Le Minotaure – Nathaniel Hawthorne
The Minotaur. 1853Origine : Etats-Unis
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C’est pas de chance pour Nathaniel Hawthorne. Il lui a fallu attendre la dernière partie de sa vie pour connaître un succès d’ampleur avec La Lettre écarlate. Non pas que ses talents eurent auparavant été contestés, ni même qu’il fut un anonyme (on le plaçait déjà sur la même ligne qu’Edgar Poe, avec lequel s’était développé une certaine rivalité), mais tout bonnement parce que ce n’est qu’à partir du milieu du XIXème siècle que ses livres furent publiés à grande échelle grâce à la mécanisation des procédés d’impression. Ironiquement, La Lettre écarlate reçut même son lot de critiques, puisque ce n’est qu’avec ce livre que l’auteur se convertit au roman, lui qui n’avait jusqu’ici publié que des nouvelles. Ses aficionados étaient désarçonnés. Ils le seront encore pour deux autres romans. Mais le retour à la nouvelle prit une tournure inattendue : A Wonder-Book for Girls and Boys et Tanglewood Tales (le Premier et le second Livre des merveilles en France) furent rédigés pour les enfants, auxquels Hawthorne se proposait de rendre accessibles des légendes de la mythologie grecque. Bien que publié souvent isolément, Le Minotaure est une nouvelle extraite de Tanglewood Tales, et qui en France se retrouve illustrée au moins pour la présente édition de L’école des loisirs par les dessins (en noir et blanc) du célèbre Régis Loisel, appuyant l’aspect majestueux de certaines scènes. Il se veut donc proche des ambitions de Nathaniel Hawthorne, dont le but était de “substituer un ton gothique ou romantique à la froideur classique“.
C’est que Hawthorne est lui-même rattaché au mouvement gothique américain, qu’il exploite dans le cadre de sa morale ostensiblement puritaine (après tout, Hawthorne est le descendant d’un juge qui officiait pendant les procès de Salem !). J’ai bien conscience que dire cela ne joue certainement pas en sa faveur, mais toujours est il que le fantastique d’Hawthorne est loin d’être désagréable à lire, quand bien même ses analyses morales sur le péché seraient agaçantes. De toute façon, on ne trouvera pas grand chose de véritablement puritain dans Le Minotaure, qui est une ré-écriture de la légende grecque pour des enfants peu réceptifs aux luttes internes entre le bien et le mal tant plébiscitées par Hawthorne. Quant au romantisme gothique dont se réclame l’auteur, on le retrouve principalement dans l’exacerbation des sentiments, que ce soit l’héroïsme de Thésée, l’amour paternel de son père Égée, de sa mère Éthra ou la monstruosité du Minotaure. La nature de cette légende avait de toute façon de sérieux penchants dans ce sens, comme c’est le cas pour la plupart des récits antiques. La “froideur classique” évoquée par Hawthorne ne me paraît à vrai dire pas criante, et avec son court récit pour enfant, Hawthorne aura bien du mal à moderniser l’histoire de Thésée et du Minotaure. Du soulèvement du rocher comme symbole de la maturité de Thésée au combat par le Minotaure en passant par le complot de Médée pour écarter Thésée du trône d’Athènes et la traversée du labyrinthe de Dédale avec le fil d’Ariane à la main, les étapes importantes du récit sont aussi brièvement racontées que les prouesses d’Ulysse ne le sont dans L’Odyssée par Homère. La succession d’aventures alliée au jeune lectorat visé par Hawthorne n’est pas un contexte idéal pour faire du gothique pur jus.
Reste donc la légende, écrite dans un style plus moderne et donc plus abordable qu’avec les auteurs classiques. Hawthorne prend quelques libertés avec les versions les plus répandues, et il se permet même à une occasion de les attaquer frontalement, au sujet du devenir d’Ariane, qui choisit ici de rester avec son père le roi de Crète au lieu d’embarquer avec Thésée et d’être abandonnée par celui-ci. “Si notre héros eut entendu ces faussetés, il aurait traité les calomniateurs comme il avait traité le minotaure !” dit Hawthorne. Mouais. Probablement une façon d’ouvrir la porte au romantisme, puisqu’en agissant ainsi Ariane fait preuve d’une plus apparente grandeur d’âme, du moins dans l’optique puritaine. Ceci dit, il n’existe pas de version gravée dans la pierre, et le Minotaure comme d’autres légendes ont toujours subit des variations. On ne peut donc rien reprocher à Hawthorne, comme on ne peut pas non plus le louer excessivement. Il vulgarise quelque peu son sujet très attractif, mais en retranscrit le principal, et c’est là l’essentiel, surtout dans un conte pour enfants. Pour être tout à fait honnête, j’aurais bien aimé voir une version adulte, qui se serait sûrement faite moins impersonnelle et où les apports gothiques auraient été plus probants… ou plus plombants.
Sûrement conscientes que même avec les dessins de Loisel leur livre est assez chiche (ils n’avaient qu’à publier Tanglewood Tales dans son intégralité, aussi !), les éditions de L’école des loisirs rajoutent au texte d’Hawthorne une courte préface d’une certaine Catherine Chaine expliquant de manière pratique avec moult exemples les trois rôles attribués aux mythes grecques, qui peuvent varier en fonction de la date où ils sont racontés. Instructif. Enfin, le petit lexique de la mythologie grecque clôturant le livre, toujours signé Catherine Chaine, est non seulement fortement utile pour connaître la destinée de tous les personnages croisés dans le livre, mais aussi un moyen de connaître dans les grandes lignes quelques-unes des légendes grecques tournant autour des personnages aperçus sous la plume de Hawthorne (ce qui parfois ne manque pas de surprendre, puisque nous y voyons que certains héros ne sont pas aussi purs que cela, du moins selon nos normes morales en vigueur). Les plus téméraires auront également envie de se (re)plonger dans le foisonnement de la mythologie grecque. Cette édition du Minotaure va donc au-delà du simple rôle de la découverte de l’aventure concernée et prend des allures très pédagogique. Du bon boulot.