Meatball Machine – Yudai Yamaguchi & Jun’ichi Yamamoto
Meatball Machine. 2005Origine : Japon
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Le cinéma indépendant japonais a toujours été très vivace, et les artisans qui le font semblent ne jamais rechigner lorsqu’il s’agit de livrer un petit film plein de gore et de fureur. Ces films peinent toutefois à s’exporter, et bien souvent les amateurs européens sont condamnés à se contenter de quelques trailers sanglants glanés sur le net. Cependant, on constate que souvent ce qui semblait être démentiel sur un trailer de 5 minutes devient rapidement redondant dans un long métrage. Soit l’idée de départ paraissait excellente mais ne sert finalement que d’argument à un déluge de gore répétitif qui finit par lasser, soit, pire encore, le gore se fait trop rare et le film enchaîne les longueurs inutiles faute d’un véritable scénario…
Heureusement, Meatball Machine évite ces écueils et parvient à se glisser parmi les franches réussites du genre.
Comme souvent, l’idée de départ est complètement folle et apte à enthousiasmer les cinéphiles les plus déviants, jugez plutôt :
Des petits aliens débarquent sur terre, parasitent les être humains et prennent leur contrôle afin de s’en servir comme véhicules. Ils customisent alors les corps en les faisant muter, histoire de leur ajouter des appendices tranchants et des gros flingues barbares, dans le but d’en faire de véritables machines de combats: les necro-borgs ! Les petits aliens s’affrontent alors au moyen de ces humains mutants et parasités dans des combats à morts, où le gagnant a le droit de dévorer le perdant ! Mais les belligérants sont eux-mêmes traqués par un homme mystérieux caché derrière un masque de soudeur, qui tue les necro-borgs afin de récupérer les aliens…
Cette histoire de dingue a été imaginée par Jun’ichi Yamamoto pour un court métrage déjà intitulé Meatball Machine et sortit en 1995. Pour le passage au long, il s’allie avec Yudai Yamaguchi, déjà réalisateur de Battlefield Baseball et ancien collaborateur de Ruyhei Kitamura (sur Versus notamment).
Tout semblait réunis pour que Meatball Machine soit un film de baston gore et bien bourrin, ou des humains mutants se fouettent sur la gueule durant 1h30. Évidemment il y a un peu de ça dans le film, mais pas que ! Car bien sûr ce qui attire avant tout le spectateur avide de ce type de friandise c’est la perspective de voir des combats originaux et aux multiples rebondissements, des attaques aussi originales que destructrices, aptes à faire gicler énormément de sang. Sur ce plan là déjà, le film ne déçoit pas, et dans sa deuxième partie notamment, remplit honorablement le cahier des charges en nous montrant des affrontements généreux en hémoglobine et en armes originales. Tout le final du film étant un long combat absolument dantesque ! Les effets spéciaux sont à ce titre vraiment brillants. S’ils pâtissent du maigre budget du film, ils sont véritablement inventifs et surtout très organiques. En effet, à part quelques explosions assez laides, point d’images virtuelles dans Meatball Machine, rien que de bons vieux effets de maquillage à base de carton pâte et du sirop de grenadine bien rouge qui dégouline sur l’écran ! Qui plus est, le look des necro-borgs est des plus réussi. Signées Yoshihiro Nishimura, ces créatures cyberpunk faites de chairs boursouflées et de tuyaux de métal sont absolument géniales et constituent sans doute le meilleur argument du film. Enfin, le gore est bel est bien présent, et le film regorge d’idées perverses (comme l’utilisation d’un bouclier humain entouré d’acier, qui crie et qui saigne pendant tout un combat!) et sanglantes.
Mais le véritable atout du film, ce qui l’empêche de se transformer en un bête festival d’atrocités rigolotes mais vaines, ce sont ses personnages. Très malin et intelligent, le scénario parvient à faire exister les protagonistes du film. Parce que parallèlement aux combats de necro-borgs, Meatball Machine raconte une véritable histoire d’amour qui plonge dans des abîmes de noirceur, ce qui permet à son auteur d’y injecter un sous texte social encore plus noir. Meatball Machine c’est aussi l’histoire de Yoji, un ouvrier qui travaille sans relâche dans une petite usine de pièces détachées. Solitaire et désenchanté, il passe son temps libre à observer la jolie voisine Sachiko qu’il n’ose aborder. Le quotidien de cette dernière n’est guère plus heureux. Battue, elle cache sous sa chemise d’horribles cicatrices qui la rendent peu désirable. Elle est de plus soumise à un homme brutal et cruel.
Le film prend le temps de nous présenter ses personnages, s’attachant à nous décrire leur humanité et à nous présenter leur histoire ensemble comme impossible. Mais un soir Yoji parvient à aborder Sachiko en la sauvant des griffes d’un violeur. Alors qu’il lui déclare enfin sa flamme, un des fameux organismes extra-terrestres la contamine et transforme l’infortunée en machine à tuer… Cette sombre histoire annihile d’emblée toute prétention humoristique que pourrait avoir le film. Mais elle ne le fait pas pour autant sombrer dans le mélo. Non, l’ambiance qui s’installe est plutôt teintée d’un réalisme sordide, dû notamment aux décors fait d’usines malsaines, de ruelles sales et de friches industrielles.
C’est l’occasion pour le scénariste réalisateur de transformer son histoire en une parabole sociale particulièrement sinistre. Le monde que le film décrit, c’est un milieu ouvrier, où l’exploitation des plus faibles est de mise. La figure des parasites qui utilisent les êtres humains les plus démunis comme de simples outils, sans aucuns souci de leur condition d’êtres vivants, n’en est que plus inquiétante. Même cet étrange homme au masque de soudeur qui traque les aliens ne représentera pas une solution de secours: il jettera Yoji en pâture aux parasites dans le seul but de nourrir sa fille contaminée ! Tout le film est ainsi marqué par ce climat très noir, où tout amour semble impossible tout simplement parce que l’être humain est constamment oppressé par des rapports sociaux fondés sur la domination.
Le plan final du film vient enfoncer le clou en nous présentant toute rébellion contre le système immédiatement récupérée et vouée à l’échec.
Ainsi, derrière ces aspects de film barbare et jouissif, Meatball Machine est en réalité un film particulièrement sombre, et dont le ton très sérieux donnera une dimension et un impact infiniment plus fort aux scènes de combats gorasses.
Meatball Machine est décidément un film assez unique dans son genre, et sa sortie en dvd dans nos contrées est un événement à saluer à sa juste mesure.