T’as le bonjour de Trinita – Ferdinando Baldi
Rita nel West. 1967Origine : Italie
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Little Rita (Rita Pavone) est la petite terreur de l’ouest. Travaillant avec Bison Acide (Gordon Mitchell), chef d’une tribu indienne, elle mène la vie dure aux pistoleros et bandits de tous poils pour récupérer leur or. Non pas qu’elle soit vénale, bien au contraire : jugeant comme Bison Acide que l’or corrompt les hommes, elle veut récupérer le précieux métal et le détruire. Les prochains à en faire les frais seront Ringo et Django, deux légendes vivantes. Mais ça ne fait pas peur à Little Rita, qui en a vu d’autres… Comme par exemple la bande de Santo, le mexicain, qui aurait très bien pu la fusiller avec son associé Francis (Lucio Dalla) si Trinita (Terence Hill) n’était pas intervenu. De cet épisode, elle a gardé un grand amour pour son sauveur, ce qui explique l’indulgence qu’elle lui montrera lorsqu’il tentera de dérober l’or gardé dans la grotte de Bison Acide.
Se voulant une parodie de western spaghetti, genre qui n’était pourtant alors pas assez vieux pour mériter ça, T’as le bonjour de Trinita est avant toute chose un produit marketing pensé pour servir les intérêts d’un autre produit marketing. A savoir Rita Pavone, nouvelle star de la chanson italienne découverte en 1962 par le producteur musical Teddy Reno (qui deviendra peu après son époux, ben tiens) à l’occasion d’un festival réservé aux artistes amateurs. Un an plus tard, elle connaissait le succès en Italie, et deux ans plus tard aux États-Unis. Comme le voulaient les codes d’une bonne promotion, le temps était venu de la lancer également au cinéma, ce qui fut fait dès 1966 dans une comédie sentimentale produite en Italie -parce qu’entrer dans les charts américains est une chose, mais s’imposer au box office en est une autre-. Un an plus tard, réalisant que faire apparaître sa protégée dans le genre cinématographique italien à la mode était une bonne idée, Reno la casa donc dans un western. Un western qui allait outrageusement racoler, puisqu’on y retrouve également un clone de Django et un avatar de l’homme sans nom rebaptisé opportunément Ringo (autre figure marquante des débuts du western spaghetti). Et pour bien s’assurer que Rita nel West ne passerait pas inaperçu, Pavone se retrouva flanquée d’un autre musicien populaire, Lucio Dalla, quitte à ce que le rôle de ce dernier sonne un peu creux. Et puis plus on est de fous plus on rit, alors pourquoi ne pas réserver une place à Teddy Reno lui-même ? Allons-y donc ! Et puis tiens, se dit un éditeur français quelques années plus tard, puisque Terence Hill y joue (il s’agit de son premier western spaghetti, après avoir fait quelques westerns teutons), pourquoi ne pas appeler le film T’as le bonjour de Trinita ? D’autant plus que le ton potache est de mise, et qu’en plus Enzo Barboni, futur créateur du véritable Trinita en 1970, occupe le poste de directeur photo. Et encore plus tard, compte tenu de la renommée pour le moins confidentielle de Rita Pavone en nos contrées, un éditeur DVD prit la liberté de supprimer purement et simplement les scènes musicales de la chanteuse (20 minutes en moins). Ce n’est guère déontologique et pas très sympa, mais j’avoue qu’être privé des envolées beuglantes d’une chanteuse de variété venue faire sa pub n’a pas été pour me déplaire. T’as le bonjour de Trinita est déjà suffisamment déplaisant comme ça, inutile de charger la mule.
A quoi reconnait-on que les fans de Rita Pavone sont de jeunes gens ? Et bien à la simplicité moraliste du message que fait passer le film, bien sûr ! Loin d’être aussi rude que ne le sont les versions d’origine de ses ennemis Django et Ringo, Little Rita prône une leçon de savoir vivre à sa jeune audience. Ce n’est pas bien d’être méchant pour avoir de l’argent (il suffit d’avoir un bon producteur). D’autant que comme le réalisera plus tard Trinita (en réalité Black Star en VO), l’argent ne fait pas le bonheur. Et ceci est asséné avec la sagesse légendaire d’un chef indien joué, aussi étrange que cela puisse paraître -et que ça paraît- par Gordon Mitchell. Un vrai indien de supérette, avec un nom à coucher dehors, des répliques ampoulées, une coiffe en plumes d’aigles et du “ugh” à qui mieux-mieux. Aussi subtil que le gang de mexicains en sombreros, sales et braillards, toujours prêts à danser en buvant de la tequila dès qu’ils entendent la voix de leur chef Santo, même lorsqu’ils s’apprêtaient à fusiller leur ennemie. Reconnaissons quand même que tout ceci est vu avec humour… Mais il a bon dos, l’humour. Il s’agit d’un humour de facilité que l’on retrouve beaucoup dans les petites productions sans idées ni ambitions (et se cacher derrière le petit budget comme le fait un dialogue d’auto-dérision n’est guère brillant), et qui comble ce déficit en en faisant poussivement des tonnes sans ligne directrice. On trouve donc une flopée de personnages secondaires abrutissants, comme l’indien ou le mexicain, mais aussi un shérif (Teddy Reno) sans autorité citant anachroniquement Lénine et Trotsky, un “sidekick” pratiquant le jeu de mot foireux (Lucio Dalla) et riant volontiers aux répliques ironiques de sa patronne, un juge inepte à la tête d’une parodie de jury, et puis bien sûr Ringo et Django.
Pas gonflée la Rita, qui du haut de sa morale des bonnes familles se mesure et humilie les deux héros les plus marquants du western, interprétés par des pseudo clones d’Eastwood et Nero. Le premier avec son cigarillo, son pancho et son chapeau, le second avec le cercueil qu’il trimballe et ses mains en compote. Pour Ringo / l’homme sans nom, l’humour repose sur la qualité de tir de Rita, capable de tirer exactement sur la balle de son adversaire lors du duel, et finalement de tirer dans le canon de son revolver avant finalement de le ridiculiser à l’aide d’un pistolet lance-grenades dans la rue principale devant le saloon, façon Pour une poignée de dollars et Et pour quelques dollars de plus (dont les titres sont cités par Ringo et Rita, histoire de faire remarquer la référence à ceux qui ne l’aurait pas comprise). Pour le second, après l’avoir défié en lui marchant sur les pieds, il s’agit tout simplement de refaire la scène finale du film de Corbucci, dans le cimetière. Si encore c’était drôle, ces parodies auraient pu être efficaces, il ne faut pas crier de suite au sacrilège, mais telles qu’elles sont ce ne sont que des moyens de faire mousser la Pavone en utilisant la réputation de personnages bien connus et en vidant de leur substance les westerns classiques. Et de la remplacer par un style primaire tristement commercial, s’adressant bien plus aux jeunes fans d’une chanteuse de variété en vogue qu’à des amateurs de westerns. C’est ainsi que l’on finit aussi par voir se développer une romance pour midinette entre Rita et Trinita, commençant très fort lorsque la première se met à sauter dans tous les sens en criant qu’elle est amoureuse, avant de se renfrogner face à la mauvaise conduite de son amoureux et de jouer à “tu me sauves la vie je sauve la tienne”. Déjà bête, T’as le bonjour de Trinita devient en plus puéril, et a contrario des comédies des Beatles, qui reflétaient plutôt bien le style psychédélique du groupe, le film de Ferdinando Baldi (dont il s’agit du premier western, on lui préférera fortement Blindman avec Ringo Starr -mais sans qu’il ne s’agisse d’un véhicule pour ce dernier-) n’a jamais l’air d’être autre chose qu’un produit marketing sans aucun apport créatif de l’artiste qu’il est censé promouvoir. Au contraire, c’est avec ce genre de chose que l’on construit de toute pièce son image, bien lisse, bien terne, bien calibrée, y compris dans son humour infantile.