Naked Paradise – Roger Corman
Naked Paradise. 1957Origine : Etats-Unis
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Sous couvert de tourisme, Zach Cotton, sa secrétaire et ses deux employés ont loué les services de Duke Bradley, hardi capitaine d’un bateau de plaisance qui ne sait pas à qui il a réellement affaire. Cotton et ses sbires sont en fait des truands venus à Hawaï pour y dérober la recette d’une plantation !
Pas très développé le scénario de ce Naked Paradise qui fut aussi titré Thunder Over Hawaii avant que les gourous du marketing de l’American International Pictures ne décident de faire passer le film de Corman pour un quasi nudie. C’est que comme toujours, l’ami Roger n’avait pas beaucoup de temps : de passage à Hawaï pour y tourner She Gods of Shark Reef, il décida d’amortir les coûts en commandant un scénario à Charles Griffith et en divisant son mois en deux tournages de deux semaines. Malin, il avait aussi pris la précaution de se renseigner sur les conditions météo. Généreux, il invita aussi Beverly Garland, sa copine du moment (et alors une de ses actrices fétiches) à se prélasser dans le maillot du premier rôle féminin. Amical, il convia aussi ses producteurs Samuel Arkoff et James Nicholson à se rendre sur l’archipel avec leur famille, incitant au passage Arkoff à faire sa toute première apparition à l’écran pour un caméo dans lequel il interprète le patron d’un personnage joué par Corman lui-même. En somme, tout était réuni pour se faire un petit tournage tranquille sentant bon les vacances. Mais Corman étant professionnel avant tout, pas question de traînailler. Le farniente, les promenades sur la plage, la musique hawaïenne, tout cela est surtout valable pour les personnages du film, qui sous des dehors de polar au soleil s’avère surtout être un cadeau fait à l’office de tourisme local. On y retrouve par conséquent -et en Pathécolor !- ces séances de bronzette, ces danses langoureuses, ces plans larges sur les paysages idylliques, ces autochtones en tenues traditionnelles, ces musiques apaisantes et toutes ces autres images d’Épinal (et stock-shots) dont l’emploi relève autant de la facilité que d’une réelle volonté de faire de Naked Paradise un film estival. D’où une certaine indolence pendant une bonne partie du film, Corman n’étant pas décidé à mettre réellement en branle son scénario.
Il ne faudrait pas que la légèreté soit plombée trop vite, surtout vu le peu qu’il y a à raconter… Il privilégie ainsi une tonalité ouvertement troupière basée sur les personnalités des protagonistes. Nous avons donc Beverly Garland en femme cynique et alcoolique qui n’aime rien tant qu’adresser des piques à son patron, lequel doit faire profil bas pour masquer ses vraies ambitions. Leurs échanges valent le détour, et le flirt ouvert qu’entretient la pseudo secrétaire avec le bellâtre Duke Bradley alimente davantage ces savoureuses relations conflictuelles qu’il n’augure d’une histoire d’amour traditionnelle à base de femme en détresse sauvée par son chevalier blanc. Ce que l’amourette deviendra pourtant au moment des choses sérieuses. Dans le même style, nous avons le duo joué par les indispensables Dick Miller et Jonathan Haze, les hommes de main de Zach Cotton. Le second joue aux dragueurs simplets que le premier, jouant aux durs à cuire, passe son temps à recadrer sèchement avant d’être lui-même recadré par son patron, par Bradley ou même par la belle hawaïenne qu’il convoite avec envie. La encore, les choses prendront une dimension plus sérieuse par la suite. Mais en attendant, il n’y a qu’à profiter de ces numéros d’acteurs typiquement cormaniens, soutenus par quelques gags venant entretenir la jovialité générale : la peluche piégée pour mettre le feu à la plantation, les ananas servant à dissimuler l’argent volé, la mama hawaïenne qui s’éprend de Jonathan Haze…
Et puis vient tout de même le temps où, après avoir caché leur jeu, les vilains doivent tomber le masque. Naked Paradise tombe alors dans un classicisme un peu plus prononcé, tournant finalement au film noir après avoir éviter de le devenir trop tôt. Ceci dit la rupture n’est pas trop brutale et conserve quelque chose de ce qui a précédé, ne serait-ce que parce que les directions dans lesquelles il s’oriente ne font que prolonger différemment les interactions entre les personnages. Chacun a ainsi droit à sa propre évolution : la secrétaire finit par partir avec son sauveur, Cotton veut la récupérer autant par sens de la propriété que pour ne pas qu’elle trahisse leur vol et Dick Miller n’y tenant plus a recours à la manière forte pour séduire sa dulcinée, ce qui contrarie un peu les plans de Jonathan Haze qui pour sa part s’était enfin résigné à sa propre groupie. Et tout cela de composer une sorte de puzzle qui finira par être assemblé plus ou moins habilement au moment opportun.
L’humour et la nonchalance cèdent un peu la place au mouvement et à l’action (la preuve : les plans d’océan apaisé deviennent des stock-shots de tempête), les personnages ont tendance à perdre de leur relief -ou à mettre en avant leur insipidité dans le cas du héros- pour se diviser en bons et en méchants, et Corman place même quelques scènes dramatiques histoire de prouver que le coup du casse, c’est du sérieux. Ce qu’on a malgré tout bien du mal à croire… Les pitreries initiales ne sont pas oubliées, et si à la rigueur Beverly Garland peut soudainement passer de la nana piquante à la demoiselle terrorisée sans que cela ne choque (sa carapace est tombée, son alcoolisme s’explique), on ne peut guère oublier qu’avant d’épouvanter les jeunes hawaïennes (notons d’ailleurs que les hawaïens en général n’ont pas des rôles flatteurs… on a connu le Roger plus ouvert) Dick Miller peinait à effrayer qui que ce soit en dehors de son comparse Jonathan Haze. Cotten lui-même, le chef des méchants, a également bien du mal à imposer son charisme de chef sans avoir recours à des distributions de baffes qui le rapprochent plus de Bud Spencer que de Al Capone. Bref, les bandits ont beau s’activer, ils ne font pas oublier qu’ils sont des méchants d’opérette, et Corman n’arrange pas les choses en s’arrangeant pour exploiter au maximum ses paysages avant de retourner sur le continent. Naked Paradise est l’un de ces quelques films de Corman qui font clairement ressentir leur conception dans l’urgence, voire dans l’improvisation. Mais ne lui jetons pas la pierre : entre une première partie vide mais marrante et une seconde qui s’emballe pour pas grand chose mais qui en a bien conscience, voilà qui compose un film qui effectivement ne fera pas date dans la carrière de son réalisateur, mais qui aurait pu être bien pire. She Gods of Shark Reef, tourné juste avant sans les acteurs fétiches de Corman, est d’ailleurs nettement moins sympathique.