CinémaHorreur

Re-Animator – Stuart Gordon

Re-Animator. 1985.

Origine : États-Unis
Genre : Horreur
Réalisation : Stuart Gordon
Avec : Jeffrey Combs, Bruce Abbott, Barbara Crampton, David Gale…

Metteur en scène de théâtre remarqué dès la fin des années 60 pour ses pièces provocantes et contestataires, Stuart Gordon prit goût à la réalisation en portant une de ses pièces au petit écran en 1979. Persévérant dans le domaine, il décida quelques années plus tard de se pencher sur “Herbert West, réanimateur”, une nouvelle de H.P. Lovecraft alors plutôt rare, mais certainement l’une des plus explicites et donc propice aux adaptations. Conçue dans un but alimentaire à destination de magazines horrifiques feuilletonants, divisée en six parties et très éloignée de la fameuse mythologie des Grands Anciens, la nouvelle ne fut jamais très appréciée de son auteur, dont la seule ambition lors de sa rédaction fut de livrer une parodie du Frankenstein de Mary Shelley. Pourtant conquis, Stuart Gordon décida dans un premier temps d’en conserver fidèlement la structure pour une mini-série composée d’épisodes de 30 minutes qu’il escomptait vendre à des chaînes de télévision câblées. Aucune ne se montra intéressée par le projet, ce qui poussa donc Gordon et ses vieux complices du théâtre Denis Paoli et William Norris à envisager le format téléfilm, qui devait lui aussi constituer la première partie d’une série. Entre-temps, le trio fit la connaissance de Brian Yuzna, un producteur novice qui les encouragea d’une part à abandonner l’idée de travailler pour la télévision, jugée trop prude, et d’autre part à concentrer toute l’histoire en un seul long-métrage. Ce fut ainsi que le scénario fut réécrit et que Re-Animator prit ses distances avec la nouvelle de Lovecraft, si ce n’est pour le côté parodique de Frankenstein et pour quelques noms employés, tels que ceux d’Herbert West ou de l’Université de Miskatonic. Une fois mis en chantier, le film attira très vite l’attention de son distributeur programmé, la compagnie Empire de Charles Band, qui épaula alors Gordon et Yuzna en leur envoyant des gens d’expérience tels que le chef opérateur et ancien réalisateur suédois Mac Ahlberg ou le maquilleur John Carl Buechler et son équipe. Somme d’une heureuse addition d’idées et de recommandations, Re-Animator allait s’inscrire comme l’un des plus brillants représentants de l’explosion gore que connut le cinéma américain dans la première moitié des années 80.

Pris en flagrant délit de charcutage sur le réputé Docteur Gruber, l’étudiant Herbert West fuit Zurich pour l’Université de Miskatonic, aux Etats-Unis, où il reprend les expérimentations de feu Gruber sur le moyen de contrer la mort cérébrale. Il ne tarde pas à s’attirer l’inimitié du Dr. Hill, son professeur qu’il accuse d’avoir repris les travaux de Gruber tout en en étant resté à des conclusions dépassées. Comme peut en témoigner son colocataire Dan Cain (Bruce Abbott), complice malgré lui, West est capable de redonner vie aux cadavres en leur injectant un sérum de sa composition. Le produit reste cela dit à perfectionner, puisque les ressuscités sont incontrôlables. Guère étouffé par les scrupules, West se met alors à réanimer tout ce qui ne bouge plus, dont le patron de l’université, par ailleurs père de Meg (Barbara Crampton), petite amie de Dan.

