. Mais il perd ses cheveux à son tour et craint de mourir. Il rencontre alors une jeune adolescente rêvant d’être danseuse qui a le visage fondu. Ils sont secourus et sont amenés sur une île au large d’Hiroshima pour être soignés. La jeune fille cherche à se suicider, ne supportant pas son sort. Gen la laisse en lui faisant promettre de rester en vie et repart à la recherche de riz. Sur l’île, la bombe n’a fait aucun dégât. Les habitants ne sont même pas au courant de l’incident. Gen demande du riz mais les gens refusent de lui en donner, disant que la guerre est aussi difficile pour eux. Il finira néanmoins par en trouver en chantant une chanson de mendiant à une famille et en racontant son histoire, celle de sa famille morte dans l’incendie causé par la bombe.
Ce second tome est l’occasion pour l’auteur de montrer les ravages de la bombe, mais aussi de montrer l’absence de solidarité suite à ce drame. En fait, le mangaka continue à travers cet épisode à critiquer fermement l’attitude du pouvoir en place qui minimisa auprès du peuple l’effet de la bombe en la faisant passer pour une bombe quelconque. Il pointe du doigt la bêtise aveugle de cette élite au pouvoir qui malgré la bombe atomique n’a pas voulu arrêter la guerre. Une seconde sera nécessaire pour que l’empereur prenne la décision d’arrêter malgré l’armée qui ne souhaite pas capituler selon les conditions des Alliés.
On aurait pu penser qu’avec un tel témoignage, Keiji Nakazawa essaierait de montrer quelques bons côtés de la nature humaine. S’il fait de Gen un garçon courageux et volontaire qui ne baisse jamais les bras malgré les difficultés, ce qui entoure ce personnage n’est pas reluisant. Ainsi, Gen va de nouveau croiser Monsieur Pack, le Coréen emmené au Japon de force. Ce dernier en veut aux Japonais car ils n’ont pas voulu soigner son père prétextant que la priorité est donnée aux Japonais. Son père meurt de ses blessures, laissé pour compte par les médecins. Parallèlement à cela, l’auteur développe l’histoire d’un groupe d’enfants devenus orphelins qui volent les gens pour survivre. Gen voit en leur leader son petit frère mort quelques jours plus tôt. Il refuse de croire sa famille décédée. L’horreur est telle qu’il est difficile d’y croire pour un enfant de dix ans.
Gen et sa mère finissent par quitter Hiroshima en prenant soin de poser un panneau devant les ruines de leur maison au cas où un membre de leur famille les chercherait. Des panneaux comme celui-ci poussent un peu partout dans la ville, plantés là par des survivants en quête d’espoir.
Gen, sa mère et sa petite sœur quittent la ville pour se rendre chez une vieille amie. Ils demandent l’hospitalité qui leur ait offerte sans difficulté par l’amie en question. Mais la belle-mère et les deux enfants de l’amie ne le voient pas d’un si bon œil. Ils ne veulent pas partager leurs maigres provisions avec des étrangers. La petite famille se voit contrainte à fuir de nouveau.
Keiji Nakazawa reste fidèle au premier tome. Nulle concession n’est faite à son peuple. Il a beaucoup souffert certes, il a été victime de la propagande certes, mais quand il a fallu tendre une main, très peu ont répondu présent. Ce témoignage et cette vision de sa société, Keiji Nakazawa l’a vécu. Il nous les livre sans ambiguïté. Tant pis si son discours dérange, la vérité -sa vérité- doit être dite.
Avec ce tome 2, Keiji Nakazawa réussit à donner à son œuvre encore en construction une maturité extraordinaire. Plus qu’un roman graphique, il est un témoignage historique qui permet au lecteur de comprendre et de voir ce qui s’est passé à Hiroshima les jours qui ont suivi le terrible bombardement. Une suite à la hauteur du précédent ouvrage, une suite indispensable pour celui qui est curieux de savoir. Il nous apprend une chose essentielle : même dans la pire adversité, la nature humaine n’est pas à l’ouverture vers l’autre, mais bien au contraire à la sauvegarde de sa petite personne.
Une grande leçon sur l’humanité.