CinémaDrame

Scuscià – Vittorio De Sica

sciuscia

Sciuscià. 1946

Origine : Italie 
Genre : Drame néoréaliste d’après guerre 
Réalisation : Vittorio De Sica 
Avec : Franco Interlenghi, Rinaldo Smordoni, Angelo d’Amico, Aniello Mele…

Rome, 1945. Pasquale et Giuseppe sont amis “à la vie à la mort”. Petits cireurs de chaussures, ils sont associés en affaires. Pasquale, le plus âgé des deux, est orphelin tandis que Giuseppe, éternellement enveloppé de sa pèlerine, est nanti d’une nombreuse famille. Sa sœur lui demande sans arrêt de l’argent pour leur mère qui vit avec tout le reste de sa progéniture dans une maison habitée par d’autres déshérités. Les deux enfants partagent le même rêve : acquérir un cheval, rêve qu’ils finissent par réaliser, grâce notamment à leur petit trafic de marché noir. Montés sur leur cheval blanc, les deux gamins font une mémorable apparition devant les autres “sciuscia”. Mais leur bonheur est de courte durée : ils sont dénoncés, arrêtés et condamnés à l’issue d’un jugement auquel ils n’ont rien compris. Au moment de leur incarcération, Pasquale et Giuseppe se jurent fidélité mais, placés dans des cellules séparées, les deux amis ne se voient plus que dans la cour. Malgré la bonne volonté de certains éducateurs, la prison n’est guère propice au relèvement des jeunes délinquants ; Giuseppe se lie avec une bande de jeunes voyous tandis que Pasquale prend en affection un gamin désemparé que personne ne vient voir lorsqu’il tombe malade. A la faveur d’un incendie, les enfants s’échappent de la prison. Giuseppe emmène un des garçons de sa bande à l’écurie pour lui montrer le cheval. Se sentant trahi par son ancien “associé”, Pasquale ulcéré, attaque Giuseppe et le frappe…

En 1943, en réalisant une banale histoire d’adultère, Vittorio De Sica et Cesare Zavattini étaient entré avec pudeur et discrétion dans le monde de l’enfance. Prico, le jeune héros des Enfants nous regardent y vivait douloureusement le drame égoïste des adultes. A travers lui, réalisateur et scénariste dénonçaient la responsabilité des parents vis-à-vis des enfants, victimes d’autant plus innocentes qu’elles sont sans défense. Trois ans plus tard, avec Sciuscià, De Sica et Zavattini, se plaçant à nouveau du côté des enfants, poursuivaient leur propos mais en dénonçant cette fois la société tout entière en mettant en scène les pitoyables épaves de la guerre contraintes pour survivre à cirer les chaussures des G.I.’s (“Sciuscià” est la déformation italienne de l’américain “Shoe Shine”) ou de faire du marché noir.
A Rome, sous l’occupation nazie et pendant le tournage de La Porte du ciel (La Porta del cielo), film réalisé en 1944 pour échapper à l’invitation de diriger le cinévillage de Venise créé par les fascistes, et à Naples, où l’a conduit pendant les mois de la libération son métier de comédien, De Sica a vu nombre de ces enfants prématurément vieillis par l’adversité : “Je les ai parfois suivis pour écouter ce qu’ils disaient et pour savoir quels étaient leurs projets. Mais je n’ai pas entendu grand chose, car les gamins, aujourd’hui, parlent à voix basse (…) A la différence des grands, les petits connaissent la honte. Je découvre dans leurs yeux une sorte de pudeur qui les irrite et les oblige à parler d’autre chose ou à s’enfuir, comme l’ont fait mes deux garçons.” C’est cette remarque faite par De Sica en juin 1945 sur des photos des “enfants de la guerre” prises par l’opérateur Pietro Portalupi et publiées dans un hebdomadaire qu’on trouve la première trace de Sciuscià.

Le comportement de ces enfants – leur manque de confiance envers les adultes, leur capacité à survivre, et même leurs rêves les plus fantastiques comme le désir de posséder un cheval… – a été tout de suite fort bien analysé par De Sica. Les scénaristes, sous la houlette de Cesare Zavattini, lui fournissent la trame dans laquelle il incorporera ses observations prises sur le vif. Le film aboutira à un document d’une si cruelle authenticité qu’un grand nombre de spectateurs, troublés dans leur bonne conscience, refuseront l’évidence. Lorsque le film sort dans les salles de cinéma, De Sica est accusé de dénigrer l’Italie, et on l’invite à ne plus laver son linge sale en public. Le producteur, l’italo-américain Paolo William Tamburella, se ruinera dans l’affaire. Le seul à s’en bien tirer sera Ilya Lopert, qui distribuera Sciuscià aux Etats-Unis et encaissera un million de dollars.

Dans Sciuscià, le réalisateur ne se contente pas de dévoiler une des plus sombres périodes de l’histoire italienne. Il raconte aussi avec une saisissante intensité une amitié de garçons, faite de confidences, de solidarité, de déceptions et de rêves. Car il y a place, dans ce constat sans concession, pour la poésie. L’épisode de la projection d’un film en prison, avec les comiques et la scène de la mer (comme, du reste, l’image clé de tout le film : le cheval blanc), révèle que le jeune homme sympathique des comédies de Camerini, en se faisant documentariste, sait aussi que le réalisme peut être lyrique.
Réflexion émue et émouvante sur les “enfants de la guerre”, Sciuscià marque aussi une rupture délibérée avec les modèles cinématographiques courants de l’époque. Il n’a rien à voir avec les “film éducatifs” d’origine américaine et avec tout ce qui avait été fait dans le cadre du cinéma italien. La photographie recourt a des tonalités volontairement désagréables (imputables, en partie, au manque de moyens mais totalement consciente d’elle-même), loin de diminuer la valeur du film, lui confèrent plus d’intensité, plus d’humanité et en font un des chefs-d’oeuvre du cinéma néoréaliste italien.

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