Sorte de Victor Frankenstein dépourvu de toute conscience morale, Herbert West est un savant fou à lier résolument moderne. Son indiscutable intelligence est mise au service de son obsession, et tout le reste lui est indifférent. Extrêmement prétentieux (“vaincre la mort” et par conséquent Dieu n’est quand même pas une mince affaire), totalement imperméable aux sentiments, incapable de se repentir de quoi que ce soit, apte à manipuler son “ami” Dan lorsque la situation l’exige, de glace face à une jeune fille nue prête à se faire violer par un zombie, prêt à tuer quand besoin est, indifférent aux effusions de sang qui ne tardent pas à se faire de plus en plus présents dans son quotidien, fermement résolu à ne jamais abandonner ce qu’il a entrepris, il dépasse largement ses morts-vivants en terme d’inhumanité. Avec son visage déterminé et son regard noir, Jeffrey Combs vient inscrire son personnage -et le sérum fluorescent qui va avec- au panthéon des monstres célèbres et son nom au panthéon des acteurs indissociables de l’horreur, chaque film ayant le privilège de l’accueillir ne serait-ce que quelques minutes bénéficiant instantanément d’une tête d’affiche. En compagnie de Robert Englund et de quelques autres, il est un descendant légitime des Lugosi, Karloff, Lee, Cushing ou Price d’antan. Surtout de Vincent Price, d’ailleurs, puis l’abnégation d’acier qui caractérise son personnage s’accompagne d’une forte dose d’humour noir digne des surenchères gothiques ayant collé à la peau du grand Vincent pendant ses années de gloire. Cette fois la surenchère n’est plus gothique : elle est gore, digne du grand-guignol. Pour parvenir à faire ressusciter un cadavre, même si le résultat n’est qu’un simulacre de vie, West laisse derrière lui d’autres morts-vivants, ses cobayes devenus inutiles et pourtant il n’y a pas longtemps bien humains. Ainsi le directeur de l’université était le père de Meg et le futur beau-père de Dan, ce qui plonge donc les deux tourtereaux dans un désarroi profond dont West se fiche éperdument.

Pour les scènes de dialogues entre Bruce Abbott et Barbara Crampton, Gordon opte pour un style très soap opera (Crampton tiendra d’ailleurs plus tard un rôle récurrent dans Amour, gloire et beauté), exact opposé du déferlement sanguinolent qui entoure cette histoire d’amour à l’eau de rose brisée par le coup d’œil jeté par Dan à l’intérieur de la boîte de Pandore ouverte par West. Bien entendu, cette amourette est tournée en ridicule par le réalisateur, lequel planifie le kidnapping de Meg par son père zombifié immédiatement après le fracassant “je ne pourrai jamais vivre sans toi !“. Le contraste est saisissant mais fait pâle figure face à cette scène délicieusement perverse qu’est le cunnilingus sur le point d’être pratiqué sur la fraîche jouvencelle par la tête du Dr. Hill, décapité puis ressuscité par West. Nemesis de West et au moins aussi cinglé que lui, Hill (dont la présence fut recommandée à Gordon par Brian Yuzna) n’est pas non plus du genre à abandonner. Déjà bien tordu du temps de son vivant, le professeur en deux morceaux (la tête, qui contrôle le corps à distance) laisse libre court à ses plus bas instincts pour voler la gloire des découvertes de West et satisfaire sa libido sur Meg, qu’il convoitait depuis le début. Tout ce qui se trouve au milieu du combat opposant West et Hill est irrémédiablement broyé, d’abord psychologiquement (la fameuse histoire d’amour entre Meg et Dan ainsi que l’amour filial de Meg pour son père) puis physiquement. C’est dans ce broyage que l’aspect grand-guignol est le plus évident : le spectacle de la jeune fille pleurant son père qui se cogne la tête sur des murs capitonnés tout en bavant du sang ne peut qu’amuser par son énormité. Il en va de même pour le final dans une morgue devenue antichambre de l’enfer avec ténèbres, fumée, zombies décomposés en pleine lutte et intestins s’enroulant autour du corps d’Herbert West (idée d’ailleurs reprise par Peter Jackson dans son Braindead plus ouvertement comique).

Tout ceci mérite bien d’être accompagné de la relecture mi-effrayante mi-comique (mais en tout cas aussi folle que le film) du thème de Psychose composé par Bernard Hermann, revu et corrigé par Richard Band. Stuart Gordon ne prend même pas la peine de boucler son histoire, laissant ses personnages en plan alors que le bordel né du combat West / Hill n’est pas résolu. Une note finale joyeusement sadique pour un film gore dont l’humour ne repose finalement que sur les intentions de son réalisateur, qui communique avec son public par le biais de ses souffre-douleurs, c’est à dire les personnages du film. Une démarche très semblable à celle d’un William Castle, finalement, ce qui nous ramène donc à Vincent Price et notamment au Désosseur de cadavres. Re-Animator est bien un classique du cinéma d’horreur, et ne saurait être rabaissé au même niveau (pourtant parfois honnête) que ces films gores tentant maladroitement de faire rire en essayant de reprendre les recettes du cinéma comique conventionnel, fait de dialogues et de gags évidents.

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