Massacre à la tronçonneuse – Tobe Hooper
The Texas Chainsaw Massacre. 1974Origine : États-Unis
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Massacre à la tronçonneuse est devenu une sorte de mythe : chef d’œuvre intouchable aux yeux des fans d’horreur, abomination irregardable pour non amateurs et gaudriole ridicule pour le spectateur lambda, le film bénéficie d’une solide réputation d’œuvre outrancièrement sanglante et est volontiers cité pour illustrer le cinéma gore, à la fois par les amateurs du genre et par les néophytes. Pourtant, lorsqu’on le regarde actuellement, cette réputation semble bien peu justifiée au vu de la petite quantité de sang qui est versée dans le film. Il est cependant indéniable que quelque chose de particulier se dégage du film. Et la réputation que le film se traîne tient à la fois des conditions de tournages assez particulières et de l’accueil qui lui a été réservé par le public américain de 1974. Sur ce dernier point le cas de la France est encore particulier, puisque le film se voit interdit de sortie au cinéma sous la présidence de Giscard d’Estaing, et ne sortira qu’après la défaite de ce dernier et l’arrivée de la gauche au pouvoir. Gageons que cette interdiction totale dans nos contrées a également participé à la création d’une réputation sulfureuse précédant le film.
Massacre à la tronçonneuse raconte une bien sombre histoire : après une affaire de profanation assez scabreuse, Sally décide de traverser le Texas en compagnie de quatre de ses amis pour voir si la tombe de son grand père n’a pas été elle aussi profanée. Ceci sert de point de départ à une virée pour ces adolescent qui comptent bien s’amuser en route. Hélas pour eux, ils vont finir par tomber sur une famille de dégénérés amateurs de chair humaine…
A l’origine de cette histoire il y a Tobe Hooper, réalisateur Texan dont l’enfance a été particulièrement marquée par les ragots qui ont circulé après l’arrestation du tueur en série Ed Gein. Sans connaître les tenants et les aboutissant de l’affaire, Hooper écrit son scénario en réutilisant les éléments les plus marquants du fait divers, à savoir Gein gardant des cadavres dans sa chambre, et en les amplifiant pour obtenir cette histoire de famille de dégénérés vivant dans leur maison isolée, où les restes d’humains et d’animaux servent de décoration intérieure. Le cinéaste encore tout jeune (il s’agit de son premier long métrage) n’a alors d’autres ambitions que de réaliser une comédie d’horreur à la fois sanglante et grotesque. Il garnit son scénario de séquences d’humour noir et de meurtres graphiques privilégiant l’utilisation de ce sinistre engin qu’est la tronçonneuse.
Toutefois l’intrigue du film reste très limitée, et assez proche des slashers. Le principal ressort narratif tient à l’identité et à l’apparence des membres de la fameuse famille de cannibales, qu’on découvre petit à petit lors du film. De même, elle est assez avare en séquences sanglantes et en meurtres. En fait le réel point fort de ce scénario c’est son aspect grotesque et outrancier, qui culmine lors de la fameuse scène « du repas » où le grand père de la famille, une sorte de momie flasque et sans force, tente vainement de briser la nuque de l’héroïne hurlante, tandis qu’autour d’eux s’agitent les autres membres aliénés de la famille. Ce type de scène, qui a une vocation comique à l’origine, sera mal comprise par le public de l’époque, terrorisé sur son siège. Si ces scènes pleines d’humour noir font rire jaune, c’est parce que le potentiel comique du film est plombé par son ambiance nauséabonde et poisseuse. Mais si cet aspect comique tombe à plat, l’exagération et la folie qui se dégage de ces scènes impressionnent beaucoup !
Pour trouver l’origine de cette ambiance si particulière, il convient de revenir sur les conditions de tournage. Ce tournage débute après que Hooper ait rassemblé un casting constitué d’amis et de connaissances et dont la figure marquante est Gunnar Hansen, un colosse d’origine islandaise dont la célébrité sera assurée par ce film. Toute l’équipe du film sera très affectée par la chaleur qui règne sur les lieux de tournage (deux maisons décrépies à moitié en ruines) et par les contraintes liées au restrictions budgétaires. La fatigue réelle des acteurs et le rythme de tournage imposé par la production se voit à l’écran, et contribue à la création de cette ambiance chaude et poisseuse qui mettra les spectateurs si mal à l’aise. Le budget limité dont dispose le film contraint l’équipe de tournage à se contenter de quelques faibles projecteurs, ce qui permet au film de bénéficier d’une image très sombre durant les scènes de nuit ou d’intérieur, tandis que la pellicule est souvent surexposée lors de scènes en extérieur. Ces carences techniques servent finalement bien le film. Dans le même ordre d’idée, l’image du film, tourné en 16mm, se pare d’un gros grain et d’une teinte verdâtre un peu malsaine lors du gonflement en 35mm pour l’exploitation en salles.
Mais la technique n’est pas à elle seule responsable de la densité de l’atmosphère dont bénéficie le film, il y a aussi ces formidables décors : le film se déroule principalement dans la maison de la famille dégénérée, une bâtisse recouverte de planches, de style américain, avec un intérieur garni d’ossements, de plumes et de crasse. Robert Burns, chargé des décors, a multiplié les trouvailles étranges pour garnir cette maison. Il a ainsi pu récupérer tout un tas d’ossements d’animaux domestiques enterrés dans l’arrière cour d’un vétérinaire, ou encore des squelettes humains sans doutes destinés originairement à des cours de sciences naturelles. Hooper rapporte même l’anecdote de Robert Burns arrivant sur les lieux de tournage en exhibant fièrement un cadavre de vache posé à l’arrière de sa voiture !
Au milieux des pièces confinées remplies d’ossements crasseux, écrasés par la chaleur et contraints de garder leurs costumes pleins de sueur sur le dos toute la journée, les acteurs n’ont donc aucun mal à se prendre au jeu, et donnent à leur interprétation un réalisme marquant, et à leur folie une densité impressionnante. La réussite du film tient aussi dans le jeu de Gunnar Hansen, qui campe un Leatherface massif et monolithique, toujours caché derrière son masque fait de bouts de peau humaine et qui se saisit de la lourde tronçonneuse comme d’une vulgaire brindille. Face à lui, Marilyn Burns n’aura pas volé un statut de « scream queen » tant ses hurlements affolés et aigus sonnent vrais. D’ailleurs tout l’environnement sonore du film est soigné, et la bande son regorge de bruits charnels et de cris porcins dérangeants, qui participent à l’aura effrayante qui entoure Massacre à la tronçonneuse.
Le film a ainsi durablement marqué les esprits, devenant un classique indétrônable du cinéma d’épouvante et permettant à Tobe Hooper d’accéder au statut de maître du genre (même si le nombre impressionnant de navets qu’il réalisera suite à ce premier film devrait plutôt le discréditer…) et à Gunnar Hansen de jouir d’une petite célébrité lui permettant de faire quelques caméos dans des films de genre